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Chapitre 4. Les nimapan ou les courroies de portage

3. Les spécificités des nimapan ou la satisfaction des esprits animaux

Parmi les différentes courroies de portage, Frank Speck a visiblement été très intéressé par celles qu’il a décrites comme étant utilisées lors de pratiques cérémonielles spécifiquement associées aux animaux : les nimapan.

Speck aurait recueilli une vingtaine de nimapan. Les descriptions de ces nimapan reviennent à plusieurs reprises dans ses archives manuscrites, dans une publication spéciale sur les nimapan collectésau Lac Saint-Jean et à Mistassini (Hunting charms of the Montagnais and the Mistassini, Speck et Heye 1921), mais également dans son ouvrage Naskapi (2011 [1935]).

Speck décrit sommairement une dizaine de nimapan recueillis dans les « Bandes de l’Est », inuites et innues (la bande d’Ungava, du lac Michikamau, du lac Nichikun, de Ste-Marguerite [Mista Shipu], Sept-Iles [Uashat-Mani Utenam]) dans l’ouvrage Naskapi (1935). Ces nimapan sont aujourd’hui conservés au NMAI de Washington, au Field Museum de Chicago ou encore au Musée canadien de l’histoire de Gatineau48.

Speck décrit plus précisément cinq nimapan, dont trois des Ilnuatsh Lac Saint-Jean et deux des Eeyous (Cris) de Mistassini dans sa publication co-signée avec George G. Heye49« Hunting charms of the Montaganis and the Mistassini » (1921). Les trois nimapan du Lac-Saint-Jean sont

conservés au NMAI de Washington et sont ceux décrits au début de ce chapitre.

48 NMAI: n°101409.000, n°101410.000, n°028954.000. Field Museum: n° 1927.1734.176317, n°1927.1734.176318.

49 George Gustav Heye est le fondateur du Museum of the American Indian à New-York en 1916. Il sera transféré à Washington pour devenir le NMAI.

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Nous verrons qu’il est difficile de déterminer si ces informations proviennent d’Ilnuatsh du Lac- Saint-Jean ou d’Eeyou de Mistassini que Speck a rencontrés plusieurs fois à Mashteuiatsh sur une période d’au moins 15 ans, de 1915 à 1930. Nous allons pourtant essayer de résumer les informations recueillies par Speck sur les nimapan au Lac-Saint-Jean.

Il semble que l’on retrouve chez les nimapan la même diversité de formes que pour les « courroies ordinaires » :

« La courroie est faite en peau d’élan [orignal] ou de caribou. Si sa signification est quasiment la même dans toute la péninsule, sa forme est différente dans l’Est et dans l’Ouest. Dans les régions occidentales, c’est une simple bretelle large, comme la courroie ordinaire mais plus petite. Elle est souvent ornée de silhouettes d’animaux brodées avec de la soie. A l’Est et au Nord, c’est une lanière plus fine de cuir tressée ou tannée ornée de parures symboliques en perles, en soie ou de rubans » (Speck 2011 : 210).

Speck alterne les termes « nimapan » ou « nimaban » (parfois écrit « ni’ma’ban ») pour parler de ces courroies. Dans son ouvrage Naskapi, il précise que le terme ‘nimaban’ « pourrait inclure nimi ‘danse’ et –abi ‘ficelle, corde’ » (Speck 2011 : 210). Le mot ‘ficelle’ ou ‘corde’ s’écrivant en nehlueun –api et non –abi, j’utilise la terminologie « nimapan ».

Le « nimapan », que l’on peut traduire par « la corde qui danse ou la corde que l’on fait danser », était selon Speck (2011 : 210) « un des objets les plus significatifs de l’équipement religieux du chasseur dans toute la région ».

Des courroies de portage ordinaires aux courroies rituelles

Contrairement aux autres courroies « ordinaires », les ‘nimapan’ étaient utilisées uniquement pour le portage des animaux chassés (Speck et Heye 1921, Speck 2011 ; Rogers 1967). Speck parle de courroie « rituelle » associée au rêve et à la « satisfaction ultime de l’esprit de l’animal tué » (2011 : 91).

En nehlueun, outre « miutiapi » qui est le terme générique pour courroie de portage, je n’ai pas relevé de terme pour une courroie spécifiquement associée aux animaux.

Le terme nimapan a été reconnu par un tiers des aînés interrogés (6 sur 19), qui l’ont entendu de leurs parents ou grands-parents lorsqu’ils étaient jeunes. Ces aînés ont affirmé qu’il s’agissait bien d’une courroie spécifiquement utilisée pour les animaux :

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« C’est une corde de cuir que tu mets dans la poche pour utiliser quand tu chasses un animal » (Aînée 6, septembre 2015).

« C’est un collier [terme local] que tu traînes partout » (Aîné 8, septembre 2015

Il existe différentes façons de porter les nimapan selon les animaux tirés. Par exemple, on attache au septum nasal (cloison qui sépare les narines) du castor un bâton, un os ou un anneau auquel va être attachée la courroie. L’hiver, l’animal est placé à terre sur le dos et tiré dans la neige, dans le sens du poil pour ne pas abîmer sa fourrure. L’été, les pattes avant et arrière de l’animal sont fixées ensemble et le tout est porté sur le dos.

En plus d’une utilisation spécifique relative aux animaux, Speck donne du nimapan une description cérémonielle. Edward Rogers (1967 : 114) parle également de « ceremonial carrying-string » chez les Eeyou de Mistassini mais ne développe aucune description.

Speck lui-même précise à quel point il est difficile de trouver les mots qui caractérisent le nimapan, et il emploie une profusion de termes qui dénotent de la richesse sémantique de cet objet. Il les compare à des « talismans » (2011 :91) ou à des « cordes magiques » (Archives du NMAI, Montagnais List, July 1920 : 3) au sein duquel se développe le symbolisme de la magie innue :

Figure 27. À gauche : Courroie à fixer au septum de l’animal. Collection du Musée amérindien de Mashteuiatsh n°1977.29

À droite : Des chasseurs qui traînent un castor : Institut culturel Cri Aanischaaukamikw d’Oujé- Bougoumou : http://exhibit.creeculturalinstitut e.ca/fr/artifact/niimaapaan-dragline/

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« C’est impossible de catégoriser le nimaban (le nom Montagnais pour cet objet) en des termes exacts. En général, c’est une prière pour la chasse, un symbole du corps du chasseur, de sa vie, un symbole de l’esprit qui le mène au gibier, un moyen de communication avec l’esprit de l’animal, un objet d’importance cérémonielle porté lors des danses effectuées par un chasseur sur le corps de l’animal abattu » (Speck & Heye 1921: 7)50.

Selon les interlocuteurs de Speck, le chasseur qui portait cette courroie avait reçu une révélation : il allait attraper du gibier dans un futur proche. Une fois l’animal tué, le chasseur s’installait la courroie sur la tête et se mettait à danser autour du corps sans vie (2011 : 107). Speck décrit aussi une scène où le chasseur porte la nimapan au-dessus de sa tête et le fait danser dans les airs autour de l’animal. A propos du nimapan du vieux Napani, Speck écrit :

« Cet homme a dit avoir utilisé cette courroie après être revenu d’une chasse alors qu’il était menacé de famine. Une fois l’animal tué, Napani’ mit son ni’ma’ban sur son front et dansa autour de sa proie en chantant, se réjouissant de sa chance et de sa prise. Il a montré comment il avait dansé autour du feu et chanté avec la courroie sur le front (…).

Ta’kana’ka’ ka’naye, répétait-il plusieurs fois en riant. C’était une récompense pour l’esprit

de l’animal » (Speck 2011 : 212).

Parmi les rares témoignages que j’ai recueillis à Mashteuiatsh sur le nimapan, une aînée m’a affirmé :

« Quand on en fabriquait, la personne qui venait de le recevoir le montrait, et le faisait bouger. Dès qu’il l’avait en sa possession, il le montrait à tout le monde, il le tenait en l’air et le faisait danser, les cordes se mettaient à danser. C’était une fierté » (Aînée 8, août

2015).

Une fois cette « danse » réalisée, le chasseur déposait le nimapan sur la poitrine de l’animal, le protégeant ainsi des prédateurs éventuels :

« Quand le chasseur laissait ainsi un animal et rentrait au camp pour demander de l’aide, la croyance veut qu’aucun animal de proie ne mangeait la carcasse tant que le nimapan était posé sur sa poitrine » (Speck 2011 : 216).

50 Traduction de “It is impossible to categorize the nimaban (the Montagnais name for this object) in exact terms. In general it is a prayer for game, a symbol of the hunter's body, his life, a symbol of the spirit which leads him to his game, a means of communicating with the shades of the animals, an object of ceremonial importance worn at dances performed by the hunter over the body of the slain animal.”

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Il existait pour le nimapan un symbolisme corporel. La bande centrale représentant la tête, les lanières symbolisant son corps et sa queue. Lorsque le nimapan était déposé sur la poitrine de l’animal, la « tête » du nimapan était orientée vers la tête de l’animal, le corps du nimapan (les lanières) le long du corps de l’animal.

Le chasseur fumait ensuite la pipe avant de ramener le gibier au campement. Fumer ou déposer du tabac est un geste de remerciement et de respect envers l’animal. Cette pratique est particulièrement respectée pour l’ours (mashkᵘ) que les Ilnuatsh considèrent comme leur « mushum », leur grand- père. Lorsqu’un ours est tué, certains Ilnuatsh mettent du tabac dans la gueule de l’ours. Autrefois, certains Ilnuatsh le faisaient fumer avec une « pipe à ours », réalisée en écorce de bouleau (Photo).

« L’ours, c’est comme le mushum (grand-père). Tu lui donne la pipe comme le grand-père fume sa pipe » (Homme 9, juillet 2014).

Aujourd’hui, l’utilisation de la pipe à ours n’est plus attestée auprès des personnes interrogées. L’objet en tant que tel n’est plus utilisé mais le geste de déposer du tabac pour remercier l’ours continue à se transmettre. Certains Ilnuatsh affirment que donner du tabac n’est pas obligatoire mais qu’il est important de parler à l’ours et de le remercier de s’être donné à soi.

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Contexte ontologique du réseau relationnel entre humains et non-humains

Dans les traditions de l’aire algonquienne de l’Est canadien, les esprits des animaux sont des esprits auxiliaires dont il faut s’attirer les bienfaits et auprès desquels il faut respecter certaines prescriptions, notamment vis-à-vis du traitement de leurs restes (Speck 2011, Tanner 1979, Bouchard et Mailhot 1973, Hallowell 1992).

Les gestes décrits plus hauts (utiliser une pipe à ours ou un nimapan) sont des démonstrations de respect et de remerciement envers l’animal qui s’est offert au chasseur. Ils étaient inefficaces s’ils étaient utilisés sans entrer dans la relation adéquate avec l’animal chassé. Par conséquent, les enfants des deux sexes apprenaient très jeunes des gestes et des attitudes destinés à rencontrer et influencer les personnes non humaines, à prévoir leurs désirs, leurs déplacements et leur comportement. L’anthropologue américain Alfred Irving Hallowell note que chez les Objibwa :

« Ce qui motive un tel comportement est le fait de croire que si un traitement approprié n’est pas accordé à un membre d’une espèce animale utilisée par les êtres humains, le « propriétaire » (ou le « boss ») se vengera en rendant impossible dans le futur la chasse de cette espèce » (1992 : 62 ).

Ces pratiques sont liées à la responsabilité et au respect inhérents au rapport de réciprocité entretenu avec les animaux, considérés comme des « partenaires de chasse » et des « personnes autres qu’humaines » (Hallowell 1992, Feit 1978, Scott 1989, 2013). Hallowell, qui était l’étudiant de Frank Speck, est à l’origine de l’expression « personnes autres qu’humaines » qui confère aux animaux ou aux esprits des personnalités individuelles. Pour cette même raison, l’auteur a recours en anglais aux pronoms masculins et féminins (he, she, his, her) pour parler des acteurs non humains, plutôt qu’aux pronoms neutres (it, its) qui impliquent que les animaux soient des objets et non des personnes.

La relation homme-animal est basée sur la responsabilité que les uns ont envers les autres. Feit (1978, 2000) et Scott (1989, 2013) ont souligné à quel point, pour les chasseurs algonquiens, ce sont les animaux qui se donnent au chasseur tant et aussi longtemps qu’ils les traitent avec respect. La chasse, comme l’a affirmé Speck (2011 : 71), est une activité ‘sacrée’ dont le succès ne dépend pas des seules habiletés techniques.

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Parmi les gestes observés pour conserver ces bonnes relations, Tanner décrit certaines pratiques relatives à la chasse utilisées pour tenter « d’obtenir le savoir qui est caché » (1979 :108). Ces pratiques, qui sont l’apanage de tous les hommes, constituent

« Un complexe institutionnalisé de symboles qui, par leur utilisation dans les rites, les mythes et les croyances, se rapporte à l'existence d'un niveau de réalité qui est normalement caché (…). Le contact avec cette réalité cachée peut être faite par l'utilisation de la technique d’actions symboliques » (ibid.).

Parmi ces pratiques, Tanner considère les pratiques de divination, les rites de chasse, le code de respect envers les animaux et le traitement spécifique des restes non utilisés. Etudier la signification de l’utilisation du nimapan m’a permis d’explorer ces connaissances et gestes relatifs aux animaux. J’ai utilisé les descriptions de Speck dans les années 1920, de Tanner dans les années 1970 et des Ilnuatsh aujourd’hui. J’ai également eu la chance de pouvoir en observer certaines, tels que le traitement des restes animaux ou la lecture des signes divinatoires.

La lecture des signes

Les pratiques de divination utilisées par les Ilnuatsh se concentrent en grande partie sur les relations existantes entre les hommes et les animaux. Parmi les pratiques de divination, la scapulomancie (metinshawan) a été décrite par Speck dans son ouvrage Naskapi (2011 : 140-164).

La scapulomancie est la divination par l’examen d’une omoplate d’animal soumise à la chaleur et aux tisons d’un feu. Dans son film « Mémoire Battante », Arthur Lamothe a filmé en 1983 à Schefferville, une séance de scapulomancie réalisée par Mathieu André51. Les traces ou les

craquelures émises par la chaleur sont examinées et interprétées, notamment pour connaître le lieu où se trouve le gibier. Des omoplates de lièvres, de castors ou d’oiseaux étaient couramment utilisées pour interpréter la localisation du gibier. Les omoplates de caribous étaient particulièrement appréciées car, m’a-t-on dit, ce sont les animaux qui parcourent le plus le territoire, ceux qui en ont de plus grandes connaissances, ceux qui ont le plus grand « folklore » (Homme 5). Leur utilisation n’était toutefois pas la plus courante car, si elles avaient un plus grand pouvoir de communication, elles ne pouvaient être interprétées par n’importe qui :

« Ici [autour du lac Saint-Jean], on considère qu’utiliser des os de grand gibier relève de la pratique du sorcier expérimenté. Ces os sont considérés comme « trop forts » pour les

51 Pour voir cette séance : http://www.banq.qc.ca/collections/collection_numerique/coll_arthur- lamothe/croyances_rites_ceremonies.html?categorie=7

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hommes ordinaires. La plupart des chasseurs préfèrent apparemment l’omoplate de castor et de lièvre et le sternum de perdrix. Certains ont des préférences personnelles » (Speck 2011 : 149)

La scapulomancie a été amplement développée, mais cette pratique n’est qu’un type de divination parmi d’autres (Speck 1930, 2011, Rogers 1967, Rousseau 1956). Aujourd’hui, selon les informations qui m’ont été données, la scapulomancie n’est plus pratiquée à Mashteuiatsh mais d’autres pratiques divinatoires sont encore enseignées, dans les familles ou dans les ateliers communautaires.

L’anthropologue Adrian Tanner (1979 :109) distingue la divination volontaire et les signes divinatoires. La première englobe des « techniques » que les gens initient, telle que la scapulomancie ; les seconds sont des « signes » qui apparaissent sans qu’ils ne soient provoqués volontairement. Tanner parle notamment de la lecture des signes à partir des rêves et des os d’animaux.

La divination à partir d’un pelvis de castor est aujourd’hui connue à Mashteuiatsh par la génération des adultes, mais comme souvenir d’un jeu pratiqué lorsqu’ils étaient jeunes. L’os est tenu dans une main et on le fait passer au-dessus de la tête. L’index de l’autre main est levé ; les deux bras sont levés au-dessus de la tête. Si l’index entre dans le trou de l’os, cela indique une bonne chasse ou une réponse positive à une question posée :

« En hiver 1926, un chasseur, David Basil, avait obtenu un spécimen d’os pelvien et l’a utilisé de la façon suivante. Tout d’abord, il a demandé, en fonction de son désir et de son besoin de l’époque « un lac contenant des castors ». Puis, d’une main, il a fait passer l’os au-dessus de sa tête et pointé l’index de son autre main. Si le doigt entrait dans le grand trou, la réponse était favorable. Mais si le doigt touchait le bord de l’os ou la cavité cotyloïde, la réponse était défavorable. Dans sa méthode, l’os était divisé en trois zones, chacune porteuse de sens. Le trou au centre était le lac, la marge un castor femelle et la cavité cotyloïde une « maison de castor » » (Speck 2011 : 165-166).

Les entrevues et les observations que j’ai réalisées à Mashteuiatsh, notamment à propos du

nimapan, me permettent d’ajouter aux pratiques de divination abordées par Speck ou Tanner la

lecture des signes de l’environnement et la notion de « chance ». La notion de « respect » demande aussi une analyse plus poussée. Comprendre le sens de cette valeur pour les Ilnuatsh permettra d’analyser comment le respect pourvoit la « bonne chance » et comment l’utilisation du nimapan s’insère dans le cadre relationnel existant entre les Ilnuatsh et les animaux.

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Des relations d’attention respectueuse

Si l’association spécifique entre la nimapan et les animaux nous a été décrit à Mashteuiatsh, son « aspect cérémoniel » (Speck & Heye 1921: 8) n’a jamais été relevé ni observé par les Ilnuatsh interrogés.

Lorsque j’ai expliqué la description que Speck donne de l’utilisation du nimapan aux aînés de Mashteuiatsh, ils ont expliqué que ces gestes se comprennent de façon « quotidienne » et non de façon « cérémonielle ». Le terme ‘cérémoniel’ renvoie, pour certains, aux cérémonies initiées depuis plusieurs décennies dans la communauté, notamment la Cérémonie des premiers pas dont je parlerai à la fin de ce chapitre. Plutôt que de parler de ‘rituel’ ou même de cérémonie, les Ilnuatsh interrogés parlent de ‘coutume’ ou ‘d’ilnu aitun’ (la façon de faire ilnu) pour définir les gestes observés avec l’utilisation du nimapan. Ces pratiques font référence aux gestes de « respect » et de « remerciement » (Aînée 4, octobre 2015) envers l’animal tué, ainsi qu’aux signes de gratitude démontrés suite à une chasse fructueuse.

Le terme « respect » est certainement un des mots que j’ai le plus entendu à Mashteuiatsh lorsque l’on me parlait de la culture ilnu : le respect des aînés, le respect des animaux ou du territoire etc. Quiconque partage du temps aujourd’hui avec des Ilnuatsh, ou toute autre Première Nation, sait à quel point la notion de respect est valorisée dans les discours sur les pratiques culturelles contemporaines. À force d’entendre ce mot, on le prend pour acquis et on oublie de se demander ce que recouvre cette valeur d’un point de vue ilnu. Puisque le terme « respect » est un mot français, j’ai essayé de comprendre, à travers le nehlueun, comment envisager cette notion.

Lorsque je demandais ce qu’implique de respecter un objet, on me répondait : « C’est y faire attention », « Il ne faut pas jouer avec », « Il ne faut pas le toucher ». Cette notion s’apprend par l’expérience. Par exemple, pour la courroie de portage :

« On l’accrochait dans la tente, fallait que ça reste là, que personne ne le touche, pas d’enfant qui joue avec ça : « Quand tu seras assez vieux, tu le prendras ». Parce que ça, c’est pour transporter l’animal. C’est important parce que c’est de ça qu’on se servait pour transporter l’animal » (Aîné 1, novembre 2015).

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Le respect de la courroie renvoie ici au respect de l’animal transporté. Apprendre à utiliser cet objet sans maîtriser les outils relationels adéquats pour considérer l’affiliation avec les animaux aurait été, d’un point de vue ilnu, irrévérencieux.

Il y a plusieurs expressions qui sont utilisées en nehlueun pour signifier le respect et elles ont pour signification : « ne pas prélever ou ne pas utiliser ce dont tu n’as pas besoin » :

« Apumlus ekatut : ne fais pas ça, c’est pas bon, respecte les animaux. Ekat selem awashish, touche pas l’animal que t’as pas besoin, awashish, ça veut dire animal. Même un arbre. Y’a un arbre à côté, t’es pas supposé le couper, tu le laisses là. Si tu es obligé de le couper, tu vas le couper parce que tu en as besoin » (Aîné 1, novembre 2015).

« Ekatutemen : c’est qu’il ne faut pas trop tuer. Ekatuta : il faut faire attention » (Aîné 8,