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1. Architecture générale du projet d'enseignement

1.1. Algorithmes et significations

Dans son article examinant deux méthodes de mesure rationnelle, Ratsimba- Rajohn (1982 ; pp. 67-68) écrit : "Un bon nombre de savoirs que l'institution veut transmettre aux élèves se cristallise dans ce que nous appelons algorithmes […]. Une bonne connaissance de leurs conditions d'application [...] paraît satisfaire la société. Mais il existe une conception réductrice de ce qu'on appelle « une bonne connaissance » […]. Une telle conception réduit l'algorithme aux yeux des élèves en une simple juxtaposition d'indices et de procédés […]. Aussi […] une partie non négligeable [d'enfants] estiment que le procédé attendu est celui qui a été associé aux indices répertoriés lors des répétitions." Une des conséquences que l'auteur tire de ces constats est que : "un changement essentiel de notion correspond, pour certains élèves, à une adaptation locale d'un ancien algorithme, pour autant que celui-ci ait quelques analogies

Nous pouvons reprendre à notre compte cette analyse, mais en y adjoignant le commentaire suivant. Rappelons tout d'abord un principe général que personne ne songerait à nier : tout enseignement débouche à un moment sur la maîtrise d'un certain nombre d'algorithmes, car "l'intérêt de l'automatisation d'un traitement n'est pas seulement de libérer l'activité consciente, il est aussi d'ouvrir l'accès à des objets complexes par la « compactification », en un seul acte de visée, d'une diversité de traitements qui ont pu être appris ou acquis indépendamment en raison de leur hétérogénéité ou de leur nombre" (Duval ; 1998, p. 183).

Le paradoxe réside donc dans la question suivante : comment concilier la nécessaire automatisation de certains actes avec un contrôle – qui s'oppose à l'automatisation – au moins infra conscient de ces actes, seul susceptible d'éviter les dérapages liés par exemple à des "analogies formelles" ? Pour nous, il ne suffit pas que les algorithmes aient été construits, donc pensés comme termes d'un processus de conquête, pour se prémunir des effets de contamination formelle – par d'autres algorithmes, d'autres notions fonctionnant alors en trompe-l'œil – qui risquent de se produire lors du passage à l'automatisation. Car dérouler un algorithme revient à agir sur des signes dont la référence aux objets signifiés a justement été "éloignée" – sans être bien sûr tout à fait absente – afin de minimiser le temps de traitement ; cela fonctionne s'il n'y a pas d'erreur sur la signifiance des signes. Or "tout objet [dans l'acception phénoménologique de ce terme] est simplement ce sur quoi se dirige actuellement la conscience [un signe, un dessin, une figure... ]. La possibilité pour un sujet de l'identification scientifique d'un objet, en appréhension immédiate, dépend de la compactification, infra-consciente, des multiples traitements requis par le croisement des propriétés." (Duval ; 1998, p. 184). D'où l'importance de développer, auprès des élèves, leur capacités de discrimination, d'invariance des « objets », de même que le croisement de leurs propriétés. Ainsi, l'étude de ces représentations :

3 4 6 8 ; ; ou encore Figure 12

me renseigne sur les rôles respectifs du 3, du 4, de leur rapport à 6 et 8 et à 0 et 1... Le fonctionnement de l'un comme fractionneur (4), de l'autre comme itérateur (3),

sera sûrement valorisé par les répercussions que certaines variations – de 3 à 6 et de 4 à 8 qui modifie les signes sans modifier le rationnel ou encore de tout autre variation qui modifiera signes et rationnel – auront sur les signes de la droite graduée.

On comprendra aisément que de telles prises de conscience demandent : une spécification des traitements de chacun des registres concernés, notamment celui des droites graduées qui ne peut plus être une simple illustration mais, ainsi qu'on le verra, un véritable système d'expression autonome des rationnels ; un travail systématique de conversion, entre les registres, afin que l'étude des variations et de leurs répercussions acquièrent une valeur au-delà de l'anecdote.

Dans un article publié par ARP (1972 ; pp. 11-15), Fischbein regrettait déjà que si "On utilise largement à présent, dans le processus d'apprentissage, des modèles figuratifs : moulages, schèmes (sic !), diagrammes, […]", [ces derniers] servent généralement à seulement illustrer certains phénomènes […]". Il ajoutait que "la valeur heuristique du procédé de construction des modèles n'est valorisée que sporadiquement et non pas dans le cadre d'une méthodologie didactique explicite". Il posait plus loin comme hypothèse que "[…] l'élève ne doit pas seulement rencontrer d'une manière occasionnelle, dans les manuels, des modèles d'usage courant (schémas, graphes etc). Il doit apprendre d'une manière explicite et systématique (c'est nous qui soulignons) à construire, interpréter, valoriser, contrôler des modèles". Il précisait enfin que "Cette affirmation acquiert une signification particulière quand il s'agit d'enfants situés dans la période des opérations concrètes (7-12 ans), donc quand la pensée logique doit garder […] le contact direct avec la réalité sensible des choses". Même si le terme de registre nous semble plus adapté que celui de modèle pour décrire de tels systèmes de représentation, nous pourrions reprendre à notre compte l'essentiel de ces propos.

Notre point de vue est donc que pour prévenir un usage aveugle ou abusif d'algorithmes par ailleurs nécessaires, il est décisif de les identifier à des opérations sémiotiques, contrôlables parce que développées dans des systèmes dont la cohérence est assurée par le double jeu des traitements et des conversions. On comprend aussi qu'une sémiotique négligée par l'enseignement, ou mal maîtrisée, ou inadaptée car mal reliée aux objets qu'elle signifie – un recours trop précoce aux écritures fractionnaires par exemple – ne peut qu'encourager un comportement procédant par "analogies formelles".