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Chapitre 2. Les Ilnuatsh de Mashteuiatsh : d’une tentative d’assimilation forcée à

2. Réappropriation institutionnelle des modes de transmission culturels

Aujourd’hui, pour beaucoup de jeunes Ilnuatsh, la transmission des savoirs culturels est relayée par les institutions culturelles et scolaires de la communauté, telles que le Musée amérindien de Mashteuiatsh et l’école secondaire Kassinu Mamu. Comme dans d’autres communautés autochtones, les Ilnuatsh se sont d’ailleurs approprié de nouveaux médiums (des livres scolaires, la participation aux expositions muséales, aux vidéos) pour encourager la revitalisation et la circulation des savoirs, aux jeunes et aux moins jeunes35.

Le projet ARUC et mes recherches se sont largement intégrés à ces contextes de transmission institutionnalisée. Ces lieux où j’ai moi-même acquis une grande partie des connaissances sur les objets du NMAI seront sujets et lieux de discussion au fil de la thèse.

34 Des projets ont été institués par le Conseil de Bande tels que La Grande recherche (1980) sur l’occupation du territoire, le projet Patrimoine Ilnu (2012-2015) qui a documenté et filmé le témoignage d’aînés et artisans. Le Musée amérindien de Mashteuiatsh a également mené un grand nombre de recherches pour les nombreuses expositions temporaires (ex. expositions de 1978, 1988, 1998).

35 Pour un exemple des nouveaux media institués par la communauté de Mashteuiatsh pour transmettre le savoir ethno-botanique sur les plantes médicinales, se référer aux études de Laurendeau (2011, 2012).

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Le musée amérindien de Mashteuiatsh

On observe sur les murs de la bâtisse des motifs que F. Speck avait répertoriés lors de ses séjours de terrain à Mashteuiatsh36.

Le Musée amérindien de Mashteuiatsh (MAM) a été fondé en 1977 par la Société d’Histoire et d’Archéologie de Mashteuiatsh (SHAM), créée un an auparavant37. Le musée fut initialement établi

dans l’ancien presbytère des missionnaires Oblats de la communauté à l’initiative de Carmen Gill- Casavant. Ce qui était alors appelé « la salle d’exposition » (Carment Gill-Casavant, octobre 2015) fut constituée d’une collection locale d’objets anciens, donnés ou prêtés, et d’objets créés pour l’occasion par les artisan(e)s de la communauté. Un nouveau bâtiment a été construit en 1983 pour répondre aux normes muséographiques et s’est agrandi en 1998 pour satisfaire la demande grandissante des touristes.

Le musée est reconnu par la province de Québec pour ses installations conformes aux normes muséographiques, ce qui leur a permis d’accueillir en 1998 un prêt d’objets à long terme du Musée canadien de l’histoire (anciennement Musée canadien des civilisations) de Gatineau. Selon les périodes de l’année, il est administré par six à sept employés de la communauté. Le musée engage également des jeunes comme guides durant la saison estivale pour venir soutenir les guides permanents.

Le musée contient une salle d’exposition permanente, une salle d’exposition temporaire ainsi qu’un espace d’exposition réservé aux artistes et artisans de la communauté. De même, l’agora permet de

36 Ces patrons en écorce de bouleau sont conservés au Field Museum de Chicago (N° 176436 et N°176437). 37 À sa création, son nom était la Société d’Histoire et d’Archéologie de Pointe-Bleue (ancien nom de Mashteuiatsh).

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tenir diverses conférences, un centre de documentation et d’archives ainsi qu’un « salon » destiné aux rencontres communautaires.

Par le biais des différentes activités qu’il propose, le musée est considéré comme « un point de

rassemblement pour la communauté » (Femme 2, mai 2012). C’est également un lieu de passage,

où les gens viennent dire bonjour ou demander des informations. Il est également perçu comme le « gardien de la culture matérielle de la communauté » (Femme 7, avril 2012) car il conserve de nombreuses pièces artisanales ou artistiques confiées par les Ilnuatsh. Ces derniers lui accordent également un rôle important dans la transmission des connaissances (Aîné 2, mai 2012 ; Femme 11, juillet 2014) puisqu’ « il pourrait devenir le point de départ d’une réappropriation de [leur]

notre passé » (Jeune adulte 2, juin 2012).

Cependant, le « pourrait » de la dernière citation laisse sous-entendre que ce n’est pas encore le cas. Malgré l’importance du musée attestée par tous les Ilnuatsh rencontrés, ils ont parfois des difficultés à s’approprier les lieux :

« Même si c’est un lieu qui préserve la culture, souvent on a de la misère avec les musées »

(Femme 6, mai 2012).

Cette ambiguïté est bien souvent soulevée dans les discours par l’origine « allochtone des

approches muséales » (Jeune adulte 5, juillet 2014) qui ne prend pas en compte la contextualisation

et l’expérimentation des objets :

Figure 5. Exposition permanente. Gauche : Section « Fiers de notre héritage ». Droite : Section « L’affirmation de ses choix ». Collection du Musée amérindien de Mashteuiatsh

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« Les gens pensent encore trop que c’est uniquement destiné au grand public, aux

touristes » (Homme 18, juillet 2014).

« Je serais pour un musée dans la forêt, un musée vivant. Que ça prenne une journée pour

le voir pis que ces objets soient dans leurs endroits respectifs. Le gratte peaux à côté des peaux, la cuillère d’écorce pour boire à côté de la rivière » (Homme 11, avril 2012).

Le personnel du musée, conscient d’être dans une position ambivalente, est en constante remise en question quant à son mode de fonctionnement. Considérant le musée comme étant au service de la communauté, il doit néanmoins respecter les normes muséales. Façonné « sur un modèle de musée étranger à leur culture », les membres du musée doivent donc en permanence « adapter leurs pratiques, voire même les réinventer » (Dubuc 2006 : 39).

En 2006, le renouvellement de l’exposition permanente a été l’occasion d’impliquer les membres de la communauté à la présentation et à la valorisation de la culture ilnue. Une nouvelle muséologie, davantage communautaire (Dubuc 2007 : 67) a vu le jour pour consulter les membres de la communauté et pour collaborer avec les artisans et artistes Ilnuatsh :

« Je suis fière de cette exposition là parce que justement c’est à l’image de ce qu’on est »

(Femme 3, février 2013).

A l’heure où j’écris ces lignes, le musée est en plein processus de renouvellement de son exposition permanente. Seul l’avenir dira quelle implication communautaire sera privilégiée.

L’école secondaire Kassinu Mamu

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Les services éducatifs et scolaires sont administrés par Pekuakamiulnuatsh Takuhikan - ou le Conseil de Bande des Montagnais du Lac-St-Jean38 - qui s’est réapproprié la responsabilité de

l’éducation de ses jeunes à partir de 1980. Aujourd’hui, il existe une garderie (maternelle), une école primaire ainsi qu’une école secondaire39.

L’école secondaire Kassinu Mamu, qui signifie « Tout le monde ensemble », a réinvesti les lieux de l’ancien pensionnat, symbole fort de la perte des savoirs et des savoir-faire culturels, et se réapproprie peu à peu leur transmission. L’école Kassinu Mamu compte environ 210 élèves. En 2015, elle a diplômé la première cohorte d’élèves de secondaire 5. Elle dispense le programme de formation du secondaire du ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, des parcours de formation axés sur l’emploi et des programmes personnalisés.

Les écoles intègrent également des contenus culturels et linguistiques en nehlueun aux programmes scolaires. Les enfants du primaire ont trois cours d'une heure de langue par cycle de neuf jours. Au secondaire, les élèves ont deux heures de cours par cycle de neuf jours.

Le temps alloué à ces cours est très restreint et malgré ses efforts, l’école n’est pas perçue comme un moyen efficace pour transmettre la culture :

« Un cours de culture 3 h par semaine c’est bien mais c’est pas assez, c’est sauver les

meubles » (Femme 9, août 2014).

« L’école, c’est pas un bon endroit pour montrer, ils ont des ordinateurs, les jeunes ils se

concentrent pas. Habituellement, ce serait le temps de faire ça dehors » (Aîné 2, mai 2012).

L’école n’est donc pas appréhendée comme un lieu propice à la transmission de la culture ilnue puisqu’elle est remplie de nuisances distractives et qu’elle enferme les enfants dans un environnement clos, éloigné du territoire.

38 Le Conseil de bande est l’organisation politique et administrative de la communauté. Entité politique née de la Loi sur les Indiens, c’est la seule autorité reconnue légalement par le gouvernement. Élus pour 4 ans, le chef et ses 6 conseillers gèrent les différents services dispensés aux membres de la communauté, via le relais des nombreux employés Ilnuatsh.

39 L’école secondaire québécoise (secondaire 1 à 5) s’étale sur une période comprise, en France, entre le collège et le lycée. Les élèves du secondaire ont environ entre 12 et 16 ans.

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Une transmission institutionnalisée qui cherche à réinvestir le lien social

avec les aînés

Ce qui ressort des discours de certains Ilnuatsh cités précédemment, c’est une certaine réticence et une ambivalence à l’encontre des institutions muséales et scolaires de la communauté. Considérées comme des lieux de connaissances, elles sont aussi considérées comme des lieux d’éducation « de blancs » qui ne favorisent pas la transmission des savoirs ilnus. Enfin, ces institutions sont perçues comme des lieux qui retirent aux familles la responsabilité de la transmission culturelle et qui renforcent la rupture du lien social, déjà fragilisé à l’époque des pensionnats.

De plus, pour nombre d’Ilnuatsh, ces institutions sont non-appropriées à la transmission puisque par définition un savoir ou savoir-faire du « bois » devrait se transmettre « dans le bois »:

« Anciennement, c’étaient des connaissances qu’étaient connues parce que c’était une manière de vivre, une connaissance que t’avais en observant, pis aujourd’hui il faut l’enseigner. Moi je vais dans le bois, je ne vais pas leur enseigner à mes enfants, j’espère juste les intéresser à la forêt. Pis ici on essaie d’apprendre ça mais encadré comme à l’école, ça marche pas là » (Homme 7, mai 2012).

L’apprentissage des connaissances ilnues est davantage valorisé lorsqu’il se déroule au sein de leur territoire car la compréhension du vécu s’accomplit principalement à l’intérieur de l’action et de l’environnement qui l’occasionne (Ingold 2000, 2012) :

« Cela favorise l’acquisition de connaissances, parfois même sans en prendre conscience » (Jeune adulte 2, mai 2012).

« La culture que t’apprends dans le bois, tu la vis naturellement » (Homme 13, août 2014). Pour se rapprocher davantage des aspirations locales, et en réaction aux sentiments d’inadéquation des institutions en place, celles-ci ont développé des programmes pour intégrer la transmission au sein d’environnements intergénérationnels et territoriaux.

Le site de transmission culturelle

Le site Uashassihtsh (Petite baie) est un « site de transmission culturelle » mis en place par le Conseil de Bande en 2012 pour transmettre la culture ilnu, aux membres de la communauté et aux visiteurs. Il est aujourd’hui administré par la Société d’histoire et d’archéologie de Mashteuiatsh (SHAM), qui gère également le Musée amérindien de Mashteuiatsh. Il est situé sur le bord du

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Pekuakami (lac St-Jean). Il est composé d’un site extérieur et d’un bâtiment qui permet d’organiser

des activités à l’intérieur. Ce lieu de transmission complète la mission du musée qui est de conserver les objets, en transmettant les savoirs liés à leur fabrication et à leur utilisation.

Une transmission personnalisée et spécialisée

L’été, plusieurs artisans et aînés que l’on appelle les « transmetteurs », travaillent sur le site

Uashassihtsh. Ils ont chacun un ensemble de connaissances et de compétences spécifiques à

transmettre, relatives par exemple à la pêche, au travail du bois, à la confection de canot, à la broderie etc.

A l’origine, le projet visait à recréer la vie d’un campement ilnu durant la période 1910-1930. Assez vite, les artisans, frustrés de devoir s’habiller selon les habitudes vestimentaires des années 1930 pour parler de leurs connaissances actuelles, ont fait entendre leur mécontentement et ont fait évoluer le projet d’animation en une démonstration contemporaine, davantage à leur image.

Chaque artisan possède un « tentement » en dessous duquel il s’occupe des activités qui lui sont associées, par exemple réaliser des rames en bois, des outils en os, ou de la broderie. Ils y accueillent les touristes ou les membres de la communauté. Plusieurs artisans se regroupent sous les mêmes tentes. L’été, le site est un lieu d’échange convivial où l’on sait que l’on aura toujours de la bonne compagnie et de nombreuses occasions de rire. Profitant de la présence des artisans, il m’est souvent arrivé d’y passer de longs moments pour discuter des objets, accompagnée du catalogue des photos des objets du NMAI de Washington.

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Les premières années, seuls les aînés et les artisans étaient engagés sur le site. Lorsque sa gestion a été reprise par le musée, les jeunes guides qui y étaient engagés durant la saison estivale ont commencé également à y travailler.

Entre 4 et 6 jeunes de la communauté qui ont entre 15 et 20 ans sont ainsi engagés l’été pour travailler au musée, au site Uashassihtsh ou les deux. Les jeunes guides avec qui j’ai eu la chance de partager plusieurs étés sont Simon Buissière-Launière, Thomas Moar ou encore Jimmy Angel Bossum. Ils ont aujourd’hui entre 18 et 21 ans.

L’expérience des guides culturels du musée et du site Uashassihtsh les aide à développer leurs qualités d’orateurs. Comme les artisans le font, ils se servent des objets comme supports pour parler de leur culture, mais personnalisent leurs visites selon leurs domaines de compétence et d’intérêt, que ce soit la chasse (pour Thomas), la spiritualité (pour Jimmy) ou l’artisanat (pour Simon). L’expérience personnalisée qu’ils offrent rejoint l’apprentissage ilnu, qui est personnalisé et spécialisé :

« Cela n’a pas été une transmission uniforme à tous les enfants de la même façon, dépendamment des champs d’intérêts, dépendamment des forces, des aspirations, ils transféraient des connaissances ciblées, on peut dire que c’est des spécialités […]. Bien sûr, y’a un enseignement de base qui est fait mais dépendamment de ce que l’enfant pouvait être intéressé, on pouvait lui transférer des expertises plus spécialisées » (Homme 13,

juillet 2014).

Au musée et sur le site Uashassihtsh, les guides - jeunes et moins jeunes - transmettent et perpétuent, en même temps que leurs savoirs, une particularité de cet héritage immatériel. Ce site répond aussi à des attentes qui m’étaient confiées en 2012 quant à la mise en valeur des objets ilnus :

« Il faut que cela soit le quotidien qui soit mis en valeur, fabriquer un canot, une raquette,

je pense que c’est ça que les gens voudraient voir, pas juste le panier fabriqué et exposé. J’aimerais qu’on montre comment on les fabrique et avec quel respect on les fabrique. La mise en valeur et la promotion pourraient être plus quotidiennes » (Homme 11, mai 2012).

Contrairement au musée, sur le site, les objets sont replacés dans un contexte. Les transmetteurs sont là pour réaliser certains objets et expliquer de quelle manière on les utilise.

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Un contenu renouvelé

Sur le site Uashassihtsh, les aînés et les artisans possèdent tous d’importantes connaissances. Certains m’ont toutefois confié qu’ils avaient eu à apprendre entièrement ou à perfectionner les domaines d’activités qu’ils avaient à transmettre ; domaines qui ne leur étaient pas nécessairement familiers avant de travailler sur le site.

Pour documenter certaines pratiques culturelles dont ils ont été coupés, ils se sont renseignés par eux-mêmes auprès d’autres Ilnuatsh, mais ont également réalisé des recherches à travers les écrits (ethnographiques, missionnaires), les photos ou les archives disponibles.

Le contenu de ce qu’ils transmettent provient ainsi à la fois de savoirs transmis localement et de savoirs rapportés par les ethnologues. Frank Speck occupe une place importante dans ce qui est appris et transmis aujourd’hui localement car il a directement côtoyé les Ilnuatsh du Lac-Saint- Jean pendant des dizaines d’années. Jusqu’en 2011, le livre référence de Speck, Naskapi The

Savage Hunter of the Labrador Peninsula, existait uniquement en anglais, ce qui réduisait de

beaucoup son accès aux Ilnuatsh francophones. En 2011, l’ouvrage a été traduit en français par Pierre-Marie Carayon, un guide de montagne français passionné du Grand Nord canadien et de la culture innue, et a été mis en vente au Musée amérindien de Mashteuiatsh. L’ouvrage connait un véritable succès auprès des Ilnuatsh, ce qui traduit un intérêt partagé pour les témoignages ilnus passés qu’il a retranscrit.

Les transmetteurs maîtrisent aujourd’hui des savoirs et savoir-faire qu’ils se sont réappropriés notamment à partir des lectures de Speck et qu’ils réintroduisent dans les animations proposées aux touristes. Nous verrons d’ailleurs au fil des discussions que ces processus de réappropriation et de revitalisation des connaissances ethnographiques ont également une incidence locale sur la manière dont nous ont été présentés les objets du NMAI, sur les connaissances et même les pratiques qui y sont associées.

Selon les intéressés, l’attribution a priori arbitraire d’un type d’activité à un transmetteur leur permet de continuer à apprendre de nouvelles connaissances. Selon Nick Stanley (2007) qui s’intéresse aux musées autochtones dans la région Ouest du Pacifique, la gestion du tourisme culturel est un outil de revitalisation et d’empowerment culturel très important. En effet, l’utilisation du patrimoine culturel au niveau touristique ne représente pas qu’une opportunité de

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développement économique. Ces processus jouent un rôle important dans la connaissance et la reconstitution de l’histoire, mais également dans la valorisation et la conservation du patrimoine culturel et identitaire (Hendry 2005, Bousquet 2008, Stanley 2007). Comme le note également l’anthropologue Marie-Pierre Bousquet, les personnes impliquées dans le tourisme autochtone, souvent de la génération des pensionnats, ne « connaissaient guère, au moment de leur engagement, les savoirs qu’aujourd’hui ils dispensent » (Bousquet 2008 : 35). A travers la recherche d’information auprès des aînés, des archives et des livres, le site « constitue un médium de transmission précieux pour enseigner qui ils sont, aux autres, mais aussi pour se redécouvrir eux- mêmes » (ibid. 38).

En exprimant sans gêne l’origine de leurs sources, les transmetteurs interconnectent dans leur transmission les savoirs écrits et la tradition orale. Ils remettent à jour des usages dont l’origine est parfois méconnue mais dont ils réinterprètent le sens dans le contexte contemporain (Stanley 2007, Bousquet 2008). Les écrits de Speck décrivant les pratiques ilnues des années 1920-1930 se retrouvent ainsi réappropriés dans un discours invoquant les traditions, ce qui reflète l’héritage de « complicité et de collaboration » institué entre les anthropologues et les communautés autochtones (Field 1999) :

« En pratique, la complexité coloniale des relations imbriquées et inachevées entre l’anthropologie et les communautés autochtones se trouve dénouée puis tissée à nouveau […] et même les critiques autochtones les plus sévères envers l’anthropologie reconnaissent le potentiel des alliances lorsqu’elles se basent sur les ressources partagées » (Clifford 2007 : 92).

Ces ressources partagées trouvent une traduction dans les savoirs que les « transmetteurs » se réapproprient et transmettent. Mais quel est l’impact de ces savoirs issus de ressources partagées sur la transmission communautaire ? S’il arrive que les Ilnuatsh croisent les touristes, les occupations touristiques et communautaires du site Uashassihtsh demeurent relativement séparées. Le site remplit surtout une mission touristique durant la saison estivale et cherche davantage à développer une mission communautaire le reste de l’année.

L’hiver, plusieurs types d’activités y sont organisées, le plus souvent à l’intérieur de la bâtisse du site, tels que des ateliers de broderie, des ateliers de confection de mitaines, de préparation des peaux d’orignaux, des ateliers de discussion en nehlueun etc. Ces activités sont ouvertes à tous, mais la demande touristique étant moins importante, ce sont davantage les membres de la communauté qui y participent. Les activités sont d’ailleurs davantage orientées vers la mise en

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pratique des savoirs et savoir-faire que les artisans ne font que raconter et montrer aux touristes durant l’été.

Certains Ilnuatsh visitent le site l’été pour partager du temps avec les artisans, mais lorsqu’on observe les activités saisonnières on comprend que la participation locale se fait lorsqu’il est possible d’expérimenter et de mettre en pratique les activités proposées par les aînés et les artisans. De plus, alors qu’a priori le site pourrait être un lieu de transmission estival qui prenne le relais des activités scolaires, il n’est quasiment pas investi par les jeunes durant cette période. Il existe toutefois un programme qui prenne le relais de l’école, cette fois-ci directement au sein du territoire