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Chapitre 6 Approche critique

6.2 L’intégration en question

6.3.3 Les obstacles pour l’accès aux services sociaux et aux services de santé

Les migrantes rencontrent également des difficultés à trouver une garderie, soit parce que le temps d’attente est trop long, ou parce que les lieux proposés sont trop éloignés du domicile, du lieu de travail ou du local cours de francisation, ou parce que le coût des garderies privées est trop élevé (Pinto 2015 ; De Billy- Garnier 2018). Il leur est également difficile de trouver un logement adéquat à cause du manque de logements à prix modique, d’absence d’historique de crédit et de références ou parce que les logements proposés sont en mauvais état (Pinto 2015 ; De Billy-Garnier 2018). De Billy-Garnier (2018) rapporte les propos d’une exilée colombienne à la recherche d’un appartement : « Quand je suis arrivée, je n’avais pas d’argent. Ça a été un

changement très fort. Le Centre multiethnique a cherché un appartement pour moi dans un bloc très sale. J’ai dit : « Ah, c’est ça l’appartement ». Il était vraiment dégueulasse et trop cher pour moi ».

Certains auteurs soulignent l’accès trop restreint aux soins de santé, pour les plus démunies et les sans-papiers, en matière de soins dentaires, de soins des yeux ainsi que le manque d’informations, de ressources liées aux soins spécialisés (Pinto 2015), et de soins pour l’accouchement (Ricard-Guay, Hanley, Montgomery, Meloni et Rousseau 2014). Nous avons en outre abordé le cas de femmes sans-papiers dont l’expérience de grossesse est marquée par le stress psychologique de leur situation de migrante sans-papiers, à savoir l’anxiété, la peur et l’isolement. L’absence de moyen financier les contraint à travailler jusqu’à leur accouchement, et ce dans des conditions de travail précaires pour payer les frais d’hôpitaux, ou à quitter l’hôpital à peine après avoir accouché parce qu’elles n’ont pas les moyens de les payer, puisque ces frais s’élèvent à près de 1500$ par jour d’hospitalisation (Ricard-Guay, Hanley, Montgomery, Meloni et Rousseau 2014).

Ajoutons que ces observations rejoignent les résultats de l’étude empirique de Berchet et Jusot (2009) menée en France attestant que l’état de santé des migrants est significativement plus dégradé que celui de la population native. De plus, beaucoup d’immigrés vivent mal leur situation précaire si bien que leur situation physique et mentale se détériore. De Billy Garnier (2018) a recueilli les propos de Colombiennes en exil au Québec sur leur expérience à ce sujet : « Depuis quelques mois, je travaille de nuit dans un [dépanneur] […]

Ça m’a causé plein de problèmes ; c’est trop pesant et j’essaie de changer mon quart de travail. […] J’ai dû commencer à voir des médecins. Ils m’ont dit que je faisais une dépression sévère » (voir aussi Crenn 2000).

En effet sur le terrain, les professionnels constatent que l’expérience de l’immigration est un facteur déclencheur de problèmes de santé mentale et de violence familiale, notamment en raison du stress vécu (Ovezea 2015 ; Pinto 2015 ; Crenn 2000 ; Rottmann-Aubé 2014 ; De Billy-Garnier 2018). De plus, le stress socioéconomique qu’il occasionne peut contribuer au développement de maladies mentales telles que la dépression comme illustré dans les propos de la répondante ci-dessus. C’est plus particulièrement les

immigrants sans-papiers légaux qui éprouvent le plus de difficultés, car l’absence de ces papiers entraîne des délais supplémentaires et ajoute plus de stress sur ces personnes (Lacroix 2003 ; Rottmann-Aubé 2014 ; Tshibangu 2015).

Les acteurs de terrain soulignent d’autres facteurs comme le manque d’information chez les immigrants et les intervenants, les problèmes de communication entre organismes et institutions, ainsi que les barrières linguistiques. Pour ce qui est du manque d’information, les intervenants observent que les migrants ayant vécu des expériences pré-migratoires dans un État répressif plutôt que dans un État-providence avec des services de police corrompus peuvent être réticents à l’idée d’aller vers des services offerts par l’État. Des immigrants se méfient même de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) qu’ils considèrent comme une « enleveuse d’enfant ». Une autre cause à souligner qui induirait cette méfiance à l’égard du système de soins est que les migrants ne connaissent pas pour la plupart leurs droits en matière d’accès aux soins de santé. L’absence du recours aux soins trouverait ces justifications dans le fait que lorsque les informations sont transmises notamment au cours de séances d’information, il s’agit surtout d’informations théoriques et non pratiques, ce qui créerait une confusion, chez le migrant.

Les problèmes de communication entre organismes et institutions sont un autre aspect soulevé. Ils sont dus au manque de cohérence entre les stratégies des différents acteurs, ayant pour cause le fait que leurs rôles ou objectifs soient différents. Un intervenant souligne entre autres que le fonctionnement différent de chacun des ministères québécois en matière d’immigration peut créer la confusion et la frustration chez le migrant. En ce qui concerne les barrières linguistiques, il s’agit surtout de la mauvaise connaissance du français constituant un frein à une communication entre l’immigrant et la personne qui peut offrir des soins ou de l’aide. La solution est le recours à des interprètes indépendants, notamment pour ceux rencontrant des problèmes de santé mentale. Or ces services sont coûteux et sujets à des réductions budgétaires, d’où le fait que les employés des services de soins se replient sur l’utilisation des conjoints ou des enfants pour interpréter alors que ceux-ci ne sont pas formés en santé mentale.

L’enquête longitudinale auprès des immigrants de Statistique Canada (2005) montre que les réfugiés sont la catégorie, avec les immigrants économiques qui a rencontré au Canada le plus de difficultés d’accès aux services de soins de santé. Ces difficultés sont les longues listes d’attente et la disponibilité des médecins, le coût élevé des soins de santé, la barrière des langues. Ce sont surtout les réfugiés qui ont considéré le plus le coût élevé des services de santé comme un problème sérieux et la barrière des langues comme le problème le plus grave.

Sur le terrain, on observe neuf facteurs pouvant nuire à l’accessibilité des personnes immigrantes allophones aux soins de santé et aux services sociaux (Rottmann-Aubé 2014). Ils sont l’origine ethnoculturelle

de la personne, son statut d’immigrant, par exemple réfugié, parrainé, réunion familiale, sa condition pré- migratoire, le fait d’avoir vécu des expériences traumatisantes, sa condition socioéconomique, les barrières linguistiques, sa conception de la santé et des maladies, ses croyances religieuses, certains facteurs génétiques et les maladies ethno-spécifiques, ainsi que les barrières structurelles dans les services publics. Rottmann-Aubé (2014) ajoute aussi que la période dans laquelle s’est effectuée l’immigration. On sait par exemple que les personnes arrivées dans les années 40 avaient accès à moins de services. Ces facteurs selon leurs combinaisons pouvant être différentes et multiples auraient un effet négatif multiplicateur (Ibid.).