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Exemples d'itinéraires d'apprentissage au moyen des logiciels

2. Le dispositif logiciel

2.3. L’apprentissage

2.3.2. Exemples d'itinéraires d'apprentissage au moyen des logiciels

Lors de la passation sur Format2, le décimal 3,4 est reconnu comme supérieur à 3,19, car en disposant ces deux nombres dans un format à virgule fixe, balayé de la gauche vers la droite, je rencontre 4 contre 1 au premier rang susceptible de les départager. Aucune interprétation provoquée par le maître, en termes de centièmes (par

exemple 3 + 40

100 contre 3 + 19

100) n'est proposée à ce stade. On se contente d'une approche phénoménologique du format à virgule fixe. Mais lors de la passation sur Form2gra, on pourra être amené à convertir 3,19 en un point d’une droite graduée ; donc à demander une subdivision en dix – peut-être parce qu'il y a dix chiffres disponibles ou pour tout autre raison bâtie sur une connaissance précise ou floue des écritures en base dix – de l'intervalle [3 ; 4] – peut-être parce qu'on lit 3,19 "trois virgule dix-neuf et que donc c'est trois et quelque chose" ; puis à resubdiviser après zoom l'intervalle [3,1 ; 3,2] en dix et enfin à y déposer 3,19, définitivement inférieur à 3,4 car situé entre 3,1 et 3,2. La compréhension des décimales de ces nombres en termes d'un certain nombre de dixièmes et de centièmes peut être issue de la convergence de deux mouvements : interprétation du rang de ces chiffres comme descripteurs des actions de subdivision récursive par dix ; interprétation des chiffres eux-mêmes comme descripteurs d'actions de reports. Une acception purement cardinale du 4 contre 19 est ainsi mise à distance, car la notion de rang trouve désormais un équivalent dans le registre des droites graduées (niveau de profondeur du zoom), légitimant l'éventuelle transformation de ce 4 en 40. Dès lors ces divers chiffres et nombres réfèrent à des objets, qui ont acquis leur existence d'une certaine invariance entre deux représentations hétérogènes.

Exemple 2 : 3

4 c'est trois fois un quart ou un quart de trois

Il est possible d’aborder l’étude de Fracti1 avec pour seul bagage une idée plus ou moins précise de la notion de fractionnement appliqué à des grandeurs élémentaires : une demi-heure ; trois quarts d'heure ; un tiers de litre... éventuellement complétée par une introduction papier/crayon légère aux fractions-mesures. C'est du reste l'option que nous avons retenue et qui sera examinée au chapitre V-1. Examinons à présent ce que nous apprend l'approche phénoménologique de Fracti1. L'élève voit défiler à l'écran des fractions et doit cliquer dès qu'il estime que cette fraction représente un nombre entier. S'il se trompe et décide par exemple que 9

4est entier, le logiciel lui indique alors que cela est faux car 9 n'est pas un multiple de 4. Ce logiciel crée donc phénoménologiquement deux types "d'objets-fractions" a

b: ceux qui sont entiers et pour lesquels "a est dans la table de b" ; ceux qui ne le sont pas et pour lesquels "a n'est pas

dans la table de b". L'objet a

b est donc celui qui pose une question du style : "en a combien de fois b ?", ce qui tend à rapprocher a

b de "a divisé par b". Par ailleurs, les élèves pour qui une fraction exprime une mesure par fractionnement de l'unité, peuvent accepter que 4 4 8 4 12 4

; ; ... représentent des entiers puisque pour eux 4

4 = 1. Quoi qu'il en soit, deux points de vue, qu'on se gardera bien de départager à ce stade, pourront coexister : a

b présente à la fois des caractéristiques de a divisé par b et de "a b ièmes

". Plaçons-nous à présent au moment des conversions des écritures fractionnaires vers les droites graduées : le premier point de vue pourrait déboucher sur une "écriture" de 3

4 dans le registre des droites graduées analogue à celle de la Figure 15-a (3 divisé par 4 ou un quart de trois), tandis que le deuxième point de vue (trois fois un quart) pourrait se représenter comme sur la Figure 15-b :

Figure 15

La confrontation de ces deux points de vue légitime la question de leur identité. On pourra alors tenter de déposer par exemple y sur la droite d1. Résoudre ce

problème sémiotique demande de trouver une graduation de d1 qui attrape

simultanément x et y. Or y étant repéré par rapport à [0 ; 1], il serait souhaitable que cette graduation attrape 1, donc qu’elle permette de diviser [0 ; 3] en 3 tout en continuant à attraper x, soit quelle continue de diviser [0 ; 3] en 4. Ce type de recherche a été développé lors de l'étude de Gradu5 (voir en 2.2.1 les moyens d'intervention disponibles pour effectuer cette opération). La solution consiste à demander une resubdivision en 3 x 4 = 12 du repère [0 ; 3]. La flèche associée à x pointe alors vers la troisième graduation sur les quatre comprises entre 0 et 1, ce qui assure l’égalité de x et

0 1 4 y x 0 3 4

y(Figure 16). On vérifie aisément que le problème symétrique, déposer x sur d2, peut se

traiter par 3 reports de [0 ; 1] et un fractionneur égal à 4.

Figure 16 : droite d3

Remarquons que le processus ayant permis cette identification n’est pas qu’une simple coïncidence visuelle, mais dépend de décisions procédurales – recherche d’un multiple commun à 3 et 4 par exemple – qui rendent compte de la généralité du phénomène : l’égalité de x et y n’est pas seulement donnée à voir – comme une curiosité, peut être attachée à un cas particulier –, mais construite à partir d’une procédure à forte valeur explicative.

Ainsi, les deux points de vue sur l'objet fraction s'enrichissent de leur contradiction apparente, et trouvent une occasion de converger lors des conversions inter-registres. Au cours de cet itinéraire, on aura noté que telle opération de formation – ici posée par Fracti1 – met en valeur telle propriété ou tel point de vue sur les rationnels – la formation dans un autre registre pouvant en éclairer un autre aspect ; telle conversion – ici des écritures fractionnaires vers les droites graduées – pose le problème de la confrontation ; tel traitement – dans le registre des droites graduées, des Figure 15 vers la Figure 16 – permet d'en assurer le dépassement. C'est donc bien tout l'arsenal des registres qui est convoqué pour cette séquence d'apprentissage.

Exemple 3 : 3

4 et 2

3 expriment des proportions (au sens de rapport entre

deux grandeurs) et la proportion 3

4 est supérieure à la proportion 2 3

Envisageons le problème physique de cran 4 suivant : je mélange 3 verres de jus de fruit à 4 verres d'eau d'une part ; 2 verres de jus de fruit mélangés à 3 verres d'eau d'autre part. Lequel des deux mélanges a le plus le goût du jus de fruit ? Ce problème sera encore plus compliqué si les verres du premier mélange sont tout petits, et ceux du

3

0 1 2

12

deuxième mélange tout grands... Il demande en tout cas une prise en compte des proportions et non des quantités absolues, sauf à se livrer à une expérience mentale consistant à se poser une question du type : "si j'ai le même volume des deux mélanges, dans lequel aurai-je le plus de jus de fruit ?". On voit alors qu'on a intérêt à effectuer d'abord un changement d'échelle, et à imaginer que les verres ont tous le même volume, avant d'envisager une base de comparaison commune... où l'on retombe sur les proportions.

Examinons à présent comment Gradu4 aborde cette famille de problèmes. Ce logiciel demande de comparer deux rationnels dont une expression dans ce registre est par exemple :

Figure 17

On notera bien sûr que les deux "échelles" sous lesquelles on "voit" ces rationnels sont différentes, mais qu'après tout, cette donnée observationnelle est courante : la lune et le soleil ont même diamètre apparent, et pourtant on sait bien que le soleil est beaucoup plus grand que la lune – ce qui suppose une capacité à imaginer ce qui se passerait si on les observait à la même distance, donc à faire un changement d'échelle... De toutes façons, le choix d'une même unité pour les deux représentations aurait débouché sur des comparaisons physiques de longueurs et donc singulièrement appauvri le problème, l'éloignant radicalement de la comparaison en proportions. On notera à ce propos à quel point l'univers des droites graduées est à la fois sémiotique – ce sont les signes qui me permettent avant tout de prendre des décisions contre les apparences – et physique – puisqu'il y est question d'observations et d'échelles.

Gradu4 invite donc à une expérience mentale de comparaison : si les deux schémas étaient à même échelle... Et comme l'expérience est mentale, on ne peut s'appuyer que sur ce qui est invariant par changement d'échelle, à savoir par exemple le positionnement relatif de chacun des points par rapport à [0 ; 1], et en fonction des subdivisions. Nous avons ainsi pu constater des raisonnements que nous résumons ainsi : "[si les deux segments gradués étaient à même échelle], j'aurais un point situé à 1 intervalle parmi 4 [de l'extrémité du repère soit ici de 1],dans le premier cas ; à 1

0 1 y 0 1 4 x 3

intervalle parmi 3 [toujours de l'extrémité du repère] dans le deuxième cas, donc le premier point serait plus proche de 1 que le deuxième". Dans d'autres cas plus simples, on a observé des comparaisons par rapport à la moitié (nous adoptons des écritures fractionnaires des rationnels concernés pour la simplicité de l'exposé, mais il s'agit bien ici de décrire des types de réactions d'élèves travaillant sur des expressions équivalentes sur droites graduées) : 4/10 est plus petit que 1/2 car 4 est inférieur à la moitié de 10, 3/5 est supérieur à car 3 est supérieur à la moitié de 5, donc 4/10 < 2/3 ; ou encore en séparant les deux rationnels par un entier : 9/4 > 2 car 9 est supérieur au double de 4 ; 5/3 < 2 car 5 est inférieur au double de 3. Toutes ces justifications attestent bien que c'est le rapport des grandeurs qui est pris en compte (la moitié, le double...) et non la juxtaposition des deux grandeurs (qui déboucherait sur des erreurs du type : 4/10 > 2/3 car 4 > 2 et 10 > 3).

D'autres logiciels permettront soit de développer des stratégies alternatives de comparaison des rationnels, soit de donner de la profondeur aux mêmes stratégies grâce à leur reformulation dans un autre registre. Il est ainsi possible dans Fracti 5 exercice 4, de comparer deux fractions comme 2/3 et 3/5, toutes deux comprises entre 0 et 1, et donc non discernable au moyen du seul filtre entier – et même du filtre des moitiés –, mais qui, après une dilatation judicieusement choisie, se trouvent bien séparées par un entier :

2/3 x 3 = 6/3 = 2 ; 3/5 x 3 = 9/5 et 9/5 < 2 car 5 est inférieur à la moitié de 9, ou encore 9/5 < 10/5 qui vaut 2.

Nous retrouvons, à travers cet exemple, un itinéraire d'apprentissage procédant par changements de points de vue et adaptations, suivant le potentiel explicatif de chacun des registres concernés ou les nécessités de leur articulation.

Pour plus de détail sur l’organisation des passations, la nature de la tâche demandée à l’élève, le type d’action valide et des rétroactions des logiciels, on se reportera au chapitre VI-1.3.