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Chapitre 2 Approche épistémologique

2.2.2 L’intégration au Québec

Helly (1996) écrit que le multiculturalisme canadien a été adopté en 1971 dans un contexte de demandes de pouvoir des minorités nationales du Canada, à savoir Québec et autochtones, dans le but d’endiguer les revendications des communautés issues de l’immigration. Le multiculturalisme reposait alors sur le maintien de la langue et de la culture des minorités, l’élargissement de leur participation sociale et politique et la création d’une nouvelle identité nationale. Ces principes selon Helly (1996) demeurent actifs de 1980 à 1995, mais connaissent une évolution, à savoir l’enchâssement du multiculturalisme dans la Charte canadienne

des droits et libertés, l’accentuation de la diversité culturelle et raciale en raison de l’arrivée en nombre

d’immigrés non blancs (voir aussi Simard 2014), l’activisme politique des groupes ethniques et des nations autochtones, ainsi que le refus constant du Québec de légitimer le multiculturalisme. En effet, le courant souverainiste québécois s’oppose à la politique multiculturaliste parce qu’il considère que les descendants de colons français et britanniques doivent constituer les deux pôles d’attraction culturelle des immigrés tandis que le multiculturalisme affirme l’égalité des cultures. Ce courant s’oppose par conséquent à la réduction de la culture canadienne-française au rang de culture autre (voir aussi Simard 2014). Selon Helly (1996), désormais le multiculturalisme met moins l’accent sur le développement communautaire des immigrés et la préservation de leurs cultures. Ce sont surtout les luttes contre la discrimination et le racisme, l’égalité des droits socio- économiques et politiques des groupes ethniques, l’insertion de minorités dans les instances publiques et les échanges culturels qui sont mis en avant.

Dans cette perspective, Breton (1996) constate de son côté à travers des enquêtes consultées que le maintien de la culture d’origine des communautés immigrées n’est pas bien vu ni par la majorité culturelle et

encore moins par les membres de ces communautés qui sont nombreux à déclarer souhaiter l’assimilation culturelle. Dans cette perspective, pour Dewitte (1996) bien que le Canada ait poussé très loin l’expérience du multiculturalisme, il a finalement réussi son rôle dans le domaine de la lutte antiraciste, porté par une authentique volonté de lutte contre le racisme et de renouvellement de l’identité nationale, pouvant même inspirer la France.

Pour Robert (2005), l’intégration vue du Québec se cristallise autour d’un contrat moral, car ce contrat tient de l’adhésion plutôt qu’un acte contractuel formel. Il lie le gouvernement, la société d’accueil et les nouveaux arrivants, appelle au partage de la responsabilité de l’intégration entre ces trois parties prenantes. En échange, le gouvernement, s’engage à soutenir l’intégration en offrant des services d’aide à l’établissement, à l’adaptation et à l’intégration, dans un contexte où l’immigrant aura accès à la pleine citoyenneté juridique après trois ans de séjour au Canada. D’après Robert (2005) le modèle d’intégration québécois d’un côté permet aux immigrants d’apporter leur savoir-faire, leurs compétences, leur langue, leur culture et leur religion, et de conserver, s’ils le désirent, ces éléments, de l’autre ils devront en retour, et sur une base de réciprocité, s’adapter à leur nouveau milieu de vie, et respecter les valeurs fondamentales de la société d’accueil.

Ainsi, la sociologie québécoise met en avant la démarche multiculturelle de l’intégration au Québec reposant sur le modèle multiculturel canadien. Simard (2014) écrit que le Canada se définit comme une société multiculturelle dans la mesure où le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens est un objectif enchâssé dans la Charte canadienne des droit et liberté.

Selon Labelle, Field et Icart (Ibid.), l’intégration québécoise s’entend également dans le sens de la communauté culturelle comme nous avons pu l’observer chez Robert (2005), expression apparue avec la création du Ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration du Québec en 1981 (Labelle, Field et Icart, 2007). Selon Labelle, Field et Icart (Ibid.) cette acceptation est unique à la société québécoise et englobe historiquement diverses catégories de population pour désigner les membres des minorités ou groupes ethniques.

Cependant, il semble que pour Larochelle et Lapointe (2006), il y ait une distinction entre le niveau fédéral et québécois. Elles indiquent que pour les acteurs institutionnels québécois, s’intégrer ne signifie pas s’assimiler à la culture québécoise. Les auteurs citent pour appuyer leur propos la définition du ministère de l’Immigration pour qui il s’agit d’un processus d’adaptation à long terme distinct de l’assimilation (voir aussi Labelle 2015). Aux yeux du ministère, l’immigrant est intégré lorsqu’il maîtrise la langue d’accueil qui est le français, participe à l’ensemble de la vie collective et développe un sentiment d’appartenance à son égard. Pour la Fédération des Travailleuses et des Travailleurs du Québec (F.T.Q) être Québécois n’est pas une question d’origine ethnique ou culturelle, mais plutôt une question de sentiment d’appartenance et d’attachement profond aux valeurs de cet espace commun que les Québécois veulent développer pour le mieux-être de tous, et ce

dans le respect des différences. Elles précisent bien que les propos de la F.T.Q ne soient pas de nature scientifique, toutefois ils sont très intéressants, car ils sont teintés d’une idéologie correspondant bien à celle des Québécois en général. D’après Larochelle et Lapointe (2006), ces propos soulèvent en outre l’hypothèse selon laquelle les Québécois sont ouverts aux autres cultures, dans la mesure où est préservée l’identité collective québécoise. Autrement dit, les immigrants peuvent préserver les éléments de leur culture comme leur art, leur musique et les partager avec l’ensemble des Québécois, qui tiennent à préserver la langue française qui représente leur histoire et leur identité.

On retrouve dans ce discours des spécificités propres au Québec comme l’inclusion à travers la langue française qui est constitutive de l’identité nationale et culturelle ainsi que d’un territoire État-nation, et les spécificités canadiennes du multiculturalisme. C’est justement ici qu’apparaît la distinction entre les sens émiques de l’intégration à l’échelle fédérale et celle de la province du Québec. Si au Québec l’intégration passe par la maîtrise du français (voir aussi Simard 2014) et cohabite avec un multiculturalisme à minima, à l’échelle fédérale l’intégration se fait par le multiculturalisme, qui dès lors prédomine sur l’assimilation à une identité nationale et culturelle. Ainsi, Larochelle et Lapointe (2006), écrivent qu’au niveau fédéral, l’esprit des politiques d’intégration des immigrants est différent de celui de la politique qui se fait au Québec puisque le Canada adopte une politique de multiculturalisme, postulant que tous les citoyens sont égaux et qu’ils ont le droit d’être fiers et de conserver leur identité culturelle individuelle. Le multiculturalisme canadien désigne la présence de diverses minorités ethniques qui se définissent comme différentes et tiennent à le demeurer. Il s’agit d’une politique reposant sur le principe des droits individuels. En effet, vu que tous les citoyens sont égaux devant la loi et devraient, quelles que soient leur origine, leur langue et leur culture, avoir les mêmes chances. Selon les auteurs, il s’agit même d’un modèle d’accommodation de la diversité culturelle, car l’individualisme au cœur de cette politique fait que chaque citoyen peut exprimer sa culture minoritaire et par ce fait même enrichir la culture canadienne.

Selon Larochelle et Lapointe (2006), on parlerait de multiculturalisme canadien à l’échelle fédérale pour ce qui est du modèle fédéral d’intégration et d’interculturalisme au Québec pour ce qui est du modèle québécois d’intégration. Le multiculturalisme comme nous déjà mentionné a ses détracteurs. Nous avons vu avec Helly (1996) que les opposants souverainistes lui reprochaient de contredire le principe de la reconnaissance de deux peuples fondateurs, reléguant ainsi les francophones au rang de groupe ethnique. De l’autre, nombreux sont ceux qui trouvent qu’il s’agit d’un modèle propre à une société fragmentée.

Ainsi, d’après nos deux auteurs, l’interculturalisme vise à introduire les immigrants à la culture québécoise avec pour objectif de former une nation distincte du reste du Canada, ici le noyau dur étant la culture québécoise autour de laquelle se greffent les autres cultures. Le Québec a préféré l’interculturalisme au

multiculturalisme parce que le multiculturalisme selon Larochelle et Lapointe (2006) et Simard (2014) réduisait le peuple québécois à n’être qu’une minorité canadienne comme une autre. En outre, l’interculturalisme implique que les immigrants doivent reconnaître et respecter la culture québécoise en tant qu’entité définie se caractérisant par des normes, des règles, des conventions, une langue publique commune, une histoire, un mode de vie, etc. La culture québécoise possède un caractère de culture publique ayant une fonction de cohésion sociale garantie par l’intégration qui ici se situe entre l’assimilation et le multiculturalisme (Simard 2014).