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Chapitre 4 Approche comparative

4.6 Québec versus France

Des auteurs comme Costa-Lascoux et Mc Andrew (2005), ou encore Vilchien (2005) ont comparé le Québec et la France. Nous avons mentionné dans le chapitre précédent que Vilchien (2005) opposait les sociétés québécoise et française quant à leur compréhension de l’intégration. Elle affirme surtout qu’en fonction des spécificités des deux sociétés, québécoise et française, la notion d’intégration renvoie à des conceptions assez éloignées. Ainsi observe-t-elle une fierté à l’égard de l’histoire migratoire au Québec, alors que cette dernière est au contraire occultée en France.

Par ailleurs, parmi d’autres distinctions, Vilchien (2005) note dans le cas des migrants volontaires au Québec les candidats sont évalués sur leurs capacités à s’intégrer tandis qu’en France ce processus sélectif n’existe pas. La France s’est inspirée du modèle québécois pour relancer sa politique d’intégration et de lutte contre les discriminations. Il s’agit du contrat d’accueil et d’intégration proposé à tout nouvel arrivant, qui définit ses engagements et ceux de l’État à son égard, et met l’accent plus spécifiquement sur l’accès aux formations linguistiques et sur l’accompagnement vers l’emploi (voir aussi Costa-Lascoux et Mc Andrew 2005). Bien que Vilchien relève une certaine influence récente du Québec sur le modèle d’intégration de la France, sa

comparaison vise surtout à mettre en évidence les oppositions et l’éloignement entre les deux États-nations, ce qui n’est pas le cas de celle opérée par Costa-Lascoux et Mc Andrew (2005) qui au contraire cherche à montrer leurs similarités et surtout que le modèle québécois se rapproche du modèle français.

La comparaison de Costa-Lascoux et Mc Andrew (2005) bien qu’elle porte principalement sur l’immigration, aborde la thématique de l’intégration au Québec et en France. Aussi écrivent-elles que la comparaison entre le Québec et la France est particulièrement éclairante sur ce qui rapproche et ce qui divise à la fois quant à la réalité et à la perception dans le temps que chaque peuple se fait de la présence de l’autre, de la relation à l’altérité, notamment quand l’étranger s’établit, devient citoyen et donne naissance à des enfants dans le pays d’accueil. Tout d’abord, Costa-Lascoux et Mc Andrew (Ibid.) considèrent que les sociétés québécoise et française partagent un long passé d’immigration, un attachement à une ligne commune ainsi qu’une conception de la citoyenneté où le pluralisme a droit de cité. Toutefois, il existe entre elles de nombreuses différences dans l’interprétation de ces dimensions qui marquent les deux contextes, comme la centralité de l’immigration dans la construction de la nation, le caractère plus ou moins consensuel de l’adoption du français par les immigrants ou encore la légitimité des identités intermédiaires dans le rapport du citoyen à l’État.

Ces différences tiennent à la trajectoire historique spécifique de chaque société. En effet, si la France est un pays où domine une majorité claire, ce n’est pas le cas du Québec. Cependant, pour les deux auteurs sur le plan des problèmes vécus par les nouveaux arrivants, les deux expériences se rapprochent. Par ailleurs, elles observent entre autres une certaine convergence des modèles réels de gestion du pluralisme. Plus globalement, pour Costa-Lascoux et Mc Andrew (Ibid.) l’opposition dichotomique de modèles manichéens, souvent mise en avant dans la littérature scientifique, ne rend pas compte de la complexité des phénomènes et de cette convergence.

Le Québec et la France se reconnaissent comme des pays d’immigrés, mais avec leurs traditions propres, si on parle d’immigrants au Québec et en France, il s’agit d’immigrés, ou de Gastarbeiter3 en Allemagne. Ce qui caractérise le Québec en tant que pays d’immigrés est à l’instar d’autres pays d’Amérique, de l’Australie et la Nouvelle-Zélande est qu’il s’est constitué d’une immigration de peuplement. D’autre part, le Québec a adopté aujourd’hui une construction volontariste d’une société d’immigrants engendrant une dynamique sociale ne craignant pas d’afficher son caractère multiethnique. Pour les deux auteurs, c’est surtout sur le plan des idéologies et des pratiques relatives à la gestion de la diversité que la position charnière du Québec entre les modèles nord-américains et français est encore plus évidente. En effet, pour eux la démarche québécoise peut se caractériser comme la recherche d’une voie de conciliation comme nous l’avons déjà mentionné entre les

excès respectifs du communautarisme et de la conception républicaine de l’intégration. Le premier renvoie à la

politique canadienne du multiculturalisme. Ils considèrent qu’on lui reproche injustement de sombrer dans le relativisme culturel et d’encourager une essentialisation des appartenances, peu compatible avec les valeurs démocratiques de liberté individuelle et de droits de la personne. Le second concerne le modèle français, que l’on évite généralement d’attaquer de front et que l’on retrouve dans le contrat moral (contrat d’accueil et d’intégration), abordé ci-dessus. Il définit les droits et obligations respectifs de la société d’accueil et des immigrants et postule que le Québec est « une société pluraliste ouverte aux apports multiples, dans les limites de respect des valeurs démocratiques fondamentales et de la nécessité de l’échange intercommunautaire » (Ibid., 8).

Néanmoins, les auteurs relèvent que le modèle québécois bien qu’intéressant dans sa complexité et dans les développements auxquels il a donné lieu sur le plan des pratiques, n’est pas garant, comme toute autre idéologie, de l’intégration réelle des immigrants. La société multiculturelle québécoise, voire canadienne repose sur ce que Roland Barthes appelait une double violence, à savoir d’un côté une rupture avec le pays de départ, de l’autre le fait que cette valorisation de l’immigré s’est faite historiquement au détriment de la légitimité de l’histoire des autochtones en tant que premiers occupants de la terre. De ce fait, pour Costa-Lascoux et Mc Andrew (Ibid.), ce déni constitue pour les Amérindiens une injustice que les sociétés concernées commencent à peine à reconnaître, et ce grâce aux actions judiciaires.

Nous avons à maintes reprises mentionné que l’assimilation est le modèle d’intégration en vigueur en France. Or selon nos deux auteurs, si l’assimilation dans son sens juridique initial, signifiait une égalité de traitement des personnes dans des situations différentes, ce projet s’est heurté à la persistance des inégalités et des discriminations, ayant apporté des démentis à « l’idéal républicain ». Elles citent en guise d’exemple les crimes racistes d’Aigues-Mortes contre des Italiens, la xénophobie et l’antisémitisme, culminant sous le régime de Vichy. Cependant, elles observent que l’immigration en France semble caractérisée par un trait peu souligné, qui est l’importance des « mariages mixtes ». Autrement dit, les nouveaux arrivants s’allient relativement rapidement aux nationaux. De plus, des enquêtes montrent que l’endogamie communautaire, ethnique ou religieuse, subsiste moins longtemps que dans d’autres pays d’Europe ou d’Amérique du Nord. En comparaison avec les États-Unis, où la phobie des sangs mêlés a conduit par le passé à l’interdiction du mariage interracial jusqu’à la fin des années 60. De ce fait, pour les deux chercheurs, la France est une terre de métissage, dans la mesure où un Français sur quatre aurait un ascendant étranger et que 160 000 personnes d’origine étrangère acquièrent annuellement la nationalité française, correspondant à peu près au nombre de celui des étrangers entrant régulièrement sur le territoire national.

Il s’agit là de ce qui est communément appelé le « creuset français », qui trouve son origine dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, rédigée au moment où fut créé l’état civil laïque. Or ce dernier « grand livre des citoyens où chacun est inscrit de la naissance à la mort, quel que soit son rang, son sexe ou sa confession » (Ibid., 11), gomme la référence aux origines, car ces dernières deviennent très vite multiples, tandis que l’intégration est d’abord individuelle en fonction des choix de vie. C’est pourquoi, en réalité, le respect des origines se pratique en France différemment de ce qui se passe dans les systèmes communautaristes, comme au Canada, voire au Québec.

En France, c’est notamment au début des années 1960 que se produit le passage de la doctrine de l’assimilation à celle de l’intégration, dans le contexte de l’après-guerre et des indépendances des anciennes colonies. En effet, l’assimilation correspond selon les auteurs à un moment historique ne pouvant être confondu avec l’ensemble de la tradition républicaine. Avec la colonisation et la conception anthropomorphique de la société ayant prévalu au moment de l’affrontement des États nations en Europe. Le sens premier de l’égalité de traitement a alors profondément changé. C’est-à-dire comme nous l’avons déjà abordé, la recherche de l’unité a conduit « le corps social » à vouloir réduire les différences, à les faire disparaître, les absorber, dans une unité fictive intérieure rigide dans un contexte où les guerres intra-européennes et les guerres coloniales portaient sur ces enjeux.

Ainsi, pour nos auteurs, il existe en France une diversité culturelle, qui s’est développée non pas par la coexistence de communautés séparées ou distinctes, mais par la volonté d’un « vivre ensemble » conférant à l’individu un rôle primordial. Cette diversité culturelle est garantie par l’adhésion aux valeurs communes et par la neutralité de l’espace public. L’adhésion aux valeurs communes vise sans imposer une croyance ou une appartenance à garantir le progrès des libertés et la cohésion sociale, tandis que la neutralité de l’espace public a pour objectif de mieux protéger l’intimité de la vie privée, la morale personnelle, le choix des modes de vie, et la laïcité. De plus, la laïcité confère le droit fondamental de croire ou de ne pas croire, de changer de conviction, sans qu’une assignation identitaire ni une prescription religieuse puisse de façon injonctive contraindre l’individu. En fait, le modèle français, bien qu’il offre la possibilité d’adhérer à une communauté, fait de la possibilité de ne pas vouloir y adhérer un droit primordial et fondamental. Ce qui offre une échappatoire aux individus ne souhaitant pas être en communauté ou subir le poids de la communauté et de son adhésion.

Or, d’après Costa-Lascoux et Mc Andrew (Ibid.) pour les observateurs étrangers, comme nous l’avons nous-même constaté, la vision républicaine de l’intégration et de la laïcité est souvent mal perçue, alors qu’il s’agit d’une logique des droits de l’homme poussée jusqu’à son expression ultime, à savoir que le noyau dur

des droits et libertés est entendu comme le droit individuel, le choix personnel, que la dimension collective de l’identité ne saurait ni emprisonner ni réprimer (Ibid., 9). Le modèle d’intégration à la française avec cette laïcité

également poussée à l’extrême selon nous, vise d’après Costa-Lascoux et Mc Andrew (Ibid.) à favoriser la palette la plus large des choix possibles. Les auteurs citent des personnalités françaises d’origine étrangère qui ont su apprécier cette diversité de palette, telles que Marie Curie, Chagall, Dali, Picasso, Julien Green, Yasmina Reza, Tahar Ben Jelloun, Zao Wu Ki. Ceux-ci ont choisi d’exercer leur talent dans un pays qui non seulement ne leur imposait pas un carcan culturel, mais a révélé, selon eux, une intimité qui leur était jusque-là cachée. C’est pourquoi contrairement au Canada, en France l’identité n’est pas séparée de la citoyenneté.

Kriegel et Marois (2005) se sont également essayés à l’exercice de comparaison entre la France et le Québec, plus particulièrement sur les aspects des contextes géographiques, d’intégration politique et économique. Kriegel et Marois (2005) prolongent les réflexions comparatives de Costa-Lascoux et Mc Andrew (2005) sur les notions de citoyenneté, de communautarisme et de laïcité, et ce en donnant des exemples concrets. Sur la question de la citoyenneté Kriegel et Marois (Ibid.) ajoutent qu’en France cette dernière est liée à l’appartenance à la nation et au contrat social, alors qu’au Québec, la notion de citoyens du Québec n‘a pas un sens juridique propre et signifie toute personne vivant sur le territoire du Québec.

De plus, Marois considère que le Québec, de même que le Canada, contrairement à la France, ne connaissent pas de concept juridique de laïcité, et ce parce que la garantie constitutionnelle de la liberté de religion comporte une obligation de neutralité de l’État, qui ne peut empêcher l’exercice des libertés religieuses dans la sphère publique. Toutefois, les débats récents depuis l’arrivée du gouvernement Legault, indiquent que la donne a changé, elle est désormais un principe législatif et juridique québécois, en empruntant les mêmes voies délibératives qu’en France. Pour Kriegel, la notion française de laïcité n’est pas exportable telle quelle, notamment chez les Anglo-saxons pour qui la construction de la modernité politique repose d’avantage sur le pilier des droits individuels que sur la construction d’un État neutre. En outre, elle renvoie à l’idée qu’aucun peuple ne détient à lui seul le programme de développement de l’humanité et que chaque culture peut y apporter sa contribution. La notion française de la laïcité a institué un État et un espace public neutre par rapport aux confessions religieuses. Cette laïcité et cette neutralité constituent une condition pour que les religions différentes puissent coexister en paix les unes avec les autres, il ne s’agit pas comme on pourrait le croire d’un refus des religions ni d’une indifférence à leur égard.

Cependant, nous observons qu’à certains égards le modèle français et le modèle québécois se rapprochent, notamment sur l’absence d’élément communautaire dans la définition de la citoyenneté. En effet, la Charte québécoise n’autorise aucune distinction d’ordre ethnique, racial, linguistique, religieux ou autre, dans ce qui détermine le fait d’être Québécois, elle est donc compatible avec l’idée d’un nationalisme civique, à savoir qu’est Québécois celui qui vit au Québec. Tandis qu’en France, on est Français parce que l’on possède la nationalité, qui prime sur les appartenances communautaires, et les droits qu’elle confère également ont

primauté. On est d’abord Français avant d’être membre d’une communauté ethnique ou religieuse ou autre. Néanmoins, pour Kriegel l’intégration à la française et celle à la québécoise demeurent des concepts opératoires dans la mesure où il existe une volonté de la société québécoise, canadienne et française de réorganiser le

vivre ensemble au sein d’une diversité accrue tout en construisant une culture fondée sur le respect de la

tradition républicaine et des lois communes. Conclusion du chapitre

Ce chapitre nous a permis de confronter les modèles d’intégration québécois, canadien, français et américain. D’un point de vue épistémologique, si les premières comparaisons des sociologues portent sur les modèles classiques français et américains, toutefois l’importance que prend le phénomène d’immigration dans ces sociétés conduit à s’en éloigner pour proposer des concepts dans l’objectif de représenter le mieux possible cette réalité. Ainsi, aux États-Unis, les notions d’assimilation, d’ethnicité, et de multiculturalisme sont mobilisées à différentes époques, tandis qu’au Québec, au concept canadien de multiculturalisme, on préfère celui d’interculturalisme, alors qu’en France l’assimilation longtemps utilisée est substituée à partir des années 1960, dans le contexte de la décolonisation par l’intégration. L’apport de ce chapitre est d’avoir atténué les oppositions souvent dichotomiques entre le modèle québécois d’intégration et le modèle français que les chercheurs mettent souvent en avant, et ce en faisant des rapprochements sur le rôle modéré de la communauté ethnique et religieuse dans la constitution de l’État-nation, de la citoyenneté, de l’individu civique, et sur l’importance de la laïcité pour maintenir une unité nationale et une certaine cohésion sociétale. Dans le prochain chapitre, nous concentrerons notre attention sur l’intégration au féminin.

Chapitre 5 L’intégration au féminin