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Statut ambigu des femmes dans l’espace public

DEVELOPPEMENT ENTRE TRADITION ET MODERNITE

1. Du global au local : de la notion de culture à la culture arabo-musulmane L’anthropologie se plaçant du point de vue de l’espèce présente le concept le

1.2. La culture du monde arabo-musulman

1.2.3. Statut ambigu des femmes dans l’espace public

Nourreddine Toualbi souligne le début d’une nouvelle ère en Algérie, laquelle se manifeste par une intention, voire un projet de construction d’une société moderne sur des éléments traditionnels. « Quelle que fut l’intensité de la résistance opposée au colonisateur, celle-ci n’eut évidemment pas raison de l’infiltration progressive dans le pays des modèles occidentaux drainés par cent trente années de peuplement colonial. Il s’en est suivi que le moment de l’indépendance nationale a coïncidé avec le constat sociologique d’une acculturation largement entamée des populations urbaines en particulier, qui étaient restées, on s’en doute, bien plus proches des modèles étrangers

que leurs homologues ruraux1 ». Dans cette perspective, la femme se trouve entre deux

modèles antagonistes : l’un traditionnel concernant la sphère privée et l’autre modèle la sphère publique à l’époque de l’indépendance de l’Algérie. L’irruption de la femme

dans la sphère publique2, masculine par tradition, constitue une menace pour les

structures patriarcales.

Zineb Benzerfa-Guerroudj et Moshira El-Rafey abordent les changements apportés par les femmes dans des pays en voie de développement, et surtout dans les sociétés musulmanes, en mettant en avant les revendications du mouvement des femmes et les résistances des institutions patriarcales dominantes, mettant à jour les stratégies par lesquelles les femmes transforment leur utilisation et leur appropriation de l’espace et redessinent ainsi les contours de la culture dominante.

1.3. Entre tradition et modernité, un changement

Selon Georges Balandier, si la culture n’est pas un donné, un héritage qui se transmettrait tel quel de génération en génération, c’est qu’elle est une production historique en perpétuelle évolution, c’est-à-dire une construction qui s’inscrit dans l’histoire, et plus précisément dans l’histoire des rapports des groupes sociaux entre eux. Pour analyser un système culturel, il est donc nécessaire d’analyser la situation sociohistorique qui le produit. Toute culture particulière est un assemblage d’éléments originaux et d’éléments importés, d’inventions propres et d’emprunts. Selon ce type d’analyse, les cultures populaires ne sont ni entièrement dépendantes, ni entièrement

1 N. TOUALBI THAALIBI, (1984). Religion, Rites et Mutations, Alger, O.P.U., p.58.

2 Y. FEKKAR, (1982). « La femme, son corps et l’Islam, questions et contradictions suscitées par le vécu quotidien en Algérie », Le Maghreb musulman en 1979, Annuaire de l’Afrique, volume 18, Paris, C.E.R.S.M./C.N.R.S., (pp.135-146) pp. 83-93.

autonomes, ni de pure imitation, ni de pure création. Les cultures populaires sont par définition des cultures des groupes sociaux subalternes. Elles se construisent donc dans une situation de domination et de subordination par rapports aux autres groupes sociaux1.

G. Balandier propose une nouvelle anthropologie : une anthropologie

dynamique2, l’étude du changement. Le changement n’est plus considéré comme

faisant partie de l’accidentel et du marginal, mais se trouve dans la nature même des sociétés. L’objet de cette nouvelle orientation est le changement. Pour lui, les conflits et les dysfonctionnements sont inhérents à tout système social, c’est ce qui génère le changement. Du changement de la société coloniale au développement du Tiers-Monde de ce détour, à la société actuelle, c’est une sociologie des « turbulences », de la crise

que G. Balandier entreprend3. La société peut-être caractérisée par ce qui perdure, mais

aussi par les événements imprévus qui sont instables et dynamiques. Cette coupure entre le statique et le dynamique est pour G. Balandier l’équivalent de l’opposition diachronie (évolution dans le temps) et synchronie (ensemble des faits à une époque précise). Cette coupure n’a plus lieu d’être : la dynamique sociale est inhérente aux structures mêmes de la société et active en permanence. La dynamique s’inscrit dans la nature même de toute société. Cette dynamique sociale dépend de deux facteurs : les facteurs externes (relations avec d’autres cultures…) et les facteurs internes (à l’intérieur même de la société, ou cycle de vie). Il s’agit aussi bien d’une dynamique du dedans que d’une dynamique du dehors. Cette vision s’oppose aux dichotomies fortement valorisées par des courants comme le structuralisme : statique/dynamique, stable/instable, tradition/modernité, ordre/désordre qui vient remplacer une approche dialectique entre forces de rupture et de continuité. Pour G. Balandier, toute société est génératrice d’ordre (continuité) et de désordre (rupture). La modernité, pour G.

1 G. BALANDIER, (2001). « La situation coloniale : approche théorique (Extraits) ». Cahiers

internationaux de sociologie, volume 110 - janvier-juin 2001. Il est impossible de comprendre les

sociétés africaines contemporaines sans comprendre les sociétés coloniales et vice-versa.

2

G. BALANDIER, (1971). Sens et puissance. Les dynamiques sociales, Paris, P.U.F., Quadrige, 4ème éd. 2004, P.U.F., 334 p.

3 G. GOSSELIN, (1988). « Chapitre l’anthropologie actuelle de George Balandier », pp. 15-33. p.20., in G. GOSSELIN (dir.), Les nouveaux enjeux de l’anthropologie. Autour de G. Balandier, Décade de Cerisy, Paris, L’Harmattan, Logiques sociales, 2000, 302 p. p. 20.

Balandier, c’est l’irruption de l’événement1. L’anthropologie de G. Balandier débouche

sur un champ d’analyse d’actualité : celui de la tradition et de la modernité2.

Léon Dion1 présente l’étude d’une société envisagée sous l’angle de la

dynamique des institutions, groupes et agents et en même temps il cherche à mettre au point des techniques de mesure du changement dans une société au cours d’une période donnée. Sa méthode d’analyse comporte plusieurs opérations distinctes mais reliées logiquement les unes aux autres. Aucune de ces opérations, toutefois, ne s’impose d’elle-même. Sa première étape est l’identification des paliers d’une société. Il distingue ainsi sept niveaux différents : écologie, démographie, technologie, économie, stratification sociale, politique et culture. Il décrit également le continuum traditionnel-moderne. L’étude de la dynamique des sociétés ne saurait être complète si, à la recherche des interactions systémiques, ne se joignait celle de l’évolution dans le temps. La typologie élémentaire : société traditionnelle et société moderne lui paraît

pleinement satisfaisante2.

Une société est dite traditionnelle quand, à tous ses paliers, les principes d’organisation et d’action sanctionnent en permanence la production des mêmes attitudes et des mêmes conduites (ritualisme), quand ses membres disposent d’un outillage intellectuel et technique simple (archaïsme) et quand, au surplus, existent des mécanismes de cohésion psychologiques, culturels et politiques inspirés de valeurs globales, élémentaires et syncrétiques (mythes) antagonistes au changement au sein des structures sociales et mentales, de façon à ce que se perpétuent les sanctions familières jugées les seules légitimes pour fonder l’ordre social (monisme des fins).

Une société est dite moderne quand, à tous ses paliers, les principes d’organisation et d’action sollicitent le renouvellement constant des attitudes et des conduites (innovationnisme), quand ses membres disposent d’un outillage intellectuel et matériel complexe (technicisme) et quand, au surplus, existent des mécanismes de cohésion psychologiques, culturels et politiques inspirés de valeurs partielles, secondaires et multiples (idéologies) favorables au changement au sein des structures

1

G. BALANDIER, (1980). Le pouvoir sur scène, Paris, Balland, 172 p. [3e éd. revue et augmentée : Fayard, 2006].

2 G. GOSSELIN, (1988). « Chapitre l’anthropologie actuelle de George Balandier », pp. 15-33. p.20., in G. GOSSELIN (dir.), Les nouveaux enjeux de l’anthropologie. Autour de G. Balandier, Décade de Cerisy, Paris, L’Harmattan, Logiques sociales, 2000, 302 p.

sociales et mentales de façon à ce que les thèmes de légitimation de l’ordre social puissent être multiples et périodiquement remplacés (pluralisme des fins).

La modernité est un mode de civilisation caractéristique, qui s’oppose au mode de la tradition, c’est-à-dire à toutes les autres cultures antérieures ou traditionnelles. Pourtant elle demeure une notion confuse, qui connote globalement toute une évolution

historique et un changement de mentalité. Inextricablement mythe et réalité, la

modernité se spécifie dans tous les domaines : État moderne, technique moderne, musique et peinture modernes, mœurs et idées modernes. Née de certains bouleversements profonds de l’organisation économique et sociale, elle s’accomplit au niveau des mœurs, du mode de vie et du quotidien. Il n’y a pas de lois de la modernité, il n’y a que des traits de la modernité. Il n’y a pas non plus de théorie, mais une logique de la modernité, et une idéologie. Morale du changement, elle s’oppose à la morale de la tradition, mais elle se garde tout autant du changement radical. C’est la « tradition du nouveau ».

La révolution industrielle de 1789 met en place l’Etat bourgeois moderne, centralisé et démocratique, la nation avec son système constitutionnel, son organisation politique et bureaucratique. Le progrès continuel des sciences et des techniques, la division rationnelle du travail industriel introduisent dans la vie sociale une dimension de changement permanent, de déstructuration des mœurs et de la culture traditionnelle. Simultanément, la division sociale du travail introduit des clivages politiques profonds, une dimension de luttes sociales et de conflits qui se répercuteront à travers les siècles suivants. Ces deux aspects majeurs, auxquels viendront s’ajouter la croissance démographique, la concentration urbaine et le développement gigantesque des moyens de communication et d’information, marqueront de façon décisive la modernité comme pratique sociale et mode de vie articulé sur le changement, l’innovation, mais aussi sur l’inquiétude, l’instabilité, la mobilisation continuelle, la subjectivité mouvante, la tension, la crise, et comme représentation idéale ou mythologie.

L’essor prodigieux, surtout depuis un siècle, des sciences et des techniques, le développement rationnel et systématique des moyens de production, de leur gestion et 1 L. DION, (1969). « Notes de recherche. Méthode d’analyse pour l’étude de la dynamique et de l’évolution des sociétés », in Recherches sociographiques, volume 10, n° 1, janvier-avril 1969, pp. 102-115.

2

de leur organisation marquent la modernité comme l’ère de la productivité : intensification du travail humain et de la domination humaine sur la nature. C’est le commun dénominateur de toutes les nations modernes. Si cette « révolution » des forces productives, parce qu’elle laisse relativement inchangés les rapports de production et les rapports sociaux, n’a pas changé la vie, elle modifie du moins d’une génération à l’autre les conditions de vie. Elle instaure aujourd’hui une mutation profonde dans la modernité : le passage d’une civilisation du travail et du progrès à une civilisation de la consommation et du loisir.

Cette tendance fondamentale est suractivée depuis le XXème siècle par la

diffusion industrielle des moyens culturels, l’extension d’une culture de masse et l’intervention des médias (presse, cinéma, radio, télévision, publicité). Le caractère éphémère des contenus et des formes s’est accentué, les révolutions de style, de mode, d’écriture, de mœurs ne se comptent plus.

Tradition et modernité dans les sociétés du Tiers Monde1

Les traits distinctifs, la problématique et les contradictions de la modernité se révèlent avec le plus de force là où son impact historique et politique est le plus brutal : sur les sociétés tribales ou traditionnelles colonisées. Les anciens systèmes d’échange sont déstructurés par l’irruption de la monnaie et d’une économie de marché. Les systèmes de pouvoir traditionnels s’effacent sous la pression des administrations coloniales ou des nouvelles bureaucraties. Cependant, faute d’une révolution politique et industrielle en profondeur, ce sont souvent les aspects les plus techniques, les plus exportables de la modernité qui touchent les sociétés en voie de développement : les objets de production et de consommation industrielle.

Dans un premier temps, la modernité apparaît ici aussi comme rupture, l’analyse plus fine inaugurée depuis la Seconde Guerre mondiale par l’anthropologie politique (G. Balandier2, E Leach3, D.E. Apter, G. Althabe) montre que les choses sont plus

1

Evolution des termes : pays arriérés, pays sous-développés, pays en voie de développement, pays émergeants ; Tiers-Monde, pays non alignés…

Entretien avec Jean Baudrillard, Modernité, Article de l’Encyclopédia Universalis.

2 G. BALANDIER, (1967). Anthropologie politique, Paris, P.U.F.

3 Edmund LEACH, d’origine britannique. Il a fait un long séjour parmi les populations de Birmanie pendant la seconde guerre mondiale dont il a tiré son principal ouvrage. Il remet en question le fonctionnalisme au début des années 1960 et il contribue à l’adoption du structuralisme dans l’anthropologie anglo-saxonne.

E. LEACH, (1973). Les systèmes politiques des Hautes-Terres de Birmanie, coll. Bibliothèque d’Anthropologie, Paris, Maspero, p. 399.

complexes. Le système traditionnel (tribal, clanique, lignager) oppose au changement la plus forte résistance, et les structures modernes (administratives, morales, religieuses) y nouent avec la tradition de curieux compromis. La modernité y passe toujours par un retour de la tradition.

La dynamique de la modernité se révèle ainsi, aussi bien en Occident que dans le Tiers-Monde, à la fois lieu d’émergence des facteurs de rupture et solution de compromis avec les facteurs d’ordre et de tradition. La mobilité qu’elle implique à tous les niveaux (sociale, professionnelle, géographique, matrimoniale, de mode) ne définit encore que la part de changement tolérable par le système, sans qu’il soit changé pour l’essentiel. G. Balandier dit des pays d’Afrique noire que les affrontements politiques s’expriment dans une large mesure, mais non exclusivement, par le débat du traditionnel et du moderne : ce dernier apparaît surtout comme leur moyen et non comme leur cause principale ».

Culturellement, la technique occidentale valorise l’individualisme, la compétition, la richesse comme critère de statut social. Au modèle de production s’ajoute celui de la consommation, aujourd’hui proposé par les médias. La publicité ou même simplement l’image de objets de la civilisation industrielle suscite le désir.

Dans les pays occidentaux, il a participé à l’évolution de l’ensemble d’une société passant d’un mode de vie traditionnel (issue des cultures rurales) à un mode de vie moderne gérant le temps et l’espace de façon différente.