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1. Quatre stades d'appréhension des phénomènes rationnels

1.1. Le stade des partitions (partitioning)

1.1.1. Description et références

Dans la littérature d'expression anglaise (Kieren ; 1988 et 1992) ce terme désigne aussi bien le résultat d'une partition classique d'un ensemble T en sous- ensembles non vides, disjoints deux à deux et de réunion égale à l'ensemble T, que les moyens :

• numériques − dans un contexte discret − par décomposition additive (Vergnaud ; 1983) ou encore par distribution cyclique, en parts égales à chaque tour, jusqu'à épuisement de la collection (Davis et Pitkethly ; 1990),

• géométrico-physiques − dans un contexte continu − par découpage, pliage... en parts égales ou pas (Kieren, Mason et Pirie ; 1992),

• de réaliser une telle partition ou en tout cas de la décrire.

L'importance des schèmes de partition dans la construction des nombres rationnels par les élèves est soulignée par nombre d'auteurs : Vergnaud, 1983 ; Behr, Lesh, Post et Silver, 1983 ; Hunting, 1984 ; Streefland, 1991 ; Kieren, 1993. Pour ce dernier notamment : "... partitioning is central to the development of fractional number knowledge." (cité par Pitkethly et Hunting, 1996, p 9). Examinons un peu plus attentivement le type de problèmes que cette procédure clé permet de résoudre.

1.1.2. Exemples de problèmes résolubles à ce stade

Nous en examinerons trois types :

• Soit des problèmes de gestion additive d'une collection : décomposition d'une collection en sous-collections et désignation additive du cardinal de l'ensemble dans le but de comparer la collection initiale à une autre collection ("plus que", "moins que", "autant que") ; ou encore de la discriminer d'autres collections, lorsque les moyens numériques dont on dispose sont insuffisants pour travailler sur le total. Cette procédure

est observée notamment en début de cycle 2-CP, lorsque les capacités de dénombrement des élèves n'excèdent pas (ERMEL CP ; 1985, pp. 173-181) une dizaine d'objets.

• Soit des problèmes de répartition d'un tout discret en parts égales (Dealing) ou inégales. Si on suppose le tout matérialisé, la prise en compte du nombre total d'objets à partager n'est pas utile : il suffit de procéder par répartitions, − égales dans le cas d’un partage équitable, inégales suivant certaines contraintes dans le cas contraire − et successives, entre tous les participants, en plusieurs tours éventuellement, jusqu'à épuisement de la collection.

Si on suppose que le problème est à résoudre en l’absence du matériel concret à distribuer (répartir équitablement ou inéquitablement − en indiquant par exemple un maximum par part − 32 objets, non physiquement présents, dans 8 enveloppes), le total doit alors être pris en compte sous une forme numérique (ici 32), les parties constituées par tâtonnements additifs par exemple, avec ajustements éventuels à la baisse ou à la hausse, la vérification se faisant par addition effective des cardinaux des parties. De tels problèmes peuvent être soumis à des élèves dès la fin du cycle I ou début du cycle 2 (ERMEL CP ; 1991, pp. 101-111). On notera que les résolutions de type multiplicatif ne sont pas envisagées ici, car elles relèvent déjà de la relation partie/tout qui sera étudiée au stade suivant.

• Soit enfin des problèmes de partage en parts égales d'un tout continu. On pourra alors procéder par pliages ou constructions géométriques suivant le niveau où l'on se situe, avec plus ou moins de précision et de réussite, au moyen de procédures exactes ou approchées, comme la prise récursive de la moitié − iterated halving − (Pothier et Sawada ;1983). Ces problèmes, qui peuvent se poser dès la fin du cycle I, trouvent des applications jusqu'au collège et au-delà (partage d'un segment en segments égaux au moyen du théorème de Thalès par exemple).

1.1.3. Moyens d'expression sollicités par un discours à ce stade

Ils sont relativement limités à un usage oral et écrit des premiers nombres entiers, sur lesquels on effectuera quelques traitements plus ou moins empiriques en vue de les comparer ou de les additionner d’une part ; de schémas plans, plus ou moins géométriques, dans le cas continu d’autre part. Ces derniers et les conceptions qui leur sont (restent) attachées seront étudiés en détail au chapitre IV. Nous nous bornerons

susceptibles d'accompagner les évolutions et accommodations nécessaires pour accéder aux stades ultérieurs ?

1.1.4. Nature des rationnels liés à ce stade

Il est bien entendu prématuré de parler de rationnels à ce stade. La capacité au "partitioning" va néanmoins permettre de développer un certain nombre de compétences ou de prises de conscience dans la construction des nombres rationnels, que les auteurs déjà cités plus haut relèvent, et que nous résumons ci-dessous.

• Possibilité de gérer numériquement des problèmes de répartition (par opposition à une répartition au jugé) et d'être à même de contrôler ainsi l'équipotence des donnes et l’égalité de la somme des parties et du total.

• Lien entre la taille de la part et le nombre de parts : "plus grand le nombre de parts, plus petite la taille de chaque part". Ce constat, évident dans un contexte continu illustré par un schéma de type "parts de tartes", ou dans un contexte discret de type "Dealing", sera inhibé pour beaucoup d'élèves lors de sa description fractionnaire aux stades ultérieurs : des erreurs comme 1/4 < 1/10 car 4 < 10, proviennent de ce que Streefland (1991) appelle des N-distractors, c'est à dire une prise en compte séparée des entiers composant la fraction, et l'application abusive de traitements familiers mais illicites dans ce contexte.

1.1.5. Obstacles et insuffisances à dépasser pour un accès au stade suivant

Le "partioning" reste cependant un moyen limité de former des parts à partir d'un tout et d’établir des relations entre elles. Il ne dégage qu’un modèle très rudimentaire, surtout lorsqu’il est lié à un contexte matériel. Il ne permet notamment pas d'anticipations : dans le cas continu, pour évaluer la taille d'une part ou la comparer à une autre part, on doit aller au bout de l'expérience et découper tout le(s) gâteau(x) (ce qui n’est guère aisé, dans le cas d’un partage en un nombre impair par exemple). Dans le cas discret, il reste impuissant à gérer des grands nombres : répartir 100 objets en parts égales, en présence ou non du matériel, devient quasiment impossible à organiser vu les moyens rudimentaires d’actions ou de calcul dont on dispose ; mais surtout, il ne donne pas de moyens dévaluation rapide de la taille, même approximative, des parts. On relèvera en conséquence une insuffisance et un premier obstacle lié à ce stade.

• La mise en évidence du lien partie-tout et de la relation de dépendance qui en découle n'est pas nécessaire puisque, dans un contexte discret de partage équitable par

exemple, le cardinal de chaque part ne s'obtient pas en combinant le cardinal du tout avec le nombre de parts : lorsque le matériel est présent, il me suffit de pousser le "Dealing" jusqu'à épuisement de la collection, sans même connaître le nombre total de ses éléments ; en l’absence du matériel, la prise en compte du total devient nécessaire pour former les parts, mais les procédures additives par tâtonnements ne permettent pas d’exhiber un lien direct entre le tout et chacune de ses parties. Cela ne sera plus le cas au stade ultérieur où des hypothèses multiplicatives liant directement partie et total permettront d’expliciter la nature de leur dépendance mutuelle et, partant, d’effectuer des anticipations (comparaisons, itérations...).

• Quant à l'obstacle lié à ce stade, il est de taille puisque certains auteurs (Hunting et Korbosky ; 1990, cités par Pitkethly et Hunting ; 1996, p 10) estiment qu'une connaissance basée seulement sur le modèle continu du "partioning" amène à une conception littérale des fractions : 1/4 représente alors exclusivement une part prise parmi quatre et risque en conséquence de ne pas être appréhendée en tant que proportion, de 25 à 100 par exemple. Nous reviendrons longuement sur cet obstacle en 1.2.5 et au chapitre IV. Examinons à présent les premiers changements de perspectives

et réaménagements que va nécessiter l'accès au deuxième stade.