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Chapitre 6 Approche critique

6.2 L’intégration en question

6.3.1 Stigmatisation, discriminations et outsiders

Nous avons introduit dans le chapitre précédent consacré à l’intégration féminine la thématique de l'intersectionnalité. Or le demandeur d’asile en tant que migrant cumule de multiples discriminations et ce sont plus particulièrement les migrants appartenant aux minorités visibles qui sont les plus stigmatisés et ce, parce qu’ils cumulent le plus de stigmates, comme l’indiquent de nombreux travaux de recherche tels que ceux de Chicha (2012).

Ainsi, Larochelle et Lapointe (2006) montrent dans une étude empirique sur le Québec que les problèmes d’insertion et d’intégration des jeunes de minorités visibles sont amplifiés par leur appartenance à cette minorité. Des jeunes issus de minorités visibles, en l’occurrence les Noirs et les Maghrébins, toujours étudiants, se retrouvent dans des secteurs d’emploi mal payés, sans syndicat (voir aussi Drudi 2006). Les deux chercheurs ont observé que les expériences de discrimination sont plus fréquentes et explicites chez leurs répondants que chez leurs répondantes. Ils écrivent que la ville de Québec semble avoir été touchée par une vague de préjugés associés à l’arrestation de criminels issus de minorités visibles et ajoutent que l’article de Alain Bouchard publié dans Le Soleil dans le cadre du mois de l’histoire des Noirs aborde les répercussions de l’affaire concernant le gang de rue Wolf Pack sur les membres de la communauté noire de la ville de Québec.

L’article indique que la communauté noire est le bouc émissaire du milieu criminel de la ville de Québec. Ce sont donc les hommes noirs ici qui sont stigmatisés, car ces crimes ont été commis par des hommes noirs. Ainsi, un répondant rapporte une expérience avec un enseignant, à la suite de l’arrestation d’un jeune africain à Québec l’année précédente : « À l’école, un professeur est venu me voir, il venait d’y avoir un meurtre à

Québec commis par un Noir. Il m’a dit : « c’est-tu tes amis ça ». J’ai dit : « non, je les connais pas ». Il a dit : «je croyais que tu les connaissais car tu es noir ».

Larochelle et Lapointe (2006) ajoutent qu’une répondante leur a affirmé qu’il était plus fréquent de voir des situations de discrimination explicites dans la vie de tous les jours chez leurs amis de sexe masculin : «

Quand je suis avec mes amis de gars, par exemple, les policiers nous arrêtent souvent pour faire des vérifications inutiles, car ils louent souvent des grosses voitures. Les filles, c’est moins fréquent. ». Cette situation

des hommes noirs rappelle la faute d’être immigrant dans le concept de double peine de Sayad cité ci-dessus, et la contamination du stigmate de Goffman. C’est notamment dans le premier exemple qu’apparaît la contamination, un meurtre a été commis par un Noir, donc tous les Noirs sont contaminés par ce crime et portent dès lors le stigmate du criminel. Du fait de leur couleur, ils sont associés à ce crime originel et connaîtraient forcément l’auteur avec qui ils entretiendraient un rapport de proximité du simple fait d’être noir. Le deuxième exemple est en lien avec la faute d’être immigré que met en évidence Sayad. Ainsi, l’auteur indique que l’immigré est considéré comme étant en faute du seul fait de sa présence en terre d’immigration. Il se doit donc d’être irréprochable en contrepartie de l’hospitalité. Ce statut lui impose d’avoir une attitude en adéquation avec cette irréprochabilité comme la soumission, baisser les yeux, avoir de la retenue dans la voix par exemple. Et dans le cas présent avoir de la retenue dans le type de voiture qu’il conduit, donc éviter de conduire de grosses voitures, synonyme d’indécence lorsqu’on a reçu l’hospitalité. Le Noir doit montrer sa modestie, sa simplicité, son infériorité en conduisant des voitures moins grosses que le Blanc.

Cela rappelle les écrits de Goffman (1983) dans la Mise en scène de la vie quotidienne sur l’idéalisation. En effet, Goffman (Ibid.) explique que la vie sociale se réalise sous la forme de représentation sociale et l’acteur à ces fins acquiert et mobilise un répertoire symbolique adéquat. Ainsi, chaque classe sociale possède son propre appareillage symbolique s’exprimant par la richesse matérielle, permettant généralement d’embellir les représentations quotidiennes en leur conférant un style socialement valorisé. Mais à l’inverse, il peut servir à pratiquer systématiquement la modestie et à exprimer avec sobriété la richesse ou se dévaloriser socialement. Ce phénomène s’explique par le fait qu’une représentation peut flatter des valeurs idéales assignant l’acteur à une position inférieure à celle que lui-même se reconnaît secrètement. Goffman cite en exemple les Noirs des États sudistes aux États-Unis, qui se croyaient parfois obligés d’adopter un air ignare, des manières gauches et bouillonnes lors d’une interaction avec les Blancs (voir aussi Wright 2010).

Explication qui peut s’appliquer également au phénomène de dissonance, déjà mentionné et que soulèvent Gauthier, Lacroix, Liguori, Martinez et Nguyen (2010) dans leurs travaux confrontant le discours normatif sur l’intégration et l’expérience vécue exprimée par les demandeurs d’asile. Comme nous l’avons vu, pour les auteurs la dissonance constitue les attentes normatives de conformité comme l’aspiration souhaitable de l’immigrant, ce qui en d’autres termes renvoie à l’intériorisation du discours normatif sur l’intégration impliquant par exemple les notions de sacrifice, de désintégration que certains répondants se sentent obligés de dire.

Bancel et Tsoulaka (2003) donnent des explications issues du contexte européen, mais qui sont valables ici. Aussi, écrivent-ils que dans le cas particulier des immigrés, il paraît aujourd’hui clairement que ceux- ci sont devenus les catalyseurs de tous les conflits et revendications de nature sociale des dernières décennies. Phénomène qu’ils ne considèrent pas comme nouveau puisque déjà au cours des crises des années 1880 et 1930, beaucoup de pays européens, dont la France, ont connu cette activation d’ennemis sociaux. Au fil de l’histoire, une multiplicité d’arguments sont mobilisées contre l’immigré-délinquant dans l’espace politique, pour les nationalistes il sape la cohésion sociale, tandis que pour les défenseurs de l’identité régionales ou locales, il aliène la pureté ethnique de la population. Plus récemment, pour les politiciens européens, ce sont les immigrés-délinquants qui menacent la sécurité de la vie quotidienne et dégradent irrévocablement le milieu urbain, pour des défenseurs de classe, ils sont des parasites remettant en cause les conquêtes ouvrières (voir aussi Muchielli 2003 ; Poiret 2003).

Ces discriminations touchent tous les domaines de la vie sociale du migrant, que ce soit celui du logement, du travail par exemple. Les travaux de Labelle, Field et Icart (2007) montrent les mêmes résultats, ainsi une personne sur cinq faisant partie d’une « minorité visible » déclare avoir parfois ou souvent subi de la discrimination ou un traitement injuste, et que l’ethnie et la couleur de la peau sont les raisons les plus fréquentes

de discrimination ou de traitements injustes qui sont plus susceptibles de se produire en milieu de travail. Ici de même, les Noirs sont le groupe le plus susceptible de déclarer avoir vécu, parfois ou souvent, une expérience de discrimination ou de traitement injuste, soit 32% contre 21% des Sud Asiatiques et 18% des Chinois. Pour les étrangers, le logement est aussi au Québec un secteur de discrimination, les auteurs mentionnent l’étude de la Commission des droits de la personne et droits de la jeunesse en 1987 qui démontre que la couleur de la peau est un facteur important de discrimination dans le logement, qui affecte surtout les personnes provenant des pays d'Afrique noire ou des Caraïbes. Nous avons également mentionné que les professionnels de terrain faisaient également les mêmes observations de discrimination, et de racisme, auxquelles s’ajoute le sexisme que subissent les femmes migrantes dans tous les aspects de leur vie (Ovezea 2015 ; Pinto 2015).