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La formulation du droit au développement est un rapprochement entre deux concepts : le développement et les droits de l’homme. Ce rapprochement s’est fait notamment sous le sceau de l’historicité, d’abord par l’idéologie du développement563 qui a été développée en dents de scie par la doctrine sociale de l’Église Catholique à travers des encycliques qui défendent les valeurs de solidarité, d’entraide, participant ainsi à l’émergence du droit au développement564. Ces valeurs de solidarité sont devenues, au milieu du XXème siècle, des droits de solidarité par des théoriciens du droit, appelés à juste titre les précurseurs, qui ont fait émerger le droit au développement. Le premier, Keba

M’Maye, ancien président de la Cour d’appel du Sénégal, configure le droit au

développement comme un droit de l’homme. Il avance « le droit au développement est conçu comme le droit sur les moyens de développement du patrimoine commun de l’humanité » 565.

Entendu comme tel, le droit au développement devra faire l’objet d’une coopération entre les États, bien qu’on puisse admettre quelques réserves quant aux formes de coopération. C’est en ce sens que H. Sanson a mis un bémol sur le mode de coopération en disant que la meilleure façon de faciliter l’exercice du droit au développement, ce n’est

563 L’expression est de Michel Virally (M. VIRALLY, préc., note 519) et est largement reprise par l’ensemble

de la doctrine. L’idéologie du développement est basée sur deux principaux axiomes : la paix nécessite le progrès économique et social; ce progrès exige la coopération de tous les États membres de l’ONU.

564 Le représentant du Saint Siège L-J Lebret déclare à la première CNUCED en 1964 « Dans une humanité

où se réalise la solidarité, le droit de tous les peuples au développement doit être reconnu et respecté Trois ans plus tard soit en 1967 le Pape Paul VI dans son encyclique « Populorum progressio » qui s’intitule «Sur la nécessité de promouvoir le développement des peuples» continue d’assurer la défense de l’idéologie du développement. Paroles de l’Église catholique sur le développement, Dossier published by the French Commission Justice and Peace, April 1990, p.75 tel que cité par Felipe GOMEZ ISA, El Derecho al desarollo como derecho humano en el ambito juridico international, Bilbao, Universidad, de Deusto, 1999, p.43.

sans doute pas, comme on l’a cru trop souvent, d’aider les autres par les dons ou d’aider les autres à s’aider eux-mêmes par la coopération, c’est d’abord de tout mettre en œuvre pour ne pas gêner les autres dans leurs efforts de développement566.

Le deuxième précurseur, Karel Vasak, ancien Directeur de la Division des droits de l’homme, affirme, sans faire de l’unanimité au sein de la doctrine567, que le droit au développement fait partie de la 3ème génération568 de droits de l’homme. Cette troisième génération de droits de l’homme comprend cinq catégories de droits : le droit au développement, le droit à la paix, le droit à l’environnement, le droit de propriété sur le patrimoine commun de l’humanité, le droit à l’assistance humanitaire. Stephens Marks569

566 Id., p.216.

567 Robert PELLOUX écrit « les nouveaux droits e l’homme ne sont pas et ne seront jamais de vrais droits de

l’homme. Ils sont imprécis, divers, leur protection juridique est impossible. Robert PELLOUX, « Vrais et faux droits de l’homme. Problème de définition et de classification », (1981) Revue de droit public et de la science politique en France et à l’étranger, p.67. » Jean Rivero qualifie la troisième génération des droits de l’homme « des droits en formation » dont on ne doit pas tenir compte car leur connaissance pourrait nuire aux droits de l’homme existants dont la crédibilité et la légitimité pourrait se trouver affectées par le flou entourant nécessairement une nouvelle catégorie de droits. Jean RIVERO, « Le problème des ‘nouveaux’ droits de l’homme », Documents de la 10e Session d’enseignement de l’Institut International des Droits de

l’Homme, Strasbourg, 1979; Patrice MEYER BISCH, Le corps des droits de l'homme: l'indivisibilité comme principe d'interprétation et de mise en œuvre des droits de l'homme, Fribourg, Éditions universitaires, 1992, p.250.

568 Il déclare « Or, n’y a-t-il pas, ne devrait-il pas y avoir, des droits de l’homme secrétés par l’évidence

fraternelle des hommes et par leur indispensable solidarité, droits qui uniraient les hommes dans un monde fini dont le temps a commencé depuis longtemps déjà ? Tel est le sens de ces nouveaux droits de l’homme de la troisième génération. Ils sont nouveaux, car les aspirations qu’ils expriment sont nouvelles sous l’angle des droits de l’homme visant à faire pénétrer la dimension humaine dans les domaines dont elle était trop souvent absente, étant abandonnés à l’État : le développement, la paix, l’environnement, le patrimoine commun de l’humanité, l’assistance humanitaire en cas de détresse humaine. […] à la fois opposable à l’État et exigible de lui; mais surtout (et c’est là leur caractéristique essentielle) ils ne peuvent être réalisés que par la conjonction des efforts de tous les acteurs du jeu social : l’individu, l’État, les entités publiques et privées, la communauté internationale. Karel VASAK, « Les différentes catégories des droits de l’homme », dans Les dimensions universelles des droits de l’homme, Bruxelles, UNESCO-Bruylant, 1990, pp.302-303.

569 S.P. MARKS, « Emerging human rights: A new generation for the 1980’s », dans R. FALK, H.

KRATOCHWIL et S.H. Mendlovitz (dir), International law, A Contemporary Perspective, Boulder, Westview Press, 1985, p. 501.

en distingue sept, Patrice Meyer-Bisch570 cinq, Louis Sohn571 quatre, Allan Rosas trois572.

Karel Vasak rappelle qu’il faut une conjonction des États, mais déclare que le droit au

développement fait partie des droits de solidarité dont la caractéristique essentielle est qu’ils ne peuvent être réalisés que par la conjonction des efforts de tous les acteurs du jeu social : l’individu, l’État, les entités publiques et privées, la communauté internationale573. Cette conjonction des efforts de tous les acteurs du jeu social fait dire à M. Virally : « le droit au développement réside dans le passage d’une solidarité de fait à une solidarité de droit qui entraine des responsabilités pour chacun, oblige à coopérer, en particulier oblige les riches à aider les pauvres574».

De ces textes juridiques et de la doctrine, nous retenons l’idée que la théorie du droit au développement prouve qu’il y a une corrélation inhérente entre la jouissance des droits de la personne et le développement économique. Cette interdépendance a été implicitement reconnue par les Pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques d’une part, et aux droits économiques, sociaux et culturels d’autre part. Mais, elle a été rappelée explicitement par la Déclaration de Téhéran et par la Déclaration sur le progrès et le développement dans le domaine social575 et les résolutions de la Commission des droits de l’homme de 1977.576

570 P MEYER BISCH., préc., note 513, p.250.

571 Louis B. SOHN, « The new international law: protection of the rights of individuals rather than states »,

(1982) 32-1, American university law review.

572 Allan ROSAS, « So-called rights of third generation», dans Asbjørn EIDE, Catarina KRAUSE et Allan

ROSAS, Economic, social, and cultural rights: a textbook, Martinus Nijhoff Publishers/Brill Academic Publi, 1995, pp.257-269.

573 K VASAK, préc., note 520, p.104. 574M. VIRALLY, préc, note 519.

575 Déclaration sur le progrès et le développement dans le domaine social, préc., note 533.

576 NATIONS UNIES, Question de la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels proclamés

dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et l’étude des problèmes particuliers relatifs aux droits de l’homme dans les pays en développement, Résolution de la Commission des droits de l’Homme, Doc. UN E-CN_4-RES- 2002-24, Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (1977), p.83. [Question de la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels (1977)].

La Déclaration sur le droit au développement de 1986, comme nouvelle norme de droit international, va plus loin en consacrant non seulement la corrélation entre la jouissance des droits de la personne et le développement économique, mais amène un ensemble de principes fondamentaux. Parmi lesquels on peut citer : la participation des individus au développement économique, les obligations des États l’un vis-à-vis de l’autre, la coopération internationale pour le développement, la souveraineté sur les ressources propres, les droits fondamentaux de la personne humaine (droit à la santé, à l’éducation, au travail, au logement, droit à la vie, droit à la propriété, à la nourriture etc.). Ces principes constituent également les fondements nécessaires du développement durable et le rendent indissociable de la théorie du droit au développement.

Section III : Le principe du développement durable : complément

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