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2.2 Les asphaltènes en solvant modèle

2.2.4 Stabilité

La stabilité des solutions d’asphaltènes, au travers de diagrammes de phase, peut être traitée par la théorie de Flory-Huggins, généralement appliquée aux polymères et traitant de la stabilité des grosses molécules dans solvant. L’enthalpie libre de mélange s’écrit

∆Gmél= RT (n0ln φ0+ n1ln φ1+ n0φ1χ) (2.1)

où n représente le nombre de moles, φ est la fraction volumique et les indices 0 et 1 correspondent au solvant et aux particules respectivement. Cette expression fait intervenir le paramètre d’interaction χ qui s’exprime en fonction des paramètres de solubilité δ décrits par Hildebrand et Scott [28; 71] :

χ= vm

RT 1− δ0)

2 (2.2)

δ prend en compte l’énergie de cohésion du système, et est divisée en trois termes par Hansen [21] : la

force de dispersion (δd), la force polaire (δp) et les liaisons hydrogène (δh) :

δ2t = δd2+ δp2+ δh2 (2.3)

Par ailleurs, le bilan des forces toujours présentes en solution (les forces attractives de van der Waals, les forces électrostatiques et les forces de répulsion stérique [74]) peut se faire par l’intermédiaire

2.2. LES ASPHALTÈNES EN SOLVANT MODÈLE 23 de la constante diélectrique (ou permittivité) du milieu. Lorsque la constante diélectrique du solvant est intermédiaire entre celles des deux corps en interaction, les forces dispersives sont répulsives. Par contre, l’interaction entre deux corps de même constante diélectrique sera toujours attractive.

Dans le cas de molécules non polaires, la constante diélectrique d’un milieu, r, peut se mesurer

par l’intermédiaire de l’indice de réfraction n car r = n2 [96]. Souvent, les forces de dispersion

étant prépondérantes, les composantes polaires et liaisons hydrogène sont négligées. Le paramètre de solubilité est alors déduit de la mesure de l’indice de réfraction n du milieu par l’équation de Lorentz-Lorenz, ou de Clausius-Mossotti, introduisant la polarisabilité α du milieu :

δ= n

21

n2+ 2

α

4π0 (2.4)

où 0 est la permittivité du vide. On peut ainsi évaluer le pouvoir dispersant d’un solvant pour les

asphaltènes en comparant leurs paramètres de solubilité. Par contre, pour des molécules polaires,

r > n2. La relation de Clausius-Mossotti n’est plus valable [57], la constante diélectrique doit être

mesurée indépendamment.

L’expérience montre que, lorsqu’on étudie la stabilité des solutions d’asphaltènes, la nature du sol- vant est largement responsable du comportement du système. Moschopedis et col. [103] ont montré que la masse moléculaire des asphaltènes (par VPO) est d’autant plus faible que la constante diélectrique du solvant est élevée.

Goual et Firoozabadi [57] ont montré au travers de l’indice de réfraction et de la constante diélec- trique, par des mesures de capacité électrique, que la relation r= n2 n’est pas valable. On a toujours

r>> n2, et l’écart est d’autant plus marqué que les asphaltènes proviennent d’un brut à haute teneur

en asphaltènes (Tableau 2.4). Pour les résines, l’écart est moins important, et pour les maltènes, la relation r = n2 est valable. À partir d’un modèle, avec une hypothèse de la masse des molécules, ils

calculent le moment dipolaire de chaque espèce et montrent que le moment dipolaire des asphaltènes est entre 3 et 7 D, et celui des résines autour de 3 D. Les asphaltènes sont d’autant plus polaires que l’indice de l’alcane précipitant est grand (nC5 → nC10). Dans le calcul du paramètre de solubilité, la

composante polaire δp est à prendre en compte.

Tableau 2.4 – Constante diélectrique et indice de réfraction d’asphaltènes, de résines et de bruts de deux origines (teneur en AC5), à 20°C (d’après Goual et Firoozabadi [57]).

Brut H (19,8%m) Brut B (0,3%m)

AC5 Résines Maltènes AC5 Résines Maltènes

n 1,647 1,576 1,527 1,650 1,606 1,472

n2 2,7 2,5 2,3 2,7 2,6 2,2

r 16,2 3,9 2,6 5,5 4,7 2,1

Maruska et Rao [94] ont mis en évidence la relation proportionnelle existente entre la constante diélectrique des asphaltènes et leur teneur en hétéroéléments (N+O). La présence de structures locales d’atomes d’azote ou d’oxygène donnerait naissance à des dipôles plus ou moins nombreux suivant la concentration des différents éléments. Les interactions entre ces dipôles feraient partie des forces attractives entrant en jeu dans le bilan des forces liées à la stabilité colloïdale.

Khulbe et col. [77] ont étudié les propriétés paramagnétiques des solutions d’asphaltènes dans des solvants de polarité différente. Leurs observations rapportent que les asphaltènes n’ont pas tendance à s’associer dans les solvants polaires, ainsi leur masse moléculaire est plus faible que dans les solvants

24 CHAPITRE 2. LES ASPHALTÈNES ET LEUR MILIEU ENVIRONNANT apolaires. Gateau et col. [52] se sont également penchés sur l’effet de la composante polaire du solvant. Une augmentation de la composante polaire du solvant entraîne une réduction de la viscosité du brut dilué (Figure 2.13).

Figure 2.13 – Évolution de la viscosité relative d’un brut avec la composante polaire du mélange de solvants introduit dans le brut (sur la base du nonane) (issu de Gateau et col. [52]).

Ces études montrent qu’au-delà de la composante dispersive du solvant, la composante polaire est aussi responsable de la stabilité colloïdale des asphaltènes en solution. Ainsi, deux solvants de composantes dispersives équivalentes induiront des comportements d’asphaltènes différents si leur constante diélectrique est différente. L’indice de réfraction ne permet donc pas à lui seul de prédire la stabilité du système à l’état colloïdal. Par exemple, le tétrahydrofurane (THF) est un excellent solvant pour les asphaltènes, mais possède un indice de réfraction faible de 1,407, plus faible que celui du toluène (n=1,496) et proche de celui du n-heptane (n = 1, 388), connu pour être un solvant précipitant les asphaltènes. L’indice de réfraction des asphaltènes C7 est autour de 1,7. Par contre, le moment dipolaire du THF est élevé (1,75 D) alors que celui du toluène est très faible (0,37 D). Le THF disperse les asphaltènes très polaires (hydrotraités) alors que le toluène ne rempli pas ce rôle.

De multiples études traitent de la précipitation des asphaltènes en présence de mauvais solvant, appelée floculation. Elle apparaît lorsque la différence entre les paramètres de solubilité des asphaltènes et du solvant est grande. Au cours de l’ajout de mauvais solvant, par exemple le n-heptane, la taille des agrégats augmente [50] puis, la concentration seuil atteinte, les asphaltènes précipitent. Ce mécanisme d’agrégation est étudié selon les deux cas limites d’agrégation : RLA (mécanisme limité par la réaction) et DLA (mécanisme limité par la diffusion). Yudin et col. [31; 32; 165–167] ont montré par diffusion dynamique de la lumière (DLS) que le type d’agrégation dépend de la concentration en asphaltènes (Figure 2.14).

Dans le but de comprendre l’origine de l’agrégation des asphaltènes, Murgich et col. [108] ainsi que Gray et col. [59] font une revue exhaustive des toutes les forces pouvant jouer un rôle dans ces mécanismes. On recense ces quatre forces :

•Forces de van der Waals : Les forces de van der Waals sont omniprésentes dans les milieux dispersés, même entre molécules non chargées (forces de London). D’origine électrostatique elles sont de faible intensité et opèrent tant à courte distance (0,3-0,8 nm) qu’à longue distance (>10 nm). Elles produisent, en moyenne, une force totale d’attraction intermoléculaire responsable de la cohésion de la matière dans les milieux condensés.

•Liaisons hydrogène : Les liaisons hydrogène sont largement évoquées pour expliquer l’auto-association des molécules d’asphaltènes [114; 149]. Elles impliquent l’interaction entre un atome d’hydrogène

2.2. LES ASPHALTÈNES EN SOLVANT MODÈLE 25

Figure 2.14 – Cinétique d’agrégation étudiée par DLS pour des solutions d’asphaltènes à trois concentrations différentes dans un mélange n-heptane/toluène proche du seuil de floculation (issu de Yudin et

Anisimov [167]).

H, attaché à un atome fortement électronégatif, et un atome voisin très électropositif. Aucun transfert de charge n’est effectué, seuls des relocalisations ou réarrangements se produisent, dus aux effets de polarisation ou d’induction. La liaison hydrogène est très dépendante de l’orien- tation, donc l’angle d’approche doit être adapté pour une interaction forte. Cette liaison est sensible à la température, le lien se brisant à des températures modérées. Une énergie entre -6 et -12 kJ/mol est nécessaire pour la formation de liaisons H. La présence d’hétéroéléments dans les molécules d’asphaltènes sera favorable aux liaisons hydrogène, alors que les hautes tempéra- tures des procédés d’hydrotraitement les détruiront, et pourront également détruire les liaisons covalentes si elles est très élevées.

•Interactions acide-base : les composants acides, tels que les groupes carboxyliques, peuvent interagir avec les groupements basiques pour former des conjugués. L’interaction acide-base est une des forces d’interaction les plus fortes.

Liaisons π et σ : Les termes "liaisons π" et "liaisons σ" sont très employés pour décrire l’empilement des plans aromatiques des molécules d’asphaltènes [11; 36; 114; 151; 159; 163]. Ce type d’interac- tion représente des liaisons entre deux atomes par recouvrement d’orbitales, latéral (liaisons π) ou axial (liaisons σ). Théoriquement, une liaison π est moins forte qu’une liaison σ. Cependant le concept d’orbital n’est pas observable physiquement comme le décrit la physique quantique. Ce sont des constructions mathématiques qui amènent à la description des distributions de charges et n’ont pas d’existence physique [108]. En réalité, cette dénomination inclut toutes les différentes forces d’interaction moléculaires connues [79].