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2. Un système géométrique pour l’enseignement des rationnels

2.4. Un registre qui pose des problèmes pertinents

2.4.4. Arithmétique

Tout travail sur les rationnels sollicite à un moment des notions d’arithmétique : diviseurs et multiples, ppcm et pgcd, nombres premiers et premiers entre eux, théorème de Gauss... sont mis à l’épreuve des traitements élémentaires sur les fractions. Mais ce qui a fait l’originalité de la reconstruction que nous allons présenter, ce sont les termes qu’elle a empruntés pour s’exprimer. C’est ce que nous nous proposons d'illustrer ici, en montrant comment les élèves ont utilisé les signes et actions spécifiques du registre des droites graduées pour reconstruire l’arithmétique dont ils avaient besoin, et comment, en retour, ces signes et gestes ont fourni un contexte opératoire aux concepts qu’ils ont permis d’esquisser. Cette plus-value n'était pas prévue par les concepteurs, et prouve que la recherche plonge les élèves dans un univers dont les frontières peuvent différer de celles fixées par les programmes actuels ou "l'habitus". C'est la raison pour laquelle nous saisirons cette occasion pour examiner dans le détail des procédures d'élèves face aux tâches logicielles, dont certaines − voir par exemple Gradu 5 − sont suffisamment atypiques pour qu'on puisse légitimement s'interroger sur les attitudes qu'elles ont provoquées.

Dans toute la suite, les réflexions d’élèves seront en italique, nos commentaires en écriture droite et entre crochets.

x 3 8 7 7 y 8 5 x y 8 15 7

2.4.4.1. Diviseurs et multiples, ppcm et pgcd

Ces notions sont omniprésentes en filigrane dans le travail des élèves. La recherche explicite des diviseurs d'un nombre a été constatée lors d’un travail (CM1 de Sélestat en 1996-97) sur le logiciel Gradu2 − voir III-2.2.1 Gradu2 et annexe n. Il s’agissait de trouver une graduation en un minimum d’intervalles pour déposer 22 entre 18 et 28, sans sortir du domaine des entiers − i.e chaque graduation conservant une abscisse entière.

Jérémy recherchait systématiquement les diviseurs du pas − ici 1, 2, 5 et 10 pour un pas de 10 − en expliquant qu’il fallait « passer par le nombre [la graduation devait "attraper" le nombre à déposer − ici 22] et par le bout de l’intervalle [ici 28] », et qu’en testant toutes les possibilités, il trouverait « la meilleure » − [i.e. celle comportant le minimum de graduations]. On a ici l'ébauche d'une recherche de diviseurs communs, et même de pgcd, entre 4 (22 - 18) et 10 (28 - 18), qui emprunte bien sûr des voies exotiques pour s'exprimer, mais qui pose les véritables questions dans les termes autorisés par le registre.

Figure 48 : une graduation de 2 en 2 permet d'attraper 22 à moindre coût (qu'une graduation de 1 en 1)

La recherche d'expressions adéquates à un problème − de positionnement ou de comparaison par exemple − requiert la notion de multiple commun. Ceci s’est posé notamment lors de la passation (CM1 de Sélestat ; 1996-97) du logiciel Gradu5 − voir

III.2.2.1, Gradu5 et annexe n. Il s’agissait de déposer un nombre entier comme 8 sur l’intervalle [5 ; 9] de pas p = 4, subdivisé en 3 sous-intervalles :

Figure 49 : déposer 8 dans un contexte peu favorable

18 22 28

5 9

Gradu 5 est un logiciel que nous considérions comme déroutant et tellement atypique dans l'activité qu'il propose que nous avions décidé de ne poursuivre que si l'engagement des élèves était comparable à celui investi dans les logiciels précédents. Ce qui a été le cas, au-delà de nos attentes en fait. Analysons tout d'abord la tâche de façon experte dans l'exemple ci-dessus22 :

calculer le pas 9 - 5 = 4 ;

l'opposer au nombre d'intervalles, ici 3, pour tenter d'y trouver une "raison commune", permettant de déposer les nombres intermédiaires aux extrémités (ici 6, 7, et 8) ;

• à défaut, resubdiviser chaque intervalle par le pas (ou un de ses multiples), soit 4 (ou un multiple de 4), seule manière d'assurer la divisibilité par 4 du total des sous- intervalles ainsi obtenus ;

• regrouper les graduations 3 par 3 pour attraper le pas unitaire ;

• utiliser ce regroupement pour déposer le nombre 8.

Figure 50 : la procédure experte pour déposer 8

La tâche est vraiment complexe. Bien entendu, les élèves n'ont pas procédé ainsi. Une procédure très répandue a été la suivante :

• constater l'impossibilité de déposer 8 sur une des graduations préexistantes (Figure 49) ;

• émettre une hypothèse raisonnable de resubdivision, mettons par 3 ;

• tenter de déposer les nombres intermédiaires (ici 6, 7 et 8) régulièrement le long de cette échelle (en progressant par exemple par regroupements de 2 sous-graduations − voir Figure 51) ;

22 On rappelle qu'il n'est pas possible de resubdiviser le repère dans son ensemble ; l'action de resubdivision, par le même nombre n, porte sur chaque intervalle du repère ; le fractionneur, quant à lui, indique le

nombre total de sous-intervalles du repère et vaudra donc dans notre exemple 3 x n, avec n = 1 initialement. 12

5 9

+1

Figure 51 : une tentative qui échoue mais ouvre la voie d'un nouvel essai

en cas d'échec, tenter de modifier soit le regroupement, soit la resubdivision, en s'appuyant sur l'information fournie par le dernier essai (ici par exemple que 8 doit être décalé vers la droite).

Cette approche par essai / erreur va déboucher sur le constat que : « ça serait plus facile s’il y avait 4 graduations [subdivisions] ». Après de nombreuses tractations entre les coéquipiers, un groupe d'élèves parvient à la conclusion suivante : «Il faut à la fois 4 et 3, il faut un fractionneur de 12 pour pouvoir attraper 6, 7, 8 et 9 [les 4 entiers intermédiaires du repère] ».

Dans des cas de figure proposant un pas de 4 pour 6 subdivisions initiales, la recherche d’un multiple commun le plus économique possible − ppcm − n’est plus une exigence gratuite mais une tentative naturelle de recherche du « premier nombre qui marche » − ici 12 = ppcm (4 ; 6).

D’une façon générale, la recherche d’écritures équivalentes dans le registre des droites graduées débouche sur une activité de multiple commun ou de diviseur commun comme on le verra juste après. Les graduations minimales étant toujours primées, ou mieux rendues nécessaires pour éviter des problèmes de dépassement, soit de résolution d’écran, soit de contraintes gérées par le logiciel, cette recherche de multiples communs a naturellement motivé la recherche du plus petit d’entre eux, soit le ppcm. En voici deux exemples issus de la passation du logiciel Gradu4 (CM1 de Sélestat ; 1996-97) − voir

III.2.2.1 Gradu4 et annexe n.:

Figure 52 : un ppcm pour comparer x et y

10 x d1 4 5 40 y 4 5 d3 x 8 d2 y 4 5 9 5 6 7 8 9

Anthony tente de resubdiviser chaque intervalle de d1 en 8, ce qui conduirait à un

fractionneur égal à 80 pour d3. Rétroaction du logiciel : dépassement des capacités-machine

! Il trouve alors la solution au moyen du fractionneur 40 en expliquant « qu’il faut casser 8 en 2 [tenter un multiple 2 fois plus petit] ».

Mais le plus bel exemple de recherche explicite d’un ppcm reste celle entreprise par Nathalie (CM2 de Sélestat ; 1997-98). Le logiciel proposait de ranger trois rationnels écrits sur droite graduée, avec comme fractionneurs : 10 ; 6 ; 4. Nathalie s’isole du groupe, s’éloigne de l’ordinateur et engage une recherche − qu’elle annonce et explicite par périphrase − papier/crayon d’un multiple commun aux trois nombres.... mais n’aboutit qu’à une réussite partielle, en exhibant des multiples communs à deux des trois nombres seulement : 24 − qui n’est pas en l’occurrence le ppcm de 6 et 4 ; et 30 − qui est bien le ppcm non trivial de 10 et 6. Ces deux résultats lui ont du reste suffi pour effectuer son rangement, en comparant les trois rationnels proposés deux par deux.

La notion de pgcd quant à elle, formée au fur et à mesure des prises de conscience de l’existence et de la nécessité d’écritures minimales − i.e requérant des fractionneurs plus petits − pour un rationnel donné, a émergé tout au long des passations des logiciels Gradu, pour être explicitée lors du jeu de communication de Gradu6, exercice 4 (CM2 de Sélestat ; 1997-98) que nous allons résumer ci-dessous − voir aussi III.2.2.1 Gradu6 et annexe n.

Le logiciel Gradu6 propose de réinscrire sur une seule droite un rationnel R exprimé au moyen de deux droites (le segment du dessous de la Figure 53 s'obtient par un zoom sur un des intervalles du dessus). Voici par exemple une « écriture » d’un rationnel obtenue en fractionnant en 5 l’un des intervalles d’une subdivision de l’unité en 4 :

Figure 53: une expression de treize vingtièmes au moyen d'un zoom

0 1

4

5

Et voici la réécriture de ce rationnel sur une seule droite :

Figure 54 : expression de treize vingtièmes sur une seule droite (fin de l'opération "droite au propre")

Pour parvenir de l'expression illustrée par la Figure 53 à celle de la Figure 54, l'utilisateur peut procéder en deux étapes. Une première étape, dite étape de "la droite au brouillon", permet de centrer la recherche sur la découverte d'un fractionneur résultant adapté : le logiciel place la flèche désignant R sur une droite non graduée et l'utilisateur tente de trouver une subdivision qui capture cette flèche. Une deuxième étape, dite de "la droite au propre" − sur laquelle plus rien n'est fourni par le logiciel − donne l'occasion de : redemander un fractionneur adéquat, éventuellement révisé à la baisse, puis de désigner la graduation − ce qui correspondrait, dans le registre des écritures fractionnaires, à la recherche du numérateur − sur laquelle déposer R. Au cours de ces tentatives par essais et erreurs, le logiciel envoie des rétroactions dont les principales sont : indiquer si le fractionneur est adéquat et, à défaut (pour les exercices 3 et 4), s'il est diviseur ou multiple du fractionneur. On remarquera que ce dispositif permet de :

• séquentialiser la recherche de ce qui sera plus tard le dénominateur et le numérateur, ce qui confirme le caractère unidimensionnel du registre ;

• travailler sur une forme non forcément numérique de ce "numérateur" (le "numéro" − treize dans l'exemple ci-dessus − exact de la graduation sur laquelle déposer R n'est pas indispensable ; d'autres formes de repérages sont possibles, comme un repérage rapide par rapport à des graduations de 5 en 5 ou de 10 en 10).

Par ailleurs, les exigences associées à la réussite − expliciter numériquement le fractionneur ; désigner une des graduations conséquentes − et la nature des rétroactions, engagent l'utilisateur à ne pas se contenter de coïncidences visuelles, mais à entreprendre des calculs qui préfigurent ceux qu'il aura à mener ultérieurement dans le registre des écritures fractionnaires.

0 20

1 R

Décrivons à présent ce qui fait la spécificité de l'exercice 4 de ce logiciel : le rationnel R n'est pas tiré aléatoirement mais choisi par un émetteur − un élève − qui dispose à cet effet d'une seule droite pour laquelle il devra choisir un fractionneur puis désigner une de ses graduations. Il forme donc son rationnel "mystérieux" dans le registre des droites graduées. Un récepteur doit alors retrouver ce rationnel, en recourant à des subdivisions et / ou des zooms, et en disposant des rétroactions décrites ci-dessus. Bien entendu, le fractionneur choisi par l’émetteur n’a aucune raison d’être celui que trouvera le récepteur, comme c'est le cas sur la Figure 55 :

Figure 55 : 2

3 attrapé en 10 15

Et pourtant, l’ordinateur aura validé la réponse ! On peut penser que l’effet de surprise, les conflits et les tentatives d’explication qui en découleront seront riches de sens et de conséquences.

Cet effet a motivé la recherche d’expressions équivalentes d’un même rationnel (CM2 de Sélestat ; 1997-98), et notamment son expression la plus simple − irréductible dirions-nous − d’une fraction, recourant à un pgcd, paré pour la circonstance des termes du registre. Dans le cas illustré par Figure 55, la formulation sur laquelle la classe a pu trouver un consensus institutionnalisé a été la suivante : « il faut trouver le meilleur regroupement des graduations qui continue à attraper le nombre pointé par la flèche ». Dans cette expression : le terme de « regroupement » invite à chercher des diviseurs du fractionneur ; le terme de « meilleur » encourage à chercher le plus grand regroupement, donc le plus grand diviseur ; quant à la phrase « qui continue à attraper le nombre pointé par la flèche », sa reformulation en termes de fractions serait « qui soit aussi un diviseur du numérateur ».

2.4.4.2. Nombres premiers entre eux

Dans le cadre d’une tentative de simplification du rationnel suivant, 15

x

Figure 56 : 21 et 10 sont premiers entre eux

nous avons pu noter la réflexion suivante (Nicolas ; CM2 de Sélestat, 1997-98) : « avec 10, on ne peut les regrouper que par 2 ou 5 [les graduations du repère], mais on n’attrape plus le nombre parce que c’est 21 [les sauts de 2 en 2 ou 5 en 5 n’attrapent pas

x

qui pointe la 21ème graduation, ou encore 2 et 5 ne sont pas diviseurs de 21] donc c’est 1 par 1 » [1 graduation après l’autre, donc pas de regroupement]. On ne peut mieux exprimer dans les termes du registre que 21 et 10 sont premiers entre eux, ou n’admettent d’autres diviseurs communs que 1 !

2.4.4.3. Nombres premiers

Reprenons l'exemple illustré par la Figure 53. Ce mode "d'écriture" des rationnels au moyen de deux droites et d'un zoom n'est adapté que si le fractionneur résultant n'est pas un nombre premier. A la question de savoir si tous les fractionneur étaient exprimables au moyen d'un zoom, Laetitia (CM2 de Sélestat ; 1997-98) répond que « non, parce que il y a des fractionneurs qui ne sont dans aucune table, comme 11 ou 17 » − sous-entendu indécomposables multiplicativement, donc des nombres premiers.