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Section 2 – Influences juridiques théoriques impactant le SME : Panorama du droit de

I. Sources et acteurs du droit de l’environnement

Bien que le droit de l'environnement soit généralement présenté comme une matière récente, faisant suite aux grandes catastrophes industrielles du XXe siècle, l’encadrement moral et juridique de l’activité de l’homme et de ses impacts sur le milieu naturel est historiquement très ancien. Citons par exemple l'émergence à Babylone, en 1900 avant Jésus Christ, du droit forestier, ou encore, la rédaction par l'empereur indien ASOKA, dès le IIIe siècle avant Jésus Christ, du premier édit protégeant différentes espèces d’animaux55

.

Le développement du droit de l'environnement et l’importance sociale qui lui est accordée sont cependant des phénomènes récents, qui font suite notamment à de grandes catastrophes écologiques. Ainsi, à l'instar du droit du travail, le droit de l’environnement apparaît être un droit construit « en réaction » à des accidents emblématiques, tels que :

- des marées noires (Torrey Canyon en 1967 ; l’Amoco Cadez en mars 1978 ; l'Exxon Valdez en mars 1989 ; l'Erika en 1999 ; le Prestige en 2002 ; Deepwater horizon en 2010, etc),

- des accidents liés à la production d'énergie nucléaire (Three Miles Island en 1979 ; Tchernobyl en 1986 ; Fukushima Daiichi en 2011),

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Steichen P., Cours de droit de l’environnement dispensé à la faculté de droit de l’Université de Nice Sophia- Antipolis.

56 - ou à l'industrie chimique (la pollution au mercure de la baie de Minamaté au Japon en 1959 ; le nuage de dioxine de Seveso en Italie en 1976 ; l'évacuation d'urgence en 1980 de la ville de Love canal aux Etats-Unis, construite sur une ancienne décharge de produits chimiques ; le nuage d’ixyanate de méthyle de l'usine de pesticide « Union Carbide » en 1984 à Bhopal en Inde ; l'incendie d'un entrepôt de pesticides de l’usine Sandoz en 1986, à Bâle en Allemagne ; l’explosion de l’usine AZF à Toulouse en 2001 ; la fuite de gaz de la plateforme d’Elgin de Total en mer du Nord en 2012, etc.). Certains auteurs56 évoquent ainsi, concernant le droit de l'environnement, un droit des catastrophes ou un droit « contre le développement industriel non maîtrisé, contre les catastrophes naturelles et technologiques, etc. ».

Né de la prise de conscience de la nécessité de préserver la nature des atteintes causées par l'activité humaine, le droit de l'environnement a initialement consisté à organiser la protection des milieux naturels au travers de grandes lois protectrices, comme :

- la loi du 2 mai 1930 sur la protection des monuments naturels et des sites, - celle du 10 juillet 1976 sur la protection de la nature,

- ou encore la loi du 19 juillet 1976 sur les installations classées pour la protection de l’environnement,

- la loi du 9 janvier 1985 sur le développement et la protection de la montagne, - la loi du 8 janvier 1993 sur la protection et la mise en valeur des paysages, - la loi du 2 février 1995 sur le renforcement de la protection de l’environnement.

Progressivement le droit de l'environnement a évolué vers la reconnaissance d'un droit « à » l'environnement. Ainsi, au niveau international, si la Convention de Stockholm en 1972 en est la première manifestation57, c'est la charte africaine des droits de l'homme et des peuples de 1981 qui en est la première expression dans un traité international58. La convention d’Aahrus du 25 juin 1998 consacre, enfin, en son préambule « le droit de chacun de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être et le devoir, tant individuellement

56Romi R., Droit de l’environnement, 7e édition, Montchrestien, Broché, 2010, 640 pages. 57

Le principe 1 de la Convention énonce ainsi que « l’homme a un droit fondamental à la liberté, à l’égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être ».

58L'article 24 de la charte énonce que « tous les peuples ont droit à un environnement satisfaisant et global, propice à leur développement ».

57 qu’en association avec d’autres, de protéger et d’améliorer l’environnement dans l’intérêt des générations présentes et futures ».

Au niveau national, l'importance accordée à l'enjeu de la protection de l'environnement apparaît largement au travers de la constitutionnalisation de la charte de l'environnement de 200559 et de la reconnaissance de l'environnement comme patrimoine commun de la nation. L'insertion de la Charte de l'environnement au préambule de la Constitution60 lui confère une valeur constitutionnelle, au même titre que les droits civils et politiques de 1789 et des principes économiques et sociaux de 1946.

Ainsi, bien que les sources du droit de l’environnement français soient nationales, communautaires et internationales, en pratique seules les normes juridiques nationales et communautaires impactent directement les entreprises (nous évoquerons donc exclusivement ces aspects).

Si à l'heure actuelle, un nombre important61 des normes juridiques françaises se fonde sur le droit communautaire, la construction du droit de l'environnement à l'échelle communautaire est assez récente62. En matière communautaire, il est fréquent que les entreprises pensent n'être directement impactées que par les règlements communautaires, qui ont une portée générale, sont obligatoires dans tous leurs éléments et directement applicables dans tout Etat membre. Les avis, programmes d'actions et recommandations n'ayant pas de force obligatoire, et les directives nécessitant une transposition en droit interne, ceci pourrait en effet conforter cette analyse. Néanmoins, concernant les directives, il est important de souligner que ces

59 Le gouvernement a adopté le 25 juin 2003, en conseil des Ministres, le texte de la charte, inspiré de la Commission Coppens. Le texte a été adopté le 28 février 2005 par le Parlement et promulgué le1er mars 2005 (Loi constitutionnelle n° 2005/204 du 1er mars 2005).

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Le 1er alinéa de la constitution prévoit que : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la constitution de1946, ainsi qu’aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2003 ».

61 Il est difficile de chiffrer la part exacte des normes juridiques nationales environnementales adoptées sur la base du droit communautaire; les études menées sur le sujet annonçant des chiffres pour le moins contradictoires (20% contre 80%). Cf. Bertoncini Y., La législation nationale d’origine communautaire : briser le mythe des

80%, Les Brefs Notre Europe, 2009/n°13, 8 pages.

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L'Acte unique européen du 7 août 1986, qui modifie le traité de Rome, a consacré l'environnement comme une compétence formelle des autorités européennes. Puis, le traité de Maastricht du 7 février 1992 sur l’Union européenne, a placé la protection de l'environnement au même niveau que la poursuite des objectifs économiques classiques du traité.

58 actes, a priori contraignants uniquement à l'égard des Etats membres destinataires63, peuvent sous condition64 avoir un effet direct (c'est-à-dire s’appliquer sans transposition) et être ainsi appliquées et invoquées par les entreprises. Ce cas de figure apparaît d'autant plus notable, au vu du nombre important de rappels à l'ordre et condamnations dont l'Etat français fait l'objet pour défaut ou mauvaise transposition de directive65.

Malgré l'effort de codification à droit constant réalisé en matière environnementale, le droit interne de l'environnement demeure un droit épars, qui reflète une construction au coup par coup, en réaction aux accidents et différents enjeux politiques, économiques et sociaux successifs. La matière fait ainsi appelle à de nombreux codes (code de l'urbanisme, code de l'énergie, code rural, code général des collectivités publiques, etc.) et textes non codifiés (décrets, arrêtés, instructions techniques, circulaires, avis, etc.) à portée générale, locale ou spécifique (par exemple un arrêté préfectoral d’autorisation d’exploiter une installation classée pour la protection de l’environnement). Ce premier facteur de complexité est accentué par la multiplicité des logiques qui animent le droit de l'environnement qui raisonne à la fois en terme de milieux et domaines (air, eau, sols, etc.), d'activités humaines (exploitation d'installation industrielle, agricole, activités minières, de pêche, etc.), de protection d'espèces (Directive « Habitat », Directive « oiseaux », etc.).

Le code de l'environnement encadre ainsi des matières extrêmement variées. Il fait notamment référence :

- aux milieux physiques : eau et milieux aquatiques et marins, air et atmosphère (livre II du code de l’environnement),

- aux espaces naturels (livre III), - à la faune et à la flore (livre IV),

63 Les directives lient les Etats destinataires uniquement en matière de résultat à atteindre. Elles laissent le soin et la compétence aux autorités nationales de légiférer sur les thèmes abordés en ce qui concerne la forme et les moyens.

64 Les conditions de l'effet direct d'une directive sont que celle-ci soit claire, précise et inconditionnelle. En outre, seul un effet vertical ascendant est admis, c'est-à-dire que l’effet direct peut être invoqué comme moyen de défense par un particulier à l'encontre d'une disposition de droit interne non conforme à une directive, contre un pouvoir public. L'Etat ne peut donc bénéficier de cet effet direct. De même, l’effet direct n’est pas directement opposable aux particuliers ni aux entreprises privées. L’entreprise peut donc se prévaloir de la Directive à l’encontre de l’Etat, mais pas l’inverse.

65 Rapport d'information de F. Keller sur le suivi des procédures d'infraction au droit communautaire dans le domaine de l'environnement, Sénat 18 juin 2008, n°402.

59 - à la prévention des pollutions, des risques et des nuisances : les installations classées pour la protection de l’environnement, les produits chimiques et biocides, les organismes génétiquement modifiés, les déchets, des dispositions particulières à certains ouvrages ou certaines installations, la prévention des risques naturels, la prévention des nuisances sonores, la protection du cadre de vie (livre V),

- les deux derniers livres du code de l’environnement régissant la protection de l'environnement de la Calédonie, la Polynésie française, Wallis et Futuna, les terres australes et antarctiques françaises, et Mayotte.

L'étendue des domaines encadrés par le droit de l'environnement apparaît également au travers des nombreuses problématiques débattues dans le cadre du Grenelle de l'environnement de 2007 et des textes qui en découlent66, notamment :

- les changements climatiques et la maîtrise de la demande d’énergie, - la préservation de la biodiversité et des ressources naturelles, - l'instauration d'un environnement respectueux de la santé,

- l'adoption de modes de production et de consommation durables, - la construction d'une démocratie écologique,

- la promotion des modes de développement écologiques favorables à l’emploi et à la compétitivité.

Cette présentation met en lumière l'importance du volume d'exigences susceptibles d'impacter l'activité d'une entreprise, ainsi que la variété des domaines qu’elle recouvre.

Concernant les acteurs qui animent le droit de l'environnement, la multitude est là encore la règle. Outre le ministère chargé de l'environnement, des services étatiques nationaux, régionaux, ou locaux, ainsi que des établissements publics se partagent la tâche de mettre en

66 Les engagements du Grenelle Environnement se retrouvent dans 5 grands textes législatifs, auxquels il faut ajouter les lois de finances :

- la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement, dite Grenelle I,

- la loi n° 2008-757 du 1er août 2008 relative à la responsabilité environnementale et à diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'environnement,

- la loi n° 2008-595 du 25 juin 2008 relative aux organismes génétiquement modifiés, dite OGM,

- la loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports,

60 œuvre, contrôler, expliquer les obligations environnementales. Citons parmi eux les principaux acteurs :

- au niveau central :

Le Conseil Général de l’Environnement et du Développement durable, le Secrétariat général du Ministère de l’environnement, le Commissariat Général au Développement durable, la Direction générale de l’énergie et du climat, la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer, la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature, la Direction générale de la prévention des risques , la Direction générale de l’aviation civile, la Délégation à la sécurité et à la circulation routières, la délégation interministérielle pour l’hébergement et l’accès au logement (DIHAL), le Secrétariat général de la mer.

- au niveau régional, départemental et local :

Les nouvelles DREAL67 (directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement), les DIRM (directions interrégionales de la mer), les CETE (centres d’études techniques de l’équipement), les DDT (Directions départementales des territoires) et les DDTM (Directions départementales des territoires et de la mer), les DIR (Directions interdépartementales des routes), le maire, etc.

- au niveau des organismes scientifiques et techniques, des établissements publics : le CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment), l‘ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie), l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), les agences de l’eau, l’ ANAH (Agence nationale de l’habitat), l’ANDRA (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), le CEA (Commissariat à l’énergie atomique), le CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment), l’IFP/IFPEN (Energies nouvelles), l’INERIS (Institut national de l’environnement industriel et des risques), l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), l’ONF (Office national des forêts), l'inspection des installations classées, l'IFEN (Institut français de l’environnement ), etc.

Face à cette multitude d’acteurs, il est parfois peu aisé pour l’entreprise d’identifier clairement l’interlocuteur compétent ; ce qui est un facteur important d’insécurité juridique. Au sein de ces structures, la répartition des rôles et des compétences apparaît en outre assez obscure aux

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Ces structures regroupent les anciennes DIREN, la DRE et les parties environnement industriel, contrôle technique des véhicules et l'énergie des DRIRE. Elles existent dans chaque région sauf en Ile de France (direction régionale et interdépartementale de l'environnement et de l'énergie (DRIEE) d'Ile de France) et dans les départements d'outre-mer (directions de l'environnement, de l'aménagement et du logement).

61 yeux même de leurs agents68. Ainsi, l’entreprise demandant des précisions juridiques en matière environnementale aura parfois beaucoup de mal à identifier l’organisme compétent et obtiendra souvent une réponse incertaine, variant au gré de l’organisme auquel elle s’est adressée, voire qui sera erronée69.

Outre ces premiers éléments qui concourent à rendre difficile d’accès le droit de l’environnement, ce dernier se révèle être un droit très spécifique en raison notamment de sa nature et de son objet. Cette particularité contribue elle aussi à expliquer la complexité de cette matière et plus largement la difficulté de gestion par l’entreprise des problématiques environnementales l’impactant.