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Chapitre 2 : Présentation et analyse des résultats

2. Présentation des résultats et analyse partielle

2.2 Un profil particulier pour l’Arctique?

Le questionnement initial référait à l’identité des compagnies et à leur capacité à répondre au marché arctique. En fait, comme il a été démontré lors de la revue de littérature, les marchés et, corollairement, les compagnies maritimes se définissent en fonctions de divers critères concomitants que sont l’équipement, les produits transportés et la dimension des navires. Les particularités des marchés arctiques et de la navigation dans la région n’échappent pas à cette dynamique; or, dans quelle mesure la concordance entre ces spécificités et les caractéristiques propres à chaque compagnie influent sur l’intérêt de ces dernières à développer une stratégie face à l’Arctique? Bien que cette question soit en partie au cœur de l’analyse principale, une analyse complémentaire, quantitative cette fois, a été menée afin de supporter l’argumentaire général de la recherche, mais surtout pour donner une ligne directrice à l’analyse dans son entièreté.

Par conséquent, l’analyse en question a été conduite en établissant une interrelation entre les spécificités de l’Arctique et celles des marchés des marchandises de vrac. Ainsi, l’intégration de données liées à la taille des navires visait à traiter la question des tirants d’eau aux ports, ainsi que dans les différents détroits et chenaux. Celle des infrastructures était rattachée au gréage des navires fondamentalement associé à des catégories de navires particuliers, alors que la demande liée aux produits a été évaluée en fonction des produits majoritairement transportés par l’entreprise ainsi que par les types de navires au sein de la flotte. Aussi, la capacité d’évolution dans un environnement glaciel a été traitée en fonction du niveau de classe de glace des flottes de navires; un niveau minimal de PC7 pour au moins un navire de la flotte étant jugé adéquat. Finalement, l’influence de

la proximité géographique a été évaluée, la présence du siège social des entreprises concernées au sein d’un des huit pays arctiques103 constituant la balise pour cette variable.

Bien qu’une seule base de données ait été mise en place intégrant, au final, 18 des 26 variables initiales104, cinq catégories distinctes peuvent être discernées (voir annexe 2), l’ensemble des informations recueillies provenant à la fois des entretiens et questionnaires, mais essentiellement d’une vérification effectuée sur les sites Internet de chacune des entreprises ciblées. Dans le même ordre d’idée, certaines informations concernant deux entreprises,

soit 5E et Kent Line, n’ont pu être trouvées ou simplement corroborées. Corollairement, 64 entreprises ont été analysées par le modèle, puisque l’absence de données pour certaines variables n’ont pas permis d’intégrer ces deux compagnies.

Afin d’établir le degré d’influence des différentes variables sur le niveau d’intention des compagnies, une régression linéaire utilisant le logiciel SAS (voir annexe 3) a donc été menée, et ce, suite à la recommandation du service de consultation statistique du département de mathématique et de statistique de l’Université Laval. Tout d’abord, la fiabilité des données a été jugée adéquate dans la mesure où le test de normalité de Kolmogorov-Smirnov (p = 0,1265) ne rejetait pas la normalité des résidus, tandis que l’homogénéité de la variance des résidus s’est révélée graphiquement satisfaisante (voir figure 10), particulièrement en ce qui a trait aux niveaux d’intention les plus faibles. Par ailleurs, l’indépendance administrative et stratégique des différentes entités analysées105, soit les diverses compagnies maritimes, permet de statuer que les observations sont indépendantes entre elles.

103 Les huit pays membres du Conseil de l’Arctique sont ici considérés, soit le Canada, le Danemark, les États-Unis, la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Russie et la Suède.

104 Un tri des 26 variables initiales a été effectué pour facilité l’analyse par le système SAS. Un total de 21 variables ont été identifiées pour fins d’analyse. Le système a détecté deux récurrences; une première entre la variable « vraquiers » et celle du « vrac sec », puis celle des « gaziers » dont la redondance était disséminée à travers certaines catégories de navires. Au surplus, la dualité entre « pays arctique » et « pays non-arctique » a permis d’éliminer l’une des deux variable. Ainsi, au final, 18 variables ont été retenues par le système. 105 Voir chapitre 1, point 4.2.1 (La démarche de la recherche) pour plus de détails.

Figure 10 : Dignostic graphique de la normalité

En définitive, le modèle statistique final développé selon la méthode automatique de sélection descendante des variables106 (voir annexe 3), utilisant un seuil significatif de 5%, a été favorisé, et ce, en fonction de l’inflation de la variance (R2 ajusté = 0,3580). Ce modèle permet d’expliquer 40,89% de la variabilité des niveaux d’intention, et ce, en intégrant cinq variables jugées significatives; trois liées à la spécialisation des équipements, l’une à la spécialisation selon la taille et, la dernière, par rapport à la capacité de navigation en zone englacée (voir tableau 9).

Tableau 9 : Résultats finaux de l’analyse statistique par régression linéaire

Avant toute chose, il importe de bien comprendre la signification des résultats statistiques. D’abord, la valeur estimée de l’intersection au point d’origine, soit 0,62203 représente l’estimation du niveau d’intention des compagnies maritimes de vrac pour lesquelles aucune des cinq variables retenues n’est applicable. Cela permet de démontrer en partie l’influence de ces paramètres sur le niveau d’intention. Parallèlement, la valeur estimée des paramètres représente l’augmentation estimée du niveau d’intention des compagnies à l’étude en fonction de la présence de ce paramètre. Concrètement, cela signifie qu’une compagnie similaire à une autre, dont l’une possède des navires de type panamax au sein de sa flotte, a un niveau d’intention estimé de 0,87876 supérieur à sa concurrente; il en va de même pour l’ensemble des variables.

Ainsi, l’une des variables, soit celle des pétro-vraquiers, ressort particulièrement du lot. Cependant, il est à noter que, parmi les répondants, seule la filiale Canartic, du Groupe Fednav, possède un

106 Le système SAS opère automatiquement la méthode ascendante, descendante et celle pas-à-pas. La méthode descendante permet d’établir une quatité suppérieure de corrélation entre différentes variables et le niveau d’intention des compagnies concernées et répond aux normes statistiques usuellement utilisées. Elle a naturellement été retenue.

Variables significatives retenues Valeur estimée du paramètre l'estimation du Variabilité de paramètre

Seuil observé Pr > |t| Intersection au point d'origine 0.62203 0.29569 0.0398

Panamax et tpl équivalent 0.87876 0.35609 0.0166

Pétrovraquiers 4.60144 1.40069 0.0017

Pétro-chimiquiers 1.20207 0.43021 0.0070

Barges et remorqueurs 2.15674 0.69384 0.0029

Flotte avec une classe glace de

navire de ce type; ce qui tend à altérer le résultat. Au demeurant, Stopford (2009 : 418) relevait, en juillet 2007, seulement 85 pétro-vraquiers ou pétro-minéraliers au sein des 14 756 navires composant la flotte mondiale associée au vrac, alors que le renouvellement de cette portion de la flotte internationale est pratiquement nul, principalement dû à la difficulté de rentabiliser ce type de navire (idem. : 419). Dans le même ordre d’idée, l’ajout d’une coque renforcée107 augmenterait substantiellement les coûts de construction108, réduisant encore davantage le retour sur l’investissement. Ainsi, malgré une influence marquée sur le niveau d’intention, la rareté de ce type de navire sur les marchés ne risque pas réellement d’engendrer d’augmentation effective des intentions à l’échelle mondiale et, incidemment, du trafic maritime dans l’Arctique.

Deux autres types de navires ont été retenus par le modèle, soit les pétro-chimiquiers ainsi que les Barges et remorqueurs. Ces derniers sont une partie constituante des flottes de cinq compagnies enquêtées, dont deux de type passive, une de type observatrice active et deux autres de type actrice. Du point de vue qualitatif, deux éléments ressortent des enquêtes sur ces compagnies. D’abord, ce type de navire offre la possibilité de naviguer en zone moins profonde que les navires conventionnels, ce qui se traduit non seulement par une accentuation des possibilités dans les zones côtières et fluviales, mais également par un allongement de la saison de navigation en eau libre, les marges continentales, peu profondes, étant les premières zones à être libérées des glaces au printemps109. Puis, par l’interchangeabilité des barges et, par conséquent, des produits transportés. À ce titre, les pétro-chimiquiers s’inscrivent également dans cette veine, c’est-à-dire que la compartimentation des cales permet, en un seul voyage, le transport de divers produits sur un ou plusieurs marchés. Une constance se dessine donc par rapport aux variables retenues et liées à la spécialisation des équipements, soit la polyvalence des navires et des services qui leur sont rattachés. Cette perspective constitue une base intégrante du processus de théorisation et sera, par conséquent, approfondie ultérieurement.

Par ailleurs, le modèle suggère que la présence d’un ou plusieurs bâtiments ayant une classe glace de niveau polaire au sein de la flotte d’une compagnie influence significativement cette dernière dans son intention face au marché arctique. Seule une analyse qualitative permettra toutefois de saisir les nombreuses nuances liées à cette variable, bien que quelques chiffres élémentaires (voir

107 La présence d’une classe de glace arctique est, selon le modèle statistique établi, une variable significative. 108 Voir chapitre 1, point 3.2.2 (le coût des routes nordiques et de leurs contraintes) et note de bas de page 52 pour plus de détails.

tableau 10) permettent, à prime abord, de constater la corrélation entre celle-ci et le niveau d’intention. L’absence de classe de glace au sein de la flotte favorise donc l’absence d’intention face au marché arctique tout comme sa présence l’accroît. Au surplus, les compagnies ayant manifesté un intérêt quelconque pour l’Arctique (niveau faible à moyen fort) ont unanimement fait référence à la nécessité d’acquérir des navires avec une classe de glace pour mener à bien le projet. L’importance de navires de classe polaire ou, à tout le moins, à coque renforcée est indéniable. Cependant, la navigation en zone englacée comporte plusieurs autres facteurs inhérents à l’équipage, aux coûts, etc. dont la compréhension nécessite d’être analysée qualitativement.

Tableau 10 : Répartition des compagnies en fonction du niveau d’intention et de la présence ou l’absence de navires avec une classe de glace au sein de la flotte

Niveau d'intention Flotte avec une classe glace de niveau arctique

Oui Non Absent 14 31 Faible 4 3 Moyen faible 1 0 Moyen fort 1 1 Élevé 2 2 Très élevé 6 0 Total 28 37

D’autre part, chaque modèle établi à l’aide la régression linéaire sous-tend une interrelation entre les différentes variables jugées significatives. Toutefois, celles retenues dans le présent modèle permettaient, jusqu’à présent, une analyse relativement indépendante par rapport aux autres variables. Celle référant aux panamax et tpl équivalent diffère, dans la mesure où sa signifiance est intimement liée à la variable Flotte avec une classe glace de niveau arctique (voir tableau 11); l’amalgame de ces deux variables tend principalement à accentuer la dichotomie entre les compagnies dont le niveau d’intention est Absent et les autres. Aussi, ces liens doivent être pris avec circonspection, puisque les données se rapportant à la présence de classe de glace polaire et à la spécialisation de la flotte en termes d’équipement ou de taille, comme c’est le cas avec les panamax, sont soumises à l’analyse statistique de manière indépendante. L’adéquation statistique est donc effectuée en fonction de la présence d’une classe de glace pour l’ensemble de la flotte des compagnies et non uniquement par rapport aux panamax. Parallèlement, si, après vérification, six

des dix compagnies concernées110, dont les trois aux niveaux d’intention les plus élevés, répondaient effectivement aux caractéristiques propres aux deux variables, ces navires constituaient un faible pourcentage de la flotte totale. Il importe donc de relativiser l’importance de l’influence de ces variables sur le niveau d’intention. Malgré tout, au final, la sélection de ce type de navire tend à remettre en cause l’idée que la profondeur des détroits et des ports favorise les navires de moindre envergure111 (handysize et handymax) qui, par surcroît, sont théoriquement avantagés dans cet environnement déficient en infrastructures par le fait qu’ils sont majoritairement gréés112. L’analyse qualitative permettra d’apporter un éclaircissement sur l’ensemble de la situation.

Tableau 11 : Répartition des compagnies en fonction du niveau d’intention et de la présence ou l’absence de navires avec une classe de glace au sein de la

flotte, ainsi que la présence de navires de taille panamax ou son équivalent

Niveau d'intention incluant des panamax dans Nombre de compagnies leur flotte

Classe glace de niveau arctique au sein de la flotte totale de la compagnie

Oui Non Absent 16 3 13 Faible 6 3 3 Moyen faible 1 1 0 Moyen fort 1 0 1 Élevé 2 1 1 Très élevé 2 2 0 Total 28 10 18

L’analyse statistique fournie donc quelques indications et pistes de réflexion, notamment en ce qui a trait à la polyvalence des navires, à la navigation en zone englacée ou la spécialisation des navires, laissant toutefois plusieurs questions en suspend. Celles-ci seront par conséquent traitées de manière plus approfondie dans la prochaine section.

110 Neste oil, Transpetrol Maritime Services, Stena bulk, SCF Sovcomflot, Knutsen AOS Shipping et Nippon Yusen Kaisha Line (GNL tanker transport division).

111 Voir chapitre 1, point 3.2.2 (le tirant d’eau et les chenaux dans les routes arctiques) pour plus de détails. 112 Voir chapitre 1, point 3.1.1 (la dimension, synonyme de marché) pour plus de détails.