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Sous-section I : L’analyse du contenu juridique du développement durable par rapport aux relations Nord/Sud.

Nous sommes d’avis que le développement durable est né de l’idée de protéger l’environnement dont la dégradation avait atteint, dans les années 1980, une proportion démesurée du fait de la croissance de la pauvreté des pays du Sud, et de la croissance économique du Nord axée sur l’exploitation massive des ressources naturelles. Face au constat d’une paupérisation accrue, d’une croissance qui, là où elle est intervenue, n’a pas bénéficié à tous, praticiens du développement et institutions internationales reconnaissent la nécessité de se pencher autrement sur le développement.

Après avoir implicitement fait référence au développement durable dans la conférence de Stockholm de 1972577, l’ONU explicite le concept de développement durable dans la conférence de Rio sur l’environnement et le développement de 1992, au cours de laquelle la définition donnée au développement durable va au-delà des rapports de l’environnement et du développement en englobant des rapports Nord-Sud et la lutte contre la pauvreté. Le développement durable est alors défini comme le développement qui permet de satisfaire les besoins du présent sans compromettre la possibilité pour les générations futures de satisfaire les leurs578. Le sommet de Johannesburg de 2002 n’a rien changé à tout cela.

Pour la réalisation d’un tel développement, le texte de Rio plaide pour intégrer l’environnement dans les politiques de développement579, éliminer la pauvreté580, tirer pour l’avenir les conséquences du fait que les États reconnaissent qu’ils ont des responsabilités communes mais différenciées dans la dégradation de l’environnement581et réduire et éliminer les modes de production et de consommation non viables582 . Le texte

577 L’Assemblée Générale des Nations Unies dans sa résolution 2398 (XXIII) du 3 décembre 1968 avait

décidé de convoquer une conférence sur l’environnement qui s’est tenue à Stockholm en 1972. L’objectif était de définir l’action à entreprendre pour préserver et améliorer l’environnement.

578 Catherine AUBERTIN et Franck-Dominique VIVIEN, Le développement durable : enjeux politiques,

économiques et sociaux, Paris, La documentation française, 2006, p.32.

579 L’article 4 du texte de Rio déclare « Pour parvenir à un développement durable, la protection de

l'environnement doit faire partie intégrante du processus de développement et ne peut être considérée isolément ».

580 L’article 5 du texte de Rio déclare : « Tous les États et tous les peuples doivent coopérer à la tâche

essentielle de l'élimination de la pauvreté, qui constitue une condition indispensable du développement durable, afin de réduire les différences de niveaux de vie et de mieux répondre aux besoins de la majorité des peuples du monde »

581 L’article 7 du texte Rio déclare : « Les États doivent coopérer dans un esprit de partenariat mondial en

vue de conserver, de protéger et de rétablir la santé et l'intégrité de l'écosystème terrestre. Étant donné la diversité des rôles joués dans la dégradation de l'environnement mondial, les États ont des responsabilités communes mais différenciées. Les pays développés admettent la responsabilité qui leur incombe dans l'effort international en faveur du développement durable, compte tenu des pressions que leurs sociétés exercent sur l'environnement mondial et des techniques et des ressources financières dont ils disposent ».

582 L’article 8 du texte de Rio déclare : « Afin de parvenir à un développement durable et à une meilleure

qualité de vie pour tous les peuples, les États devraient réduire et éliminer les modes de production et de consommation non viables et promouvoir les politiques démographiques appropriées ».

ne s’arrête pas aux conditions de réalisation, il prescrit aussi des principes de participation de tous les citoyens583, d’aide584 et de coopération585. Le principe de coopération part de l’idée de contrer les effets néfastes des actions de l’homme sur l’habitat notamment par une collaboration de tous les États.

L’application de ces principes devrait, au profit de tous les États, permettre une croissance durable qui suppose l’utilisation rationnelle des ressources naturelles et la transmission vers des générations futures des stocks d’équipements, de connaissances, de compétences, et un niveau général d’éducation et de formation pour le maintien, à travers le temps, des capacités de production pour le bien-être des individus.

583 L’article 10 du texte de Rio déclare : « La meilleure façon de traiter les questions d’environnement est

d’assurer la participation de tous les citoyens concernés au niveau qui convient. Au niveau national, chaque individu doit avoir dûment accès aux informations relatives à l’environnement que détiennent les autorités publiques, y compris les informations relatives aux substances, et activités dangereuses dans leurs collectivités, et avoir la possibilité de participer aux processus de prise décision. Les États doivent faciliter et encourager la sensibilisation et la participation du public en mettant les informations à la disposition de celui- ci. Un accès effectif à des actions judiciaires et administratives, notamment des réparations et des recours, doit être assuré ».

584 L’article 18 déclare : « Les États doivent notifier immédiatement aux autres États toute catastrophe

naturelle ou toute autre situation d'urgence qui risque d'avoir des effets néfastes soudains sur l'environnement de ces derniers. La communauté internationale doit faire tout son possible pour aider les États sinistrés ».

585 Les articles 9, 12, 14, 27 disposent consécutivement : article 9 « Les États devraient coopérer ou intensifier

le renforcement des capacités endogènes en matière de développement durable en améliorant la compréhension scientifique par des échanges de connaissances scientifiques et techniques et en facilitant la mise au point, l'adaptation, la diffusion et le transfert de techniques, y compris de techniques nouvelles et novatrices»; l’article 12 «Les États devraient coopérer pour promouvoir un système économique international ouvert et favorable, propre à engendrer une croissance économique et un développement durable dans tous les pays, qui permettrait de mieux lutter contre les problèmes de dégradation de l'environnement. Les mesures de politique commerciale motivées par des considérations relatives à l'environnement ne devraient pas constituer un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable, ni une restriction déguisée aux échanges internationaux. Toute action unilatérale visant à résoudre les grands problèmes écologiques au-delà de la juridiction du pays importateur devrait être évitée. Les mesures de lutte contre les problèmes écologiques transfrontières ou mondiaux devraient, autant que possible, être fondées sur un consensus international»; l’article 14 «Les États devraient concerter efficacement leurs efforts pour décourager ou prévenir les déplacements et les transferts dans d'autres États de toutes activités et substances qui provoquent une grave détérioration de l'environnement ou dont on a constaté qu'elles étaient nocives pour la santé de l'homme»; l’article 27 «Les États et les peuples doivent coopérer de bonne foi et dans un esprit de solidarité à l'application des principes consacrés dans la présente Déclaration et au développement du droit international dans le domaine du développement durable ».

Mais, il est peu probable de voir la concrétisation de ces vœux, car la position des pays du Nord est très équivoque en ce qui concerne leur rapport avec le Sud. Les pays du Nord préconisent une participation de tous les pays dans la résolution des problèmes qui touchent le Sud, notamment par l’octroi des aides de développement. Toutefois, le Nord n’hésite pas à capter la plupart des cerveaux du Sud. Est révélatrice en ce sens la politique d’immigration économique qui porte principalement sur les moyens de disposer d’une réserve de main-d’œuvre qualifiée sur leur marché du travail.

Le développement économique, qui est l’un des piliers du développement durable aux côtés de la dimension sociale et de la dimension environnementale, garde manifestement la priorité pour le Nord et constitue, par le fait même, une menace pour le droit au développement du Sud et une accélération du déséquilibre Nord/Sud. D’ailleurs, certains dirigeants des grandes entreprises n’ont pas caché les avantages que leur procure le principe de développement durable en le qualifiant de « croissance durable »586.

Il appert de cela que la migration internationale des personnes qualifiées participe énormément à la durabilité économique du Nord, alors que cette migration comporte des effets néfastes sur le droit au développement des pays du Sud, notamment en les dépossédant des ressources humaines qualifiées capables de stimuler la croissance économique. Tel est d’ailleurs le propos de la doctrine qui pense que de cette façon le Nord a intégré la science du Sud587 parce que les scientifiques du Sud quittent leur pays d’origine pour se consacrer à des domaines R&D des pays développés.

La perte de ces ressources humaines qualifiées pose également des difficultés à la réalisation du développement durable du Sud qui, sans elles, ne pourra pas enclencher les différentes réformes structurelles en profondeur ni de nouvelles méthodes de travail dans tous les domaines de la vie économique, sociale et politique que requiert le développement

586 Corinne GENDRON, Le développement durable comme compromis, La modernisation écologique de

l’économie à l’ère de la mondialisation, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2006, pp 68-77.

587 Charles HALARY, Les exilés du savoir : les migrations scientifiques internationales et leurs mobiles,

durable. Par exemple, le cas de la République d’Haïti appelle à des observations importantes. Ce pays perd continuellement, par le biais de l’immigration économique des pays développés, les ressources humaines qualifiées et n’a donc pas pratiquement de moyens d’implanter le développement durable tenant compte du rôle majeur que pourraient jouer les personnes qualifiées dans un tel processus. Une grande majorité de ses professionnels qualifiés se trouvent à l’étranger, notamment au Canada et aux États- Unis. Au niveau de ces deux pays se comptent de nombreuses associations de médecins, d’ingénieurs, et d’autres corps de métiers.

Le Canada, de son côté, ne rencontre pas ces problèmes puisqu’il dispose d’une stratégie générale pour le développement durable et suffisamment de ressources humaines qualifiées qui lui permettent d’atteindre aisément les objectifs 588 fixés par la Loi sur le développement durable promulguée au milieu des années 1980. À cet égard, l’OCDE a déjà indiqué que, malheureusement pour les pays en développement, la mise en œuvre des stratégies de développement durable devient de plus en plus difficile parce que les compétences et les capacités nécessaires sont souvent rares589.

En ce sens, le droit à la mobilité des travailleurs qualifiés étant préjudiciable pour les pays d’origine, nous pousse à concevoir une nouvelle approche qui ne visera pas à perpétuer l’ordre établi, lequel ordre a toujours profité aux pays riches développés, mais s’attachera à réduire ou éliminer les effets pervers de la migration des travailleurs qualifiés sur le droit au développement durable des pays d’origine.

Il est vrai que, comme nous l’avons mentionné plus haut, la croissance durable dûe à l’application des principes qui sous-tendent le développement durable n’a pas eu lieu, du fait de la captation des cerveaux des pays du Sud faite par les pays d’immigration. De notre côté, nous pensons qu’il ne serait quand même pas vain d’utiliser le concept de développement durable dans une perspective de collaboration internationale afin de

588 Loi fédérale sur le développement durable, L.R.C 1985, c.33, art. 9(2). 589 OCDE, Les lignes directrices du CAD, préc., note 94.

contrer les effets néfastes de la migration des travailleurs qualifiés sur le droit au développement durable des pays du Sud.

Sous-section II : La justification du principe du développement

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