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Chapitre 2. Les Ilnuatsh de Mashteuiatsh : d’une tentative d’assimilation forcée à

1. Le processus de dépossessions vécu par les Ilnuatsh

Avant l’arrivée des colons euro-canadiens au XVIe siècle, les Ilnuatsh poursuivaient leur mode de vie semi-nomade de chasseurs-cueilleurs et occupaient les territoires de la région aujourd’hui appelée « Saguenay-Lac-Saint-Jean » (carte 2).

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La forêt constitue l’environnement principal des Ilnuatsh. Le couvert forestier se compose à 70% de conifères tels que l’épinette noire [sheshkatik ͧ] (Picea mariana) et blanche [minaik ͧ] (Picea

glauca), le sapin [innasht] (Abies balsamea), le cèdre blanc (thuja occidentalis) ou encore le mélèze

[uatshinakan] (Larix laricina). Le couvert forestier feuillu est constitué en partie de bouleau à papier [pitaushkuai] (Betula papyrifera), de tremble [mitush] (Populus tremuloides) ou de frêne blanc [atshimashk ͧ] (Fraxinus americana) (Chambaron 1983, Clément 1990).

Au sein de cette forêt, les Ilnuatsh se déplaçaient traditionnellement selon un cycle annuel d’activités bien réglé. Le territoire ilnu étant irrigué par un vaste réseau de rivières constituant autant de voies de navigation dans les terres, les Ilnuatsh partaient à l’automne vers leurs territoires de chasse en canots, passaient l’hiver dans les terres en groupes familiaux, et redescendaient les rivières au printemps pour se rassembler l’été sur les côtes.

S’ils ne vivent plus annuellement en forêt, les Ilnuatsh continuent de chasser et pêcher, selon les saisons, les mêmes espèces animales. À l’automne et en hiver, le gros gibier est encore chassé. Il s’agit principalement de l’orignal, ou élan d’Amérique [mush] (Alces americana) et du caribou, ou renne des bois [atik ͧ] (Rangifer tarandus caribou). Le caribou est un des animaux les plus importants dans la culture innue. Il a cependant quasiment disparu de la région du Lac St-Jean. L’ours noir [mashk] (Euarctos americana), souvent appelé mushum (grand-père) est également très respecté. Il est aussi très apprécié pour sa graisse. En hiver, certains animaux sont trappés pour leur fourrure. C’est le cas notamment du lynx [pishu] (Lynx canadensis). Le castor [amishk ͧ] (Castor

canadensis) est piégé à la fois pour sa fourrure et sa viande. Les oiseaux tels que l’outarde, ou

bernache du Canada [nishk] (Branta canadensis), et le huart à collier [muak ͧ] (Gavia immer) sont chassés lors des périodes de migrations, au printemps et à l’automne. Aux mêmes périodes, les Ilnuatsh pratiquent la pêche au doré [ukau] (Sander vitreus) et à la ouananiche, ou saumon d’eau douce [aunanch] (Salmo salar ouananiche).

Le mode de vie semi-nomade des Ilnuatsh a été bouleversé par les avancées coloniales des Euro- canadiens et par leur volonté d’annihiler les distinctions culturelles des Premières Nations. Dès le milieu du 17ème siècle, avec la mise en place de postes de traite dans la région du Saguenay-Lac-

Saint-Jean (par ex. celui de Metabetchouan en 1676, carte 3), les contacts entre les Ilnuatsh et les Euro-canadiens se formalisent principalement autour du commerce des fourrures échangées contre

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les marchandises européennes. Jusqu’au début des années 1800, les Ilnuatsh qui occupaient la région n’avaient donc que des contacts occasionnels et saisonniers avec les colons (Charest 2001). A partir de 1840 commence l’exploitation forestière. Comme ailleurs au Québec, pour faciliter sa progression coloniale sur les terres occupées par les Ilnuatsh, le gouvernement canadien amorce le système de réserve pour les isoler et les sédentariser. Les terres « réservées » sont administrées depuis 1876 par l’Acte des sauvages, rebaptisé la Loi sur les Indiens. Cette loi est une synthèse des diverses ordonnances coloniales précédentes et vise à assimiler les membres des Premières Nations à la société euro-canadienne29. La loi sur les Indiens régit encore aujourd’hui l’application de la

tutelle gouvernementale sur tous les aspects de la vie des Premières Nations et de leurs réserves (Dupuis 1991). Elle octroie au gouvernement le pouvoir de définir qui est reconnu comme « Indien »30, mais aussi les structures politiques, l’éducation ou les pratiques culturelles des

Premières Nations.

La réserve de Mashteuiatsh : rupture territoriale et unification d’identités

multiples

En 1856, les terres « réservées » pour les Ilnuatsh, d’abord situées à Métabetchouan et à Péribonka, ont été transféréesau canton de Ouiatchouan, à un endroit nommé « la Pointe Bleue », aujourd’hui Mashteuiatsh (carte 3).

29 Cette loi rassemble notamment l’Acte pour encourager la civilisation graduelle des tribus sauvages en cette province et l’Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle des Sauvages.

30 L’Acte des sauvages de 1876 établit que l’ascendance patrilinéaire, ou le degré de « sang indien », sont les critères qui établissent le droit d’obtenir le statut d’indien inscrit. Les femmes épousant un non-Indien perdaient ce statut, et leurs enfants aussi. En 1985, le gouvernement fédéral adopte le projet de loi C-31 qui modifia la loi. Cette modification vise à éliminer la discrimination basée sur le sexe en modifiant les critères d’admissibilité du statut d’indien. Elle permet d’y inclure les femmes indiennes qui ont épousé un Indien non inscrit ainsi que leurs enfants (Clatworthy 2009).

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En 1985, les Ilnuatsh ont choisi de donner officiellement à leur réserve l’appellation ilnue de

Mashteuiatsh, terme signifiant ‘Là où il y a une pointe’. Mashteuiatsh est en effet située sur une

pointe de terre sur la rive ouest du Pekuakami, ou ‘lac peu profond’, appelé en français lac Saint- Jean (carte 3). Pour se nommer, les Ilnuatsh se réfèrent au réseau hydrographique de leur territoire d’occupation et se regroupent sous l’appellation Pekuakamiulnuatsh (les Ilnuatsh du Pekuakami). Comme ailleurs au Québec, ils parlent désormais de communauté, et non plus de réserve.

Mashteuiatsh est la seule communauté autochtone de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Elle faisait initialement 93 km² (23400 acres), mais elle n’a cessé de diminuer sous la pression coloniale (Ratelle 1987, Pelletier 2012 : 66). Après plusieurs cessions aux villes voisines intéressées par le potentiel agricole des terres (1857, en 1869, 1895), la réserve a perdu 85 % de sa superficie originelle. Des 93 km², il ne reste plus que 15 km² (Ratelle 1987, Pelletier 2012 :69). Mashteuiatsh

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est située entre 5 à 15 km des villes (Roberval, 10 227 habitants) et villages (Saint Prime, 2753 habitants) les plus proches.

La bande associée à Mashteuiatsh comprend aujourd’hui 6562 membres, dont 2058 résident dans la communauté31. Les Ilnuatsh de Mashteuiatsh possèdent des origines multiples qui fondent

aujourd’hui la richesse culturelle de la bande. Au centre d’un réseau hydrographique de communication, Mashteuiatsh se situe en effet sur un lieu ancestral de rencontre et d’échanges entre différentes Nations autochtones. Après la création de la communauté (1856), plusieurs Ilnuatsh d’autres bandes regroupées aux postes de Traites à l’entour (la bande de Chicoutimi ; la bande de l’Ashuapmushuan, de Metabetchouan ou encore la bande de Bersimis) ainsi que des individus d’autres Nations telles que des Atikamekw, des Waban-Aki (Abénaquis) ou des Eeyou (Cris), notamment de Mistassini, se sont regroupés dans la région du Lac-Saint-Jean et ont fini par intégrer la communauté de Mashteuiatsh. Pendant presque un siècle, certains de ces nouveaux habitants cultivèrent les terres de la réserve tandis que les autres, peu intéressés par l’agriculture, continuèrent à poursuivre leur mode de vie semi-nomade et à ne revenir au village qu’en saison estivale.

La scolarisation : rupture familiale et culturelle

Les réserves n’ayant pas eu les effets escomptés sur la sédentarisation des groupes autochtones, le gouvernement s’est doté de directives qui allaient changer pour beaucoup leur avenir : la scolarisation des enfants, qui sera conduite par l’institutionnalisation d’une des entreprises coloniales les plus dévastatrices, celle des pensionnats.

La Loi sur les Indiens a été modifiée en 1894 pour prolonger l’âge de la fréquentation scolaire obligatoire des Autochtones jusqu’à sept ans, puis quinze ans en 1920. À titre de comparaison, l’école ne devient obligatoire pour les enfants québécois de 6 à 14 ans en 1943. En dépit de ces

obligations, les jeunes Ilnuatsh continuèrent à vivre majoritairement avec leurs parents en forêt.

31 Source : Affaires autochtones et Développement du Nord Canada : https://www.aadnc- aandc.gc.ca/Mobile/Nations/profile_mashteuiatsh-fra.html (dernier accès le 17 avril 2017).

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Le projet d’assimilation des jeunes Autochtones prévoit alors de les séparer le plus tôt possible de leur famille, en les envoyant dans des pensionnats, éloignés des réserves et tenus par des missionnaires (Barman, Hébert et McCaskill 1986). En 1920, en vertu d’une modification de la Loi sur les Indiens, l’envoi des enfants dans les pensionnats fut rendu obligatoire et le refus des parents juridiquement passible de sanction32.

Six « pensionnats indiens » ouvrent leurs portes au Québec entre 1934 et 1962. Le pensionnat catholique de Fort George, qui se situe à plus de 1200 km de Mashteuiatsh, ouvre ses portes en 1936. A partir des années 1940, de jeunes Ilnuatsh commencent à y être envoyés. En 1952, le pensionnat de Fort George ferme. Celui de Mashteuiatsh ouvre ses portes en 1956 et fut administré par le gouvernement jusqu’en 1979.

Les enfants issus de familles pratiquant encore un semi-nomadisme saisonnier furent envoyés dans ces pensionnats, ne retrouvant leur famille au mieux que pendant la période estivale. La pratique de leur langue maternelle et de leurs traditions coutumières fut sévèrement prohibée. Un grand nombre d’enfants subirent également des sévices corporels, sexuels et psychologiques.

« Mes tantes, elles ont été obligées d’aller à l’école, et donc de subir le racisme: "Tu sens

pas bon ", " T’es sale", t’es ci, t’es ça… J’ai une tante qui prenais son bain, elle mettait de l’eau de javel dedans pour essayer de se blanchir la peau. Y’en a une autre qui se nettoyait avec une brosse à plancher pour nettoyer comme il faut ses coudes pis ses genoux. Veux veux pas, c’est les parties les plus foncées » (Femme 4, mai 2012).

Les familles les plus sédentaires ont dû envoyer leurs enfants à l’école de jour. Ces derniers ne furent pas coupés physiquement de leur famille pendant plusieurs mois, mais subirent également une rupture culturelle puisque ni leur langue, ni leur culture ne leur étaient enseignées. De même, ces enfants ont enduré de nombreuses moqueries et humiliations portées à l’encontre de leur culture, au même titre que les autres pensionnaires.

Cette rupture n’a pas été vécue de la même manière par tous les Ilnuatsh rencontrés. Certains ont apprécié avoir une école au sein de la communauté, d’autres ont eu l’impression de subir une dépossession totale.

32 À propos de l’imposition de la scolarisation et de la résistance qu’elle a provoquée chez certains parents, se référer à Haig-Brown (1988 : 27) et Barman et al. (1986 : 11).

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Ce n’est qu’après l’institutionnalisation de l’école que les familles se sont installées peu à peu de façon plus permanente sur la réserve. Les parents, pour ne pas abandonner leurs enfants, ont de plus en plus réduit leur mobilité. Comme le mentionne Jean-Paul Lacasse (1996 : 193) : « C’est finalement l’école qui a constitué le facteur le plus puissant de la sédentarisation ».

Cette volonté gouvernementale de faire de ces enfants des « citoyens canadiens ordinaires » (Roué 2006 : 20) a créé de nombreux problèmes de réinsertion à la vie communautaire (Saganash 2005). L’imposition systématique d’un enseignement institutionnalisé occidental et des valeurs qui y sont associées n’ont pas permis aux Ilnuatsh d’acquérir les savoirs et savoir-faire propres à leur culture. Parmi ceux qui ont été transmis dans les familles, certains ont été, volontairement ou non, abandonnés. La répression culturelle encouragée par l’église, l’école et les contacts avec l’extérieur a créé un fossé entre les générations et ce dernier s’est agrandi lorsqu’un nouveau mode de vie et des valeurs euro-canadiennes se sont peu à peu imposés. Les pensionnats ont en effet eu un impact dévastateur au sein des familles en désintégrant le lien social entre les enfants, les parents et les grands-parents, le rôle des aînés dans l’éducation des enfants, et de facto les modes et contenus de la transmission des connaissances culturelles.

Des ruptures avec le territoire affectant les modes et les contenus de la

transmission culturelle

Les politiques violentes d’assimilation, de sédentarisation, d’aliénation et d’interdictions culturelles ont provoqué des ruptures brutales dans les processus de transmission de connaissances et de savoir-faire intimement reliés à l’utilisation, l’expérience et la gestion du territoire (carte 4).

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Carte 4. La communauté de Mashteuiatsh et son territoire. Préparée par le Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, 2002

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Pour les Ilnuatsh, le territoire était à la fois objet et lieu de transmission. Traditionnellement, les enfants y apprenaient de façon dynamique, en suivant un processus d’observation et d’imitation des adultes et des aînés, selon leur âge, leurs compétences et selon les comportements qu’on attendait de leur genre (Vincent 1982, Lavoie 1999). La transmission des savoirs et savoir-faire se faisait de façon orale, visuelle et surtout expérientielle (Goulet 1998, Johnson 1992, Goyon 2005). La rhétorique la plus utilisée pour expliciter le mode de transmission fait appel au regard et au principe de l’expérimentation : « Regarde et tu le feras après ».

« Mes parents ne nous parlaient pas beaucoup, ils nous disaient toujours "Plus tard, tu vas savoir" » (Homme 7, juin 2012).

« Papa une fois lui a dit "Arrête de toujours poser des questions pis tu fais ce que je te dis". Il dit : "Je veux pas que tu saches pourquoi tu le fais, je t’ai dit de le faire" pis il n’a pas dit ça pour l’insulter. "Quand viendra le temps que je t’explique pourquoi tu dois le faire, ben tu vas comprendre parce que tu vas l’avoir déjà pratiqué pour comprendre mieux, pis là, ça va te rentrer dans la tête". Après ça, elle n’a pas eu besoin d’un cours 101 [cours d’introduction] pour choisir une belle écorce ou une mauvaise écorce, elle le savait. Elle savait gratter de la racine parce qu’elle savait comment, pis où et à quel temps. Après ça elle a saisi, elle regardait comment elle faisait, elle essayait de le faire elle-aussi, ben elle comprenait pourquoi ça se faisait de même pis comment le faire aussi » (Homme 9, juillet

2015).

Depuis la sédentarisation, l’institutionnalisation scolaire, l’introduction du capitalisme marchand et industriel ou encore l’implantation de services liés à la santé, la survie des membres de la communauté ne dépend plus de la maîtrise qu’ils ont des compétences sur leur territoire. Le changement de mode de vie, le rythme de l’école et du travail, l’éloignement plus ou moins important du territoire familial ainsi que les coûts engendrés par les transports en territoire sont autant de raisons qui ne facilitent pas l’accès à celui-ci.

De plus, le territoire ancestral des Ilnuatsh a connu de nombreux bouleversements. En plus du développement forestier, le lac Saint-Jean et son environnement ont, dès les années 1920, été

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modifiés par cinq barrages hydroélectriques33. Ces barrages ont violemment affecté la vie des

Ilnuatsh dont les territoires ancestraux ont été inondés et détruits. Ils ont particulièrement bouleversé l’écologie des milieux et des espèces concernés, mais également l’état des connaissances associées et leur transmission. Ne pouvant plus être expérimentés en territoire de façon quotidienne, les modalités et le contenu de la transmission se sont vus complètement transformés.

Le rôle des jeunes apprentis

L’apprentissage, fruit de l’expérience individuelle, laissait sous-tendre une autonomisation des jeunes apprentis afin qu’ils puissent expérimenter et apprendre aussi bien de leurs réussites que de leurs échecs (Goulet 1998, Anderson 2009). L’éducation scolaire imposée a introduit un mode de transmission unidirectionnel, coupé des expériences personnelles, quotidiennes et contextuelles des jeunes. Les jeunes se sont vus, et se voient encore, inculquer des savoirs plus ou moins abstraits qu’ils n’ont pas le choix d’assimiler par cœur pour être validés et qu’ils ne peuvent pas, la plupart du temps, mettre en pratique (Battiste et Barman 1995). A l’inverse de l’autonomie qui leur était octroyée dans les modes d’apprentissage ilnus qui facilitait l’incorporation des savoirs transmis, les jeunes sont soumis à l’autorité de l’école et d’un professeur qui détermine leur apprentissage. Ce mode de relation d’apprentissage a mis en danger les liens intergénérationnels ; les deux générations, qui ne suivent pas les mêmes règles, ayant alors du mal à se comprendre et à projeter les intentions de l’autre :

« Les aînés ils ont appris comment ? C’est toi qui dois te botter le cul, c’est toi qui dois venir voir, venir demander l’apprentissage pour le recevoir. A l’école, on étudie, on vous donne l’information. Beaucoup de jeunes ici n’ont pas compris ça. Ils attendent qu’on vienne les chercher. Moi mon oncle, il va jamais venir me réveiller à 8h le matin pour aller à la trappe, pour faire un couteau croche, pour faire des rames. Le jour où est-ce qu’il va venir me chercher c’est quand je vais lui dire : "Demain matin, viens me chercher mon oncle, je vais venir avec toi" » (Jeune adulte 7, octobre 2015).

33 Dès 1924, le barrage de l’Île Maligne est construit. Au début des années 1950, sont construits les barrages de Chute-du-Diable (1952) et de Chute-à-la-Savane (1953). En 1959, se sera le tour du barrage de Chute des Passes. Enfin, en 2004 est construit le barrage de Péribonka 4.

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Comment savoir formuler une demande auprès d’un aîné lorsque toute votre éducation vous a inculqué tout au contraire la soumission et la passivité vis à vis des adultes qui décident du moment et du type d’apprentissage inculqué ?

Le rôle des familles et des aînés

L’œuvre coloniale des pensionnats a brisé plusieurs institutions culturelles, notamment celle de la famille. Le rôle de la famille, et particulièrement celui des aînés, a été en effet amoindri dans le système éducatif des jeunes. Lorsque les Ilnuatsh vivaient majoritairement de façon nomade, la famille était à la base de la vie sociale et culturelle. Dans tous les témoignages qui m’ont été donnés par les aînés et les adultes, les grands-parents - ou d’autres aînés - ont toujours pris part de façon très active dans leur éducation, et apparaissent comme les « premiers médiums de connaissances » qu’ils ont connu (Boucher 2005, Goyon 2005). La désintégration de ce lien social et les transformations des modes d’éducation ont diminué les opportunités d’acquérir les savoirs des aînés. Aujourd’hui, pourtant toujours respectés, ces derniers ne se sentent plus assez impliqués dans l’éducation des jeunes.

Le modèle scolaire canadien n’a pas aidé à développer la curiosité des enfants. D’un autre côté, les aînés, qui favorisent davantage l’expérimentation des savoirs in situ, ne sont pas toujours très loquaces. Dans un contexte où les savoirs ne peuvent justement plus être autant expérimentés, la confrontation de ces deux modèles a mené à une situation où les enfants, conditionnés par la passivité scolaire et par le silence des ainés, n’ont pas toujours pu ou oser poser les questions. Alors que la valeur des savoirs était expérientielle et personnelle, ces savoirs sont dorénavant moins expérimentés et davantage médiatisés par la parole. Dans une volonté de documenter, de conserver et de se réapproprier les connaissances encore connues, les Ilnuatsh ne peuvent plus attendre d’expérimenter tel ou tel savoir en territoire ; ils doivent « poser des questions » et réinvestir ces lieux de connaissances que représentent les aînés.

« On posait pas de questions, parce que c’était comme ça. Mais y’a beaucoup de choses qu’on n’a pas vu ou pas connu. Aujourd’hui, on se rend compte qu’on aurait dû poser des questions. On essaie de le faire le plus possible avant que ça soit trop tard » (Femme 25,

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Depuis la fin des années 1970, la communauté a institué plusieurs projets pour documenter et enregistrer les connaissances des aînés et les transmettre aux plus jeunes générations34. Les savoirs

des aînés sont enregistrés sur bande sonore ou, lorsque c’est possible, filmés sur vidéo.

Si la verbalisation des savoirs ainsi enregistrés favorise en partie la transmission des connaissances, il lui est souvent reproché par les Ilnuatsh de ne pas favoriser l’appropriation des savoirs par l’expérience. Pour répondre à ce besoin de rétablir et de réintroduire les savoirs des aînés au sein d’environnements qui favorisent leur mise en pratique, des programmes s’établissent aujourd’hui au sein des institutions culturelles, scolaires et politiques pour revaloriser les rassemblements communautaires et les relations intergénérationnelles, en territoire ou dans la communauté.

2. Réappropriation institutionnelle des modes de transmission