• Aucun résultat trouvé

Chapitre 5 L’intégration au féminin

5.4 L’intégration économique

Labelle et Kempeneers (1987) observaient déjà dans le recensement de 1981, en ce qui concerne les femmes, une intégration différentielle sur le marché du travail avec pour caractéristiques des taux d’activité élevés, des taux de chômage disparates et une concentration dans un éventail restreint de secteurs d’emplois, notamment des emplois sous-qualifiés ou rejetés par la population locale. Elles constatent qu’en Europe, les femmes immigrées jouent un rôle important dans l’économie informelle et le travail au noir, en expansion. En outre, bien qu’elles aient un taux de participation au marché du travail supérieur, on note que dans tous les pays cette participation demeure largement sous-estimée, à cause de leur statut de parrainage masquant souvent leur accès au marché du travail.

Larochelle et Lapointe (2006) se sont intéressés à l’intégration économique des jeunes personnes racisées issues de l’immigration en comparant la situation des hommes à celle des femmes. Les deux auteurs ont constaté que la discrimination explicite serait plus courante chez les hommes que chez les femmes. Les femmes racisées semblent, dans cette étude empirique à faible échantillon, avoir eu moins d’expériences négatives en général de la discrimination, et en sont donc moins affectées, et ce parce que les stéréotypes portés dans les discours racistes concerneraient davantage les hommes que les femmes. Néanmoins, elles connaissent de l’iniquité salariale par rapport aux hommes.

Labelle, Field et Icart (2007) poursuivent et ajoutent que selon une étude du Conseil du statut de la femme (CSF), les femmes immigrantes cumulent les problèmes d’équité en emploi propres aux femmes et de reconnaissance des acquis propres aux immigrants. Ces disparités sont, d’après cette étude comme pour l’ensemble des immigrants, dues à deux facteurs, la période d’immigration et le niveau de scolarité. Ainsi, la période d’immigration est un facteur ayant une forte influence sur l’insertion en emploi. En effet, l’insertion en emploi s'améliore généralement avec la durée de séjour, par exemple alors que 53% des femmes arrivées entre 1996 et 2001 sont actives, celles installées au Québec entre 1976 et 1995 affichent un taux d’activité comparable ou supérieur à celui des Québécoises. Par conséquent, plus elles sont au Québec depuis longtemps, plus leur

taux de chômage décroît, avec des variations allant de 23% pour la vague d’arrivée de 1996 à 2001 à 7% pour le groupe plus ancien arrivé avant 1976 contre 8% pour toutes les Québécoises.

Pour Labelle, Field et Icart (Ibid.), le niveau de scolarité est une donnée à prendre en considération pour décrire la diversité des conditions des femmes immigrées au travail. Effectivement, l’étude du CSF précédemment citée montre que la faiblesse du niveau de scolarité explique un taux de chômage élevé, puisque plus le niveau de scolarité est faible, plus le taux de chômage est important. Le taux de chômage s’élève à 17% pour les femmes immigrées sans diplôme du secondaire, contre 14% chez les Québécoises. Ce taux baisse à 10% pour un diplôme de premier cycle et 6% pour un doctorat, contre respectivement 4% et 5% chez les Québécoises. Quel que soit leur niveau d’études, le taux de chômage chez les femmes immigrées est plus élevé que chez les Québécoises. Parmi les différences par rapport aux origines, l’étude du CSF révèle que les Européennes avec 9% de taux chômage connaissent moins d’inactivité que les Africaines qui ont un taux de 18%, que les immigrées d’Asie méridionale avec un taux de 21%. Tandis que les femmes immigrées d’Asie du Sud-Est et d’Asie orientale jouissent de situations plus favorables. Quant aux femmes immigrées issues du continent américain, elles vivent des conditions diversifiées. Si celles issues d’Amérique du Nord avec un chômage à 6% ont un taux plus bas que celui de l’ensemble des Québécoises, celles provenant d’Amérique centrale, des Caraïbes ou des Bermudes chôment beaucoup plus.

L’étude montre également que les femmes immigrées appartenant aux « minorités visibles » vivent des conditions encore plus désavantageuses sur le marché de l’emploi, que les femmes immigrées dans leur ensemble travaillant plus à temps plein que les autres femmes de la société (76% contre 72%), pour un revenu annuel de 22 375$, soit 66% de celui des hommes immigrés. Notons que cet écart correspond à celui qui s’observe dans la population totale entre hommes et femmes. La situation financière des femmes immigrées avant 1980 était équivalente à celle des Québécoises en général. Par conséquent, cela indique que les femmes immigrées connaissent une amélioration dans le temps sur le marché du travail, surtout si elles vivent en couple.

Ces observations rejoignent également le constat fait par Lacroix (2014) dans son mémoire sur le parcours en emploi des immigrantes sélectionnées au Québec et les différences avec leurs homologues masculins reposant sur une étude quantitative. Ces résultats mettent en lumière un accès plus rapide des hommes à l’emploi qualifié que les femmes. D’un point de vue qualitatif les professionnels intervenus au

Colloque de l’accueil à l’intégration : diagnostic, parcours et expériences en 2014 à Laval font également les

mêmes constats sur le terrain.

Ainsi Ovezea (2015), en comparant la situation des femmes immigrantes avec celle des femmes nées au Canada et celle des hommes immigrants, note qu’elles constituent une population nettement défavorisée sur

entrecroisement d’obstacles et de discriminations liés au processus migratoire et à leur condition de femmes. Selon, l'intervenante, beaucoup de femmes immigrantes se retrouvent dans des conditions socioéconomiques des plus précaires, avec le taux d’emploi le plus bas, le taux de chômage le plus haut, un revenu médian faible et une discrimination salariale marquée, comparativement à leurs homologues féminins natifs et masculins immigrants comme l’observent également Labelle, Field et Icart (2007). Les femmes immigrantes sont effectivement majoritairement concentrées dans des secteurs d’emploi limités qui sont par ailleurs les plus précaires et atypiques. Ainsi, ce sont des travailleuses à contrat, bénéficiant rarement de la sécurité d’emploi ou des avantages sociaux.

D’un côté, celles qui trouvent un emploi doivent composer avec une déqualification et des revenus modestes pour satisfaire aux besoins de leur famille. Ce qui crée chez elle une détresse morale, car elles exercent un métier qui n’est pas à la hauteur de leurs diplômes ou de leurs expériences professionnelles acquises dans leur pays d’origine. De plus, elles sont amenées souvent à faire des travaux qui sont de nature très physique, qu’elles doivent de surcroît conjuguer avec les tâches ménagères et l’éducation des enfants. Ce qui les inscrit dans un cercle vicieux puisque cette lourdeur des tâches et des responsabilités familiales devient souvent insupportable, et affecte ainsi leur chance d’accès à des emplois de qualité et bien rémunérés.

De l’autre, certaines femmes ne parviennent pas à trouver du travail, malgré les nombreuses démarches faites dans ce sens. Ce qui conduit Ovezea (Ibid.) à constater que le parcours des immigrantes lié à l’emploi est long, ardu et semé d’embûches. Parmi ces obstacles, elle soulève la faible reconnaissance de l’expérience et des diplômes acquis dans d’autres pays, les retards dans la délivrance des équivalences de diplômes, les expériences de travail local exigées, la longue liste d’attente pour accéder aux garderies à prix modéré et aux cours de francisation (voir aussi Radio Canada 2019), le manque d’information sur la société québécoise, et la discrimination et les préjugés persistants.

D’autres obstacles à surmonter sont liés aux responsabilités familiales, à la priorisation de la carrière du conjoint, et au fardeau financier additionnel généré par les études lorsqu’il s’agit d’aller chercher un diplôme qui leur permettrait de travailler dans un domaine proche de celui de leur formation de base. Par ailleurs, selon l’intervenante le fait d’avoir un diplôme d’études du Canada peut faciliter l’accès à un emploi valorisant, mais ne le garantit pas. Les femmes immigrées ont tendance à s’orienter vers des domaines plus spécifiques aux femmes, à savoir les professions de la santé et des services sociaux, de l’enseignement, des loisirs et de l’orientation. Or, ce sont des professions moins bien rémunérées. En fait, c’est surtout par leur réseau social que les immigrantes décrochent un emploi dans leur domaine d’études.

Le cheminement des femmes vers l’intégration professionnelle varie, certaines femmes entament d’abord des études, d’autres suivent une formation en employabilité et d’autres vont acquérir quelques

expériences peu valorisantes ne requérant pas de qualification comme le ménage ou l’entretien des maisons privées ou des entreprises sur le marché du travail pour ensuite chercher un soutien en employabilité.

Les emplois précaires et rémunérés au salaire minimum comme le ménage et l’entretien constituent en général une source de revenus dans la période suivant la francisation et durant une formation collégiale ou universitaire, pour pouvoir payer notamment ces études. Et ils représentent une situation gênante pour beaucoup des femmes immigrantes détenant des diplômes universitaires. Pour surmonter ces difficultés du marché du travail, ces femmes privilégient le retour aux études collégiales ou universitaires, mesure qui toutefois ne comble pas le besoin d’avoir une « expérience de travail canadienne », demeurant un prérequis essentiel des employeurs. D’où le fait que leur parcours d’intégration professionnelle se compose souvent d’une alternance entre emploi précaire, chômage, formation.

Si le facteur pour une meilleure insertion semble être le fait d’être francophone et bien scolarisée, toutefois les femmes francophones appartenant aux minorités visibles, même celles qui sont très scolarisées, rencontrent plus de difficultés que celles n’appartenant pas à ces groupes, même après avoir dépassé les cinq premières années après la migration, période considérée comme la plus ardue. Quant aux femmes francophones avec un niveau d’études élevé, elles réussissent éventuellement à avoir des emplois, mais ne répondant à leurs attentes et niveau de compétences et ne permettant pas de mettre en valeur les années d’études dans leurs pays d’origine.

L’intervenante conclut que malgré les ressources mises à contribution pour améliorer l’employabilité des femmes, d’autres facteurs tels que les préjugés, les pratiques discriminatoires et le racisme subsistent encore chez les employeurs. À cela s’ajoutent d’autres facteurs pouvant influencer l’accès à un emploi chez les femmes immigrantes tels que le manque d’information, les différences culturelles ainsi que des aspects logistiques concrets comme le fait de rédiger des outils de recherche d’emploi (CV et lettres de présentation) adaptés au marché du travail québécois. En outre, les femmes immigrantes sont souvent plus vulnérables à cause de leur statut migratoire et de la dépendance vis-à-vis du requérant principal (le conjoint dans la plupart des cas) qui en général a la priorité pour réaliser ses démarches d’intégration professionnelle.

Pour Ovezea (Ibid.), les caractéristiques de la société constituent en soi certains obstacles les affectant doublement, car elles sont femmes et immigrantes. Il s’agit entre autres du système d’emploi contenant des règles ou des pratiques ayant un effet d’exclusion pour les immigrants, notamment pour les femmes venant d’ailleurs (mécanismes de sélection, gestion des carrières, etc.), de la perception négative de l’immigration chez certains membres de la société d’accueil, suscitant des attitudes discriminatoires vis-à-vis les communautés culturelles, et notamment les minorités visibles. Et pour finir, la perception négative des femmes, conduisant

Nous avions déjà abordé le cas des Colombiennes en exil au Québec, récemment étudié par De Billy Garnier (2018), qui soulève une francisation tardive ou insuffisante causée par une aide reçue limitée contraignant ces femmes en exil à quitter de manière hâtive les cours de francisation pour gagner le marché du travail, sans maîtriser l’anglais pour l’insertion en emploi. Nous avons vu à ce sujet que De Billy Garnier utilisait la notion de double exigence pour traiter de ce phénomène. Pour De Billy-Garnier cette double exigence linguistique que l’on retrouve dans les pratiques sur le marché du travail est de nature sociale et non institutionnelle(Ibid.), l’auteur la considère comme particulière au Québec, car elle ne s’impose pas pour les personnes réfugiées installées ailleurs au Canada dans les provinces anglophones où la seule du pays d’accueil suffit pour trouver un emploi (voir aussi Amazan, 2015). Ces Colombiennes dans leur majorité ont connu de surcroît une déqualification professionnelle puisque leurs expériences et diplômes acquis dans le pays d’origine n’ont pas été reconnus. De plus, le recours aux dispositifs institutionnels tels que le programme PRIIME d’Emploi-Québec, prêts et bourses n’ont pas été suffisants pour contrer les effets de la déqualification. Elles se sont pratiquement toutes retrouvées à travailler dans une manufacture ou dans l’entretien. Celles qui ont tenté de réorienter leur stratégie d’insertion socioéconomique en effectuant une formation technique ou professionnelle de niveau collégial, même après avoir consolidé leur maîtrise du français, n’y sont pas parvenues. Les études universitaires n’étaient pas non plus envisageables pour un certain nombre d’entre elles, du fait des responsabilités familiales, mais surtout de la durée, des coûts, même avec l’apport financier de prêts et de bourses.

En outre, De Billy-Garnier (Ibid.) souligne la tendance générale, des dispositifs de réorientation professionnelle de diriger les femmes vers des formations à teneur féminine, de courtes durées, visant la garde d’enfants en Centres de la petite enfance (CPE), en milieu familial ou en milieu scolaire, et débouchant généralement sur des emplois précaires ou sur appel. Ce qui entraîne des conséquences lourdes. Comme les régions du Québec offrent moins de mesures pour favoriser l’insertion des femmes immigrantes et leur famille, De Billy-Garnier (Ibid.) observe qu’elles déménagent par conséquent souvent dans les grands centres urbains du Canada ou vivent dans l’exclusion.

Conclusion du chapitre

Notre réflexion, ici centrée sur la condition de la femme dans le processus d’intégration, met en lumière la situation d’intersectionnalité dans laquelle elle se trouve. Les femmes immigrées sont doublement discriminées en subissant à la fois la discrimination faite aux femmes et celle faite aux immigrés. Certaines catégories de femmes immigrées cumulent ces obstacles, c’est le cas des femmes immigrées racisées ou appartenant aux minorités, des demandeuses d’asile ou des femmes sans papiers. Nous poursuivrons au prochain chapitre les réflexions entamées ici sur les questions de discrimination et mettrons en évidence la critique sociologique de ces dispositifs d’intégration.

Chapitre 6 Approche critique