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Chapitre 2 Approche épistémologique

2.3 L’intégration du demandeur d’asile

Si à l’origine l’asile désigne un lieu où une personne poursuivie peut trouver refuge et échapper ainsi au danger pesant sur sa vie, sa liberté ou sa sécurité, son sens évolue notamment dans le contexte de l’après- Seconde Guerre mondiale (Lochak 2002). Notons que le terme connaît de nombreuses évolutions comme l’atteste Ségur (1996 ; voir aussi Créac'h 2002 ; Lacroix 2003). Selon ce dernier, elle est et a toujours été sujette à mutations et varie au gré de l'intensité des flux migratoires et de la volonté politique des pays d'accueil. Depuis peu, on parle de crise du droit d’asile, elle-même lié aux crises migratoires à savoir aux afflux importants de réfugiés fuyant les guerres et la misère économique et sociale, ainsi qu’à la volonté de plus en plus marquée des pays à limiter l’accueil des réfugiés sur leur territoire (Crépeau 1996b ; Fassmann et Masser 1996 ; Mikowski 1996 ; Ségur 1996 ; Teitgen-Colly 1996 ; Brachet 2002 ; Dewitte 2002 ; Lochak 2002 ; Lacroix 2003 ; Delouvin, Monfort et Teule 2005)

.

La naissance du statut normatif et international de réfugié traduit un changement important de problématique avec le passage d’une conception collective dans laquelle le réfugié se définissait par l’appartenance à un groupe déterminé, à une conception individuelle du réfugié. Le réfugié est désormais celui sur qui pèse la crainte de persécutions et dont le statut doit être déterminé en fonction des autorités afférentes des États. Il ne bénéficie donc pas d’un droit d’asile, puisque ce dernier n’existe pas, car l’asile est régi par le principe de la souveraineté des États et qu’il existe peu de dispositions de droit interne ou de droit international qui obligent les États à accorder l’asile (Lochak 2002 ; voir aussi Tshinangu 2015).

Ricœur (2006) dans La condition d’étranger revient sur la condition de l’étranger en tant que réfugié. Il précise que la question des réfugiés constitue à elle seule un chapitre immense excédent les limites d’une réflexion sur la condition d’étranger. Ici deux éléments interfèrent, à savoir le choix souverain des États quant à la composition de sa population, donc à l’accès à son territoire, et le droit à la protection de populations persécutées, correspondant au devoir d’asile du côté des pays d’accueil (voir aussi Lochak 2002).

L’auteur souligne comme l’avait montré Lochak (2002) que le droit contemporain des réfugiés trouve son origine dans la tradition d’asile liée à une antique tradition d’hospitalité. L’asile est en effet présent dans les institutions des civilisations fondatrices biblique et hellénique. À ce sujet, Ricœur cite Grotius qui écrit en 1625 : « On ne doit pas refuser une demeure fixe à des étrangers qui, chassés de leur patrie, cherchent une retraite,

pourvu qu’ils se soumettent au gouvernement établi et qu’ils observent toutes les prescriptions nécessaires pour prévenir les séditions » (cité dans Lochak 2002, 31). On retrouve dans ces propos de Grotius l’idée que

l’étranger accueilli comme réfugié doit se soumettre aux instances politiques et aux normes de son pays d’accueil, à savoir la soumission au gouvernement établi et le respect des prescriptions nécessaires.

2.3.2 La condition de demandeur d’asile au Québec et au Canada

Selon Crépeau (1996b), le traitement des étrangers par le droit se caractérise par deux traits, à savoir d’une part la forte protection du territoire et du marché du travail canadien par la mise en œuvre de politiques de sélection des immigrants et de contrôle des étrangers aux frontières, d’autre part, la protection constitutionnelle des droits et des libertés de tous, y compris des étrangers, et l’assimilation juridique quasi totale des immigrants aux citoyens, par le biais de la Charte canadienne des droits et libertés. Dans la perspective juridique canadienne, le demandeur d’asile appartient à la catégorie de l’immigration humanitaire, il y est reconnu réfugié selon la procédure canadienne de reconnaissance du statut de réfugié. Cette catégorie comprend les réfugiés au sens de la convention de Genève. D’après Crépeau (1996b), le Canada comme tous les pays de l’OCDE a apporté d’importantes modifications à ce processus de reconnaissance du statut de réfugié, avec les réformes de 1989 et 1993, le renforcement des mesures de contrôle des frontières et de renvoi des étrangers dits indésirables. Par ailleurs, le Canada participe aux instances de concertation entre pays industrialisés pour limiter les flux de migration irrégulière (à ce sujet voir aussi Crépeau 1996a).

Le processus de reconnaissance du statut de réfugié est à la fois administratif et judiciaire. L’étranger se présentant à la frontière pour demander l’asile est reçu en entrevue par un agent d’immigration qui consulte ses documents d’identité et de voyage. Cet agent peut d’après la loi décider du renvoi immédiat du demandeur d’asile dans un pays de premier asile par lequel il aurait transité. Par ailleurs, la mise en attente aux États-Unis des demandeurs d’asile qui se présentent à la frontière américaine est systématique. L’agent, lorsqu’il considère la demande comme recevable, défère la demande d’asile à la section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Un fonctionnaire instruit le dossier, le demandeur est représenté par un avocat, rémunéré le cas échéant par le système provincial d’aide juridique, en suite la cause est défendue en général devant un panel de deux commissaires. La décision négative peut être attaquée en Division de première instance de la Cour fédérale, et ce par voie de contrôle judiciaire. La décision de refus de la Division de première instance peut être portée en appel de la Cour fédérale, mais seulement si la Division de première instance a dans son jugement déclaré que le dossier révèle et énonce une question sérieuse d’importance générale. Durant l’appel sauf exception le demandeur d’asile ne peut être renvoyé du Canada.

Pour Lacroix (2003) le statut et la situation de demandeur d’asile implique des mécanismes d’exclusion. Aussi écrit-elle que la compréhension du sort des demandeurs d’asile commence par l’examen du discours sur l’immigration, les politiques relatives aux réfugiés, et les pratiques qui en découlent. Au sein des États, ces

pratiques sont instaurées par l’entremise de politiques et de mesures administratives restrictives variées et participent à la perception du réfugié en tant qu’Autre et à l’exclusion des réfugiés d’une participation pleine et entière à la vie politique de la société d’accueil. L’exclusion au cœur de la politique actuelle relative aux réfugiés du Canada d’un côté se traduit par des pratiques engendrant l’exclusion de la participation à la vie politique, publique et collective de la société d’accueil, de l’autre engendre l’élaboration d’un discours dominant sur les réfugiés, reniant leurs expériences individuelles (Ibid.).

Selon Lacroix (Ibid.) c’est par l’obligation qu’ils ont de prouver le statut de réfugié par l’intermédiaire d’un processus de reconnaissance qu’ils sont bien des réfugiés que ces pratiques d’exclusion repoussent les demandeurs d’asile plus avant dans leur réfugitude. Ces politiques restrictives relatives à l’immigration et aux réfugiés ont une incidence profonde sur les réfugiés, car en plus de restreindre les déplacements et les possibilités de réinstallation, elles altèrent en profondeur la subjectivité des demandeurs d’asile en les enfermant dans des définitions désuètes et peu pertinentes. Lacroix (2003) ajoute que le Canada a été un chef de file en matière de mesures restrictives et a même inspiré des pays d’Europe qui, au début des années 1990, ont entériné des mesures similaires.

D’après Lacroix (Ibid.), c’est surtout depuis l’arrivée « massive » de réfugiés au début des années 1980 que l’histoire de l’immigration au Canada a beaucoup retenu l’attention au cours des dernières années, 25 000 et 30 000 demandeurs d’asile sont reçus aux frontières canadiennes. Si depuis la Deuxième Guerre mondiale le Canada a connu différentes vagues de réfugiés, la politique canadienne en matière de demande d’asile se caractérise par le contrôle de l’immigration par la mise en œuvre de mesures de plus en plus restrictives afin de contrôler l’entrée des immigrants et des réfugiés.

En 1969, le Canada adhère à la Convention de Genève et instaure en 1978, avec la Loi sur l’immigration de 1976, un processus de reconnaissance du statut de réfugié. À l’origine, le processus ne garantissait pas aux demandeurs d’asile une audition orale lors de leur demande d’asile. Cependant, en 1985, ce processus a été contesté et la Cour suprême du Canada a statué dans l’arrêt Singh que les demandeurs d’asile ont les mêmes droits que les Canadiens et qu’ils ont donc le droit à une audition orale lors du dépôt de leur demande d’asile. L’arrivée en masse de réfugiés d’Amérique centrale, d’Asie et d’Afrique met à mal le système conçu en 1976, qui n’était plus en mesure de traiter toutes les demandes accumulées. En 1987, une crise de réfugiés est déclarée après l’arrivée d’un bateau transportant des Sikhs au large des côtes de la Nouvelle-Écosse. Le Parlement canadien est convoqué d’urgence et dépose un nouveau projet de loi et ce dans un contexte où l’opinion publique a été influencée par une campagne publicitaire menée par le ministère de l’Immigration qui a donné une image négative des réfugiés, qu’il décrivit comme des fraudeurs, des abuseurs

du système, des « faux réfugiés », des aspirants à l’immigration utilisant ce mécanisme afin d’arriver au pays plus rapidement.

Discours rappelant celui d’un autre ministre abordé par Lapalme (2013) contre les demandeurs d’asile mexicains quelques années plus tard. En effet, 2009, les demandeurs d’asile mexicains se sont vu taxer de « faux réfugiés » par le gouvernement canadien de l’époque (Ibid.). Prétexte utilisé pour justifier l’instauration d’un visa pour accéder au territoire canadien. Pour le ministre canadien, les nombreux Mexicains » demandant l’asile au Canada constituaient des « faux » réfugiés, ils sont surtout des migrants économiques n’ayant pas besoin de protection. Tshibangu (2015) cite également les propos de Jason Kenney, alors ministre de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme du gouvernement conservateur dirigé par monsieur Harper:

Nous possédons une fière tradition d’accorder refuge aux personnes dans le besoin. Malheureusement, cette tradition est désormais en péril, car trop de gens viennent ici en se faisant passer pour des réfugiés, abusent de notre générosité et violent nos lois. En réalité, presque 60% des personnes qui présentent une demande d’asile au Canada n’ont pas véritablement besoin de notre protection. (Tshibangu 2015, 44)

Selon Lacroix (2003), les discours des groupes de défense des réfugiés ont surtout porté sur les questions de séparation familiale pouvant durer de trois à six ans, sur celles de droit à la résidence permanente pour ceux qui n’ont pas de documents d’identité comme les Somaliens ou les Afghans et sur le statut de réfugié en soi. De plus, pour plusieurs demandeurs d’asile, la durée d’attente pour l’audition devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié peut atteindre sept mois, et de 22 mois pour devenir résident permanent une fois reconnu comme réfugié au sens de la Convention. Durant cette période, les demandeurs d’asile ont un accès limité au marché du travail, ainsi qu’aux services de bien-être social et de soins de santé et ils sont en général séparés de leur famille immédiate.

Lacroix (Ibid.) conclut que le processus de reconnaissance du statut de réfugié ne permet pas au demandeur d’asile de s’occuper pleinement des questions relatives à l’établissement et à l’intégration, étant donné la nature précaire de sa situation de demandeur d’asile. Durant cette période, il vit dans l’incertitude de la réponse que donnera sa demande et vit constamment dans la peur d’être déporté si sa demande est rejetée. Dans cette approche critique de la situation des demandeurs d’asile entamée par Lacroix (Ibid.), nous pouvons citer l’ouvrage L’intégration des immigrants au Canada. Conflits de valeurs et problématiques d’adaptation de Tshibangu (2015) dans lequel il montre que les demandeurs d’asile sont la catégorie la plus exposée aux difficultés. Parmi ces difficultés, on compte les causes sous-jacentes à la fuite de leurs pays pour aller chercher l’asile ailleurs, le fait que l’octroi du statut d’asile n’est pas acquis d’office puisqu’ils doivent répondre aux

c’est justement dans cet aspect que l’insertion sociale dans le milieu d’accueil des demandeurs d’asile connaît son premier obstacle, car entre les papiers et les preuves à exhiber, le demandeur d’asile passe à travers une longue litanie de procédures, où les plus chanceux connaissent un processus accéléré et ont leurs papiers au bout de quelques semaines ou de quelques mois seulement, tandis que pour d’autres cela peut durer jusqu’à quelques années, avec une moyenne de deux ans. À cela s’ajoute la méfiance des autorités canadiennes sur la fiabilité des demandes d’asile présentées comme on a pu le constater avec des demandeurs d’asile taxés de faux réfugiés et qui seraient en fait des migrants économiques.

Conclusion du chapitre

Nous venons dans ce chapitre d’aborder, dans une perspective épistémologique, le concept d’intégration et la notion de réfugié qui ont connu des évolutions et se sont progressivement éloignés de leurs sens classiques. Le concept d’intégration fondé dans la sociologie classique prend la forme initiale de cohésion sociale, puis d’assimilation pour finir par s’en éloigner du fait de la diversité de modèle en concurrence aussi bien au sein de l’État-nation qu’entre l’échelon fédéral et provincial. Ainsi, si au niveau fédéral canadien l’intégration renvoie au multiculturalisme, au Québec on lui préfère l’interculturalisme, compromis entre la volonté de préserver l’identité culturelle québécoise et l’attachement aux valeurs canadiennes de l’acceptation de la culture de l’autre. Pour ce qui est du demandeur d’asile qui a, dans les temps anciens, bénéficié d’une aura positive avec une tradition de l’accueil du demandeur d’asile comme valeur nationale. Désormais, les États sont peu enclins à les recevoir, et ont développé un arsenal de mesures restrictives et dissuasives complexifiant dès lors son intégration. Dans le chapitre suivant nous nous intéresserons au discours et l’expérience du demandeur d’asile au regard de l’intégration et ses dispositifs et ce par le biais de l’approche phénoménologique.

Chapitre 3 Approche phénoménologique