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beaucoup plus large du droit au développement en cherchant un équilibre avec la notion de développement durable, et en tenant compte des besoins de développement et de l’environnement pour les générations présentes et futures544. Le droit au développement se nourrit donc d’une longue démarche à travers les résolutions et différentes déclarations avant de constituer, sous l’égide des Nations Unies, une nouvelle norme de droit international portant à la fois sur des droits individuels et des droits collectifs.

Sous-section II : Le fondement juridique du droit au développement.

Le fondement juridique du droit au développement, fruit de la doctrine chrétienne545 et de la doctrine juridique546, se trouve dans la Déclaration sur le droit au

544 Sumutu ATAPATTU, Emerging principles of International Law, Transnational Publishers, 2006, p.103. 545 L’Église Catholique a beaucoup contribué à l’enrichissement et à l’émergence du droit au développement

au travers des valeurs chrétiennes. Georges DUPUIS, « Pour une lecture juridique de l’encyclique Populorum Progressio », (1970) vol. LXXIV, RGDIP, pp. 757-871 ; M.T SZMITKKOWSKI, « Reconnaissance du droit au développement et doctrine chrétienne », dans René CASSIN, René Cassin Amicorum Discipulorumque, Liber IV, Méthodologie des Droits de l’Homme, Paris, Pedone, 1972, pp 152 et ss. Le Pape Léon XIII dans son encyclique Rerum Novarum de 1891 avait mentionné les principes fondamentaux de la doctrine sociale de l’Église : la solidarité humaine, et la fraternité des croyants, qui vont être présents dans la réflexion catholique qui mène à l’affirmation du droit au développement. La première référence explicite au droit au développement a été prononcée par le représentant du Saint siège, L-J Lebrert, à la première CNUNCED en 1964. Le représentant estimait « Dans une humanité où se réalise la solidarité, le droit de tous les peuples au développement doit être reconnu et respecté. Le Pape Jean Paul VI va plus loin dans son encylclique « Populorum progressio» du 26 mars 1967, où il formule indirectement le droit de chaque homme au développement en disant « si la terre est faite pour fournir à chacun les moyens de sa subsistance et les instruments de son progrès, tout homme a donc le droit d’y trouver ce qui lui est nécessaire» (point 22 de l’encyclique); il dégage aussi la dimension internationale du droit au développement en écrivant «le développement intégral de l’homme ne peut aller sans le développement solidaire de l’humanité» (point 43); il fait aussi la corrélation entre développement et la paix, en disant «les disparités économique, sociales et culturelles trop grandes entre peuples provoquent tensions et discordes et mettent la paix en péril» (point 76)

546 Les deux précurseurs de l’émergence juridique du droit au développement sont Keba M’Baye, Premier

Président de la Cour Suprême du Sénégal, et Karel Vasak, Ancien Directeur de la Division des Droits de l’Homme à l’UNESCO. Keba M’Baye configure le droit au développement comme droit de l’Homme, et Karel Vasak affirme que le droit au développement fait partie de la troisième génération des droits de l’Homme, sachant que la première génération correspond « aux droits civils et politiques », la seconde regroupe « Les droits économiques, sociaux et culturels ». Les droits civils et politiques sont essentiellement individuels, opposables à l’État qui doit s’abstenir d’entraver la liberté des individus. Les droits économiques, sociaux et culturels exigent une intervention de l’État en vue d’assurer l’égale liberté des individus dans la société. Cette troisième génération de droits de l’homme renferme: le développement, la paix,

développement adoptée en 1986 par l’Assemblée Générale des Nations Unies sur un vote de 146 sur un total de 155 votes exprimés, avec une seule voix contre (États-Unis) et 8 abstentions (Danemark, République Fédérale d’Allemagne, Finlande, Islande, Israël, Japon, Suède, et le Royaume Uni)547. L’article 1(1) se lit comme suit :

« Le droit au développement est un droit inaliénable de l'homme en vertu duquel toute personne humaine et tous les peuples ont le droit de participer et de contribuer à un développement économique, social, culturel et politique dans lequel tous les droits de l'homme et toutes les libertés fondamentales puissent être pleinement réalisés, et de bénéficier de ce développement ».

On retrouve ici la participation citoyenne dans le processus de développement économique d’un pays. Mais, l’article identifie d’abord le droit au développement comme un droit de l’homme. Cet énoncé juridique est en cohérence avec la doctrine selon laquelle, le droit au développement se rangerait dans les droits de l’homme de la troisième génération (droits de solidarité incluant le droit à l’environnement et le droit à la paix) venant compléter ceux de la première génération (civils et politiques) et de la deuxième génération (droits économiques et sociaux)548.

l’environnement, le patrimoine commun de l’humanité, l’assistance humanitaire en cas de détresse. Ils visent à pénétrer la dimension humaine dans les domaines abandonnés à l’État. Leur réalisation dépend de la conjonction des efforts de tous les acteurs du jeu social : l’individu, l’État, les entités publiques et privées, la communauté internationale.

547 L’opposition américaine est motivée selon l’explication du vote par l’aspect confus et imprécis de la

Déclaration, le lien développement/désarmement et l’idée que le développement dépend des transferts du Nord vers le Sud. L’Abstention des autres pays (Danemark, République Fédérale d’Allemagne, Finlande, Islande, Israël, Japon, Suède, et le Royaume Uni) se fonde sur deux raisons majeures : la priorité des droits individuels sur le droit des peuples et le refus de considérer que l’assistance au développement est une obligation du droit international. Voir: Roland RICH, « The right to development: A right of people? » dans James CRAWFORD (ed.) The right of people, Oxford (Royaume-Uni), 1988, p.39, tel que cité dans A. MAHIOU, préc, note 529, p.150.

Les doctrinaires élaborent sur les différentes générations de droit. Selon eux, le droit au développement comme faisant partie des droits de la première génération, s’identifie à ce que les auteurs définissent comme des « droits-libertés »549 étant eux- mêmes opposables à l’État550. Il s’agit des droits civils et politiques qui découlent du libéralisme politique551. Ces droits sont définis essentiellement par la Déclaration universelle des droits de l’homme de décembre 1948 et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966. Ils sont donc classés dans la catégorie des « droits fondamentaux » dégagés par les constitutions et les juridictions constitutionnelles552.

Parmi les droits civils et politiques, se trouvent par exemple le droit à la vie, le droit à la santé, le droit à la sureté de sa personne, le droit à la liberté. Les États ne doivent pas empêcher la réalisation de ces droits, mais doivent en faciliter la réalisation. Tel est le sens de l’article 2(3) de la Déclaration sur le droit au développement qui assigne à l’État son rôle dans le processus de développement en affirmant que : « Les États ont le droit et le devoir de formuler des politiques de développement nationales et internationales ayant pour but l’amélioration constante du bien-être de l’ensemble de la population et de tous les individus »553. Elle déclare à l’article 3(1) que les États ont également la responsabilité première de la création des conditions nationales et internationales favorables à la réalisation du droit au développement554.

549 Michel LEVINET, « Recherche sur les fondements du droit au développement de l’être humain à partir

de l’exemple de la Convention européenne des droits de l’homme », Montpellier, Université de Montpellier, 1995, p.1-78.

550 JM. ARBOUR et G. PARENT, préc., note 115, p.736.

551 Id. ; Frédéric SUDRE, La Convention européenne des droits de l’homme, PUF., 3ème éd., 1994, pp.86-87. 552 Pour le juge constitutionnel allemand, les droits fondamentaux sont « d'abord des droits individuels, des

droits de l'homme et des droits civils qui ont pour but de protéger une sphère secrète de la liberté humaine particulièrement menacée » (M.L. PAVÍA, « Éléments de réflexion sur la notion de droit fondamental », Les Petites Affiches, 6 mai 1994, p.7.). La Loi fondamentale du 24 mai 1949 précise par ailleurs que les droits civils ne peuvent être affectés dans leur substance par une révision constitutionnelle. De même, en Espagne, les droits économiques et sociaux ne sont pas protégés par la procédure d’amparo.

553 Déclaration sur le droit au développement, préc., note 61, article 2(3). 554 Id., art 3(1).

C’est ainsi qu’apparait le rôle de l’État dans la protection des droits de la personne. C’est à cet aspect individuel que les pays développés font correspondre le droit au développement puisqu’ils s’opposent à ce que les nécessités du développement national servent d’alibi pour mettre en cause les droits civils et politiques555. Donc, ils y voient un espace de liberté individuelle offert à tout individu. Pour eux, il s’agit de réaffirmer la primauté du respect et les règles établies, notamment celles relatives aux droits de l’homme, aux libertés fondamentales et aux principes libéraux démocratiques.556

À côté des « droits-libertés » se trouvent également, ce que les auteurs appellent « droits-créances »557, lesquels sont garantis par le Pacte international relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966. Les « droits-créances renferment pour l’essentiel : le droit au travail, le droit au logement, le droit à la sécurité sociale, le droit à un niveau de vie suffisant, le droit à l’éducation »558. Il s’agit des droits de la deuxième génération qui font appel à des mécanismes distincts de ceux garantissant les droits civils et politiques, mais qui doivent faire partie des politiques publiques des gouvernements. En consacrant l’ensemble des droits-libertés et des droits-créance, le droit au développement met l’accent sur la satisfaction des besoins humains et sociaux et confie aux États la responsabilité de créer les conditions favorables à sa réalisation. Cela suppose, selon J.-Maurice Arbour et Genevièvre Parent, des relations économiques équitables, et par conséquent une révolution dans les relations économiques internationales559. Cette réflexion reproduit l’idée qui est dégagée dans l’article 2(1) de la Déclaration portant sur l’aspect collectif du droit au développement. En effet, l’article 1(2) de ladite Déclaration enseigne que le droit au développement est également un droit collectif qui fait de l’État le gardien et le bénéficiaire dudit développement. Il est dit :

555 Id., A. MAHIOU, préc., note 529, p.146. 556 Id.

557 JM. ARBOUR et G. PARENT, préc., note 115, p.736. 558 Id. p.746.

« Le droit de l'homme au développement suppose aussi la pleine réalisation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, qui comprend, sous réserve des dispositions pertinentes des deux Pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme, l'exercice de leur droit inaliénable à la pleine souveraineté sur toutes leurs richesses et leurs ressources naturelles. Cette dualité du droit au développement ne suggère aucune priorité, mais au contraire un alliage constructif du droit individuel et du droit collectif qui se complètent ».

C’est dans cette conception du droit au développement que les pays en développement se retrouvent, contrairement aux pays développés. Pour eux, le droit au développement, comme droit collectif, renferme le droit des peuples à disposer d’eux- mêmes, la souveraineté sur les ressources naturelles, le libre choix des modèles de développement, la participation au processus de décision internationale, le droit à une assistance internationale560. Pour répéter le professeur Ahmed Mahiou, la dimension collective du droit au développement concerne le développement global des États561

La Déclaration de Vienne en 1993562, venue plus tard, va dans le même sens, en affirmant que le droit au développement est un droit universel et individuel qui fait partie intégrante des droits fondamentaux de la personne humaine. L’article I (10) se résume ainsi :

« La Conférence mondiale sur les droits de l’homme réaffirme que le droit au

développement, tel qu’il est établi dans la Déclaration sur le droit au développement, est un droit universel et inaliénable qui fait partie intégrante des droits fondamentaux de la personne humaine. Ainsi qu’il est dit dans la Déclaration sur le droit au développement, la personne humaine est le sujet central du développement. Si le développement facilite la jouissance de tous les droits de l’homme, l’insuffisance de développement ne peut être invoquée pour justifier une limitation des droits de l’homme internationalement reconnus.

560 Id.

561 A. MAHIOU, préc, note 529, p.146. 562 Déclaration de Vienne, préc., note 543.

Les États devraient coopérer pour assurer le développement et éliminer les obstacles qui s’y opposent. La communauté internationale devrait promouvoir une coopération internationale efficace pour éliminer ces obstacles et réaliser le droit au développement. Pour progresser durablement dans la réalisation du droit au développement, il faut, au niveau national, des politiques de développement efficaces et, au niveau international, des relations économiques équitables et un environnement économique favorable ».

L’article I (11) donne dans quel sens le droit au développement doit se réaliser. Il déclare :

« Le droit au développement devrait se réaliser de manière à satisfaire équitablement les besoins des générations actuelles et futures en matière de développement et d’environnement. La Conférence mondiale sur les droits de l’homme reconnaît que le déversement illicite de substances et de déchets toxiques et nocifs peut constituer une grave menace pour les droits de chacun à la vie et à la santé ». Cet article pose en filigrane l’assimilation du droit au développement et du concept de développement durable.

Globalement, le droit au développement impose des obligations aux États tant au niveau national qu’un niveau international afin de réaliser le développement. La plupart des dispositions de la Déclaration sur le droit au développement le montrent clairement. Les États sont à la fois les débiteurs et les bénéficiaires du droit au développement.

Donc, l’essence du droit au développement, tel que précisé à travers la Déclaration sur le droit au développement adoptée en 1986 par l’Assemblée Générale des Nations Unies, s’était déjà exprimée de manière implicite à travers les textes de loi, certes dépourvus de force contraignante, mais considérés comme des prémisses du droit au développement.

Ce qui veut dire, qu’à part les instruments généraux – tels que la Charte des nations Unies, en tant que traité multilatéral, et dont la ratification confère aux États le statut de membre de l’Organisation, et les deux Pactes relatifs aux droits civils et politiques d’une

part, et aux droits économiques, sociaux et culturels d’autre part –, il existe un grand nombre de conventions spécialisées ayant trait à des aspects particuliers du droit au développement comme droit de l’homme. La plupart de ces principaux aspects se sont aussi affirmés dans certaines résolutions et déclarations de l’Assemblée Générale des Nations Unies dont la plupart décrites ci-dessus abordent directement ou indirectement le droit au développement. Dans la plupart des cas, les idées émises reproduisent ce que les doctrinaires ont déjà théorisé sur le droit au développement.

Section II. Le droit au développement sur le plan doctrinal.

Deux grandes approches doctrinales expliquent la théorie du droit au développement. L’approche juridique, amenée par des théoriciens en droit et l’approche chrétienne (l’Église Catholique) qui a servi de prémisses aux idées des doctrinaires juridiques. Seule l’approche juridique va être traitée car l’approche chrétienne n’a pas toujours défini expressément le droit au développement et deuxièmement les idées émises relèvent spécifiquement de la morale et de la religion.

Sous-section I : La doctrine juridique.

La formulation du droit au développement est un rapprochement entre deux concepts : le développement et les droits de l’homme. Ce rapprochement s’est fait notamment sous le sceau de l’historicité, d’abord par l’idéologie du développement563 qui a été développée en dents de scie par la doctrine sociale de l’Église Catholique à travers des encycliques qui défendent les valeurs de solidarité, d’entraide, participant ainsi à l’émergence du droit au développement564. Ces valeurs de solidarité sont devenues, au milieu du XXème siècle, des droits de solidarité par des théoriciens du droit, appelés à juste titre les précurseurs, qui ont fait émerger le droit au développement. Le premier, Keba

M’Maye, ancien président de la Cour d’appel du Sénégal, configure le droit au

développement comme un droit de l’homme. Il avance « le droit au développement est conçu comme le droit sur les moyens de développement du patrimoine commun de l’humanité » 565.

Entendu comme tel, le droit au développement devra faire l’objet d’une coopération entre les États, bien qu’on puisse admettre quelques réserves quant aux formes de coopération. C’est en ce sens que H. Sanson a mis un bémol sur le mode de coopération en disant que la meilleure façon de faciliter l’exercice du droit au développement, ce n’est

563 L’expression est de Michel Virally (M. VIRALLY, préc., note 519) et est largement reprise par l’ensemble

de la doctrine. L’idéologie du développement est basée sur deux principaux axiomes : la paix nécessite le progrès économique et social; ce progrès exige la coopération de tous les États membres de l’ONU.

564 Le représentant du Saint Siège L-J Lebret déclare à la première CNUCED en 1964 « Dans une humanité

où se réalise la solidarité, le droit de tous les peuples au développement doit être reconnu et respecté Trois ans plus tard soit en 1967 le Pape Paul VI dans son encyclique « Populorum progressio » qui s’intitule «Sur la nécessité de promouvoir le développement des peuples» continue d’assurer la défense de l’idéologie du développement. Paroles de l’Église catholique sur le développement, Dossier published by the French Commission Justice and Peace, April 1990, p.75 tel que cité par Felipe GOMEZ ISA, El Derecho al desarollo como derecho humano en el ambito juridico international, Bilbao, Universidad, de Deusto, 1999, p.43.

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