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PREMIÈRE PARTIE : LA PROBLÉMATIQUE DU DROIT À LA MOBILITÉ FACE AU DROIT AU DÉVELOPPEMENT DES PAYS D’ORIGINE.

Le principe de territorialité suppose que le pouvoir et l’ordre juridique découlent du territoire et s’exercent dans celui-ci272. C’est au nom de ce principe que les États ont développé leur droit d’immigration. Il faut une bonne gestion du territoire si on veut, de manière efficace, assurer la sécurité de l’État et la protection de la population y habitant.

En 1948, l’ONU vint consacrer le droit à la mobilité comme un droit fondamental des droits de l’homme. Ce plaidoyer pour le droit à la mobilité s’appuie sur une interprétation audacieuse de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. En fait, en 1948, les États occidentaux affirmaient un « droit à migrer » essentiellement pour soutenir les dissidents piégés dans la vaste prison qu’était le bloc soviétique273. Juridiquement, aucun État n’avait donc le droit d’empêcher un individu de quitter son territoire, ce qui est une limite au principe de la territorialité. Le droit à la mobilité est donc né dans un contexte d’affaiblissement du communisme en garantissant le droit au départ au niveau international à tous les individus. Dans la même lignée, la Convention de Genève relative au statut des

réfugiés de 1951 amena le principe du non-refoulement. Selon ce principe, aucun État

contractant n’expulsera ou ne refoulera en aucune manière un refugié, contre sa volonté, vers un territoire où il craint d’être persécuté.

272 Ghislain OTIS, « Territorialité, personnalité et gouvernance autochtone », (2006) 47-4, Les Cahiers de

droit, p.785. Voir aussi : Amissi Melchiade MANIRABONA, La responsabilité pénale des sociétés canadiennes pour les crimes contre l’environnement survenus à l’étranger, Thèse de doctorat, Montréal, Université de Montréal, 2010, p.86.

273 Yannick PROST, « Migrations : le droit à la mobilité à l'épreuve de la réalité », (2011) 82-2, Revue

Pourtant, l’usage qui est fait du droit à la mobilité depuis les années 1960 ne profite pas véritablement aux pays d’origine, mais il a principalement servi les intérêts personnels des migrants eux-mêmes et encore davantage ceux des pays de destination. Ces derniers en ont profité pour devenir les premiers bénéficiaires des flux de migrants qualifiés. Le cas de l’émigration des cadres de la République d’Haïti vers les États-Unis et le Canada appelle à des observations. Ces pays arrivent à détenir en nombre suffisant la main d’œuvre qualifiée haïtienne qui est indispensable pour la nouvelle économie du savoir. L’exemple a été donné avec le Canada qui, dès l’instant où il y a eu réorganisation de la production industrielle post-guerre, a réorganisé son droit à l’immigration pour y inclure la catégorie « d’immigration économique »274. Elle consiste à faire venir au Canada les personnes dont la qualification, les expériences et les compétences peuvent servir au développement économique du Canada. Cette réorganisation arrivait au moment où le Canada était en phase de reconstruction d’après-guerre et en mode de développement économique.

Pourtant, la réorganisation du droit canadien de l’immigration ne s’est pas faite dans une logique de rééquilibrage des rapports entre le Nord et le Sud. Au contraire, il fallait profiter de la main d’œuvre qualifiée disponible au niveau des pays en développement pour s’ajuster au marché du travail. C’est ainsi qu’on peut décrire les relations migratoires du Canada envers Haïti. Les cadres d’Haïti, maitrisant bien le français, sont le plus souvent attirés par le Canada, plus fondamentalement par la province du Québec où la langue française constitue une valeur hautement historique et culturelle. Victor Piché a eu raison de mentionner que la migration répond d’abord et avant tout à la demande de main- d’œuvre275. Ainsi, parmi les pays de la Caraïbe, la République d’Haïti, dès le début de la dictature des Duvalier au cours des années 1960 jusqu’à aujourd’hui, représente un foyer de production de cadres qui allèrent participer au développement économique du Canada,

274 Loi sur l’immigration, S.R.C, 1967, c. 325. Dans cette loi, le Canada prescrivait un mode de sélection

des personnes immigrantes selon un système de pointage basé sur les critères objectifs de qualifications et d’expériences.

275 Victor PICHÉ, « Les théories migratoires contemporaines au prisme des textes fondateurs », (2013) 68-1,

alors que leur pays d’origine avait un besoin urgent en personnes formées. Comme disait le Ministre Paul Gérin Lajoie : « au cours des années 1960 j’ai assisté en première loge à la venue des cerveaux haïtiens au Québec, une aubaine pour le Québec d’alors qui s’engageait dans un processus de modernisation de toutes les composantes de sa société, et donc, avait un urgent besoin de main d’œuvre préparée. Ils venaient de partout, diplômés d’universités réputées, prêts à prendre le collier pour enseigner à nos petits québécois, sans que cela ne coute un cent au trésor québécois »276. C’est dans ce sens que nous admettons pour vraie, la déclaration de Saskia Sassen à l’effet que l’immigration est un phénomène essentiellement urbain et concerne en particulier les grands centres urbains du monde développé.277

Donc, cela nous amène à penser que le Canada ne fut pas seul à réorganiser son droit d’immigration pour le rendre plus souple à l’égard des personnes formées au Sud. Les autres pays d’immigration ont tous adopté des politiques d’immigration qui ont fini par instrumentaliser le droit à la mobilité dans une logique marchande. Ce faisant, ils ont rendu difficile, voire impossible, la réalisation du droit au développement au niveau des pays du Sud.

Ainsi, nous voulons montrer, dans cette partie, que le droit à la mobilité, tel que compris dans la littérature juridique, ne permet pas de changer l’ordre établi. Au contraire, il ne sert qu’à renforcer les justifications sous-jacentes à ce que nous pourrions appeler brutalement le « pillage des cerveaux » du Sud par les pays du Nord. Ces derniers, voulant profiter grandement de cette main d’œuvre qualifiée dont disposent les pays en développement, font tout pour instrumentaliser le droit à la mobilité à travers leurs lois d’immigration et creuser davantage l’écart de développement avec les pays en développement. Nous verrons

276 Samuel PIERRE, préc., note 144, p.26.

277 V. PICHÉ, préc., note 275, p.169. Voir aussi: Saskia SASSEN, « The rise of global cities and the new

également une analyse du droit au développement et du développement durable afin de voir si les principes qui les définissent ne pourraient pas servir à reconstruire le droit à la mobilité dans le but de rééquilibrer les rapports Nord/Sud.

Mais en tout premier lieu, nous faisons une analyse autour de certaines théories mieux connues en relations internationales afin de comprendre le comportement des États. En un mot, le cadre théorique, ici présenté, décrit la théorie du droit à la mobilité dans une logique marchande qui mérite des correctifs au risque de perpétuer un rapport déséquilibré entre le Nord développé et le Sud. Les autres théories analysées tentent d’expliquer le comportement des États au-delà de la reconnaissance du droit à la mobilité. L’étude portée sur la théorie du droit au développement vise particulièrement à se faire une idée sur la responsabilité des États quant à l’instrumentalisation du droit à la mobilité, devenue attentatoire au développement des pays d’origine du Sud.

Chapitre I : Les théories migratoires, consubstantielles à la théorie

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