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Sources d’erreurs avec la mesure de pression artérielle non invasive

Chapitre 5. Mesure de la pression artérielle et obésité sévère

5.2 Techniques de mesure de pression artérielle

5.2.4 Sources d’erreurs avec la mesure de pression artérielle non invasive

Lorsque les professionnels effectuent la mesure de la pression artérielle dans les milieux de soin chez des individus avec un profil anthropométrique qui permet de respecter tous les principes de base, la valeur obtenue sera d’emblée jugée acceptable. Ces principes de base sont la préparation préalable du patient, la

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position corporelle, la position du bras et la grandeur du brassard. Si l’un de ces principes n’est pas respecté (exemple : les normes de grandeur du brassard), il y aura place à un doute quant à la précision et la validité de la mesure obtenue. Les lignes directrices américaines et canadiennes en hypertension artérielle ont d’ailleurs instaurées des règles visant à standardiser la procédure296,481.

Des situations spécifiques feront en sorte que la mesure de la pression artérielle sera un geste complexe pouvant multiplier les sources d’erreur potentielles notamment : chez les enfants, les gens âgés (≥ 65 ans), les femmes enceintes et les personnes obèses, spécialement celles avec une obésité sévère478,542. Ces

populations impliquent des précautions relativement au choix du brassard. Les prochaines sections traiteront de l’importance du brassard et des problèmes d’adaptation de celui-ci en contexte d’obésité sévère.

5.2.4.1 Choix du brassard

Si on remonte aux années 1950, on accordait beaucoup moins d’importance au choix du brassard et le format dit «standard» de l’époque était de 12 cm de largeur X 23 cm de longueur pour tous les individus543. Pourtant, l’Organisation

Mondiale de la Santé recommandait que la vessie incluse dans le brassard encercle complètement le bras543. Des chercheurs tels que King et Sir George Pickering ont manifesté leur inquiétude concernant les formats disponibles des brassards à cette époque543,544. Le premier a recommandé l’usage d’un brassard

plus long (ex : 42 cm) compte tenu des circonférences de bras de dimension supérieure chez la personne obèse544, et le deuxième a déploré que les manufacturiers ne produisaient pas de brassards avec des vessies plus larges en sachant que les dimensions des brassards étaient l’une des principales sources d’erreur dans la mesure de la pression artérielle543. Ces préoccupations

mettaient l’emphase à l’effet que le brassard doit définitivement être adapté selon la circonférence du bras du patient481,545.

Au fil des recherches, au moins quatre éléments importants à considérer dans la sélection du brassard ont été soulignés. Premièrement, des vessies plus larges et plus longues intégrées dans le brassard procurent une mesure plus juste que lorsque les dimensions sont trop étroites ou trop courtes que la circonférence du

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bras sur lequel il est installé543. Deuxièmement, le brassard contenant une vessie

trop étroite ou trop courte fera en sorte qu’un individu normotendu pourrait avoir un diagnostic d’hypertension543. Troisièmement, la dimension de la circonférence

du bras varie considérablement d’une population à l’autre et l’utilisation d’un brassard convenable pour un type de population conduira à des erreurs tensionnelles pour une autre population543. Quatrièmement, la meilleure façon de solutionner la controverse sur la dimension idéale du brassard serait de concevoir un brassard contenant une vessie qui s’ajusterait simplement et efficacement à toutes les dimensions de circonférence de bras tout en permettant une mesure valide et juste.

5.2.4.1.1 Circonférence et forme du bras

Avec l’augmentation de l’obésité, la circonférence de bras moyenne de la population s’est accentuée dans les dernières années, notamment, entre la fin des années 1980 et les années 2000, tel que mentionné dans des enquêtes américaines546,547. L’enquête NHANES réalisée de 1999 à 2002 a rapporté que

la circonférence de bras d’adultes âgés de ≥ 40 ans était en moyenne de 34 cm546, ce qui nécessite, pour une grande majorité de ces adultes, un brassard

plus large. Dans cette enquête, on note également qu’on a exclus des analyses les individus ayant des circonférences de bras «extrêmes» soit ceux ayant des circonférences de bras ≤ 27 cm et ≥ 52 cm, ce qui représente 10,3 % des participants de l’enquête546. Une autre étude réalisée auprès de 430 individus

issus d’une clinique d’hypertension artérielle révèlent que les circonférences de bras moyennes sont ≥ 33 cm pour 61 % des patients548. Cela signifie, encore une

fois, que la majorité des individus requiert un brassard plus large. Le format de brassard «standard» avant les années 2000 contenait une vessie de dimension de 12 cm X 23 cm543, laquelle est devenue ensuite le format «petit» (dimension : 12 cm X 22 cm), auquel on a ajouté le format « moyen » (dimension : 16 cm X 30 cm). Ce dernier format est plus représentatif de l’usage courant des années 2000481.

Le problème du choix du brassard survient chez les individus ayant des circonférences de bras ≥ 42 cm puisque les bras très larges ont souvent une forme atypique avec un épaississement/élargissement près de l’aisselle (portion

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proximale du bras) et un rétrécissement vers la partie rejoignant le coude (portion distale du bras). La figure 8 illustre ici un bras de dimension extrême (58 cm), de morphologie particulière, qui laisse entrevoir les difficultés potentielle rencontrées par les professionnels de la santé lorsqu’ils doivent installer un brassard de mesure de pression artérielle.

Figure 8. Exemple de circonférence de bras extrême chez un individu avec obésité sévère.

Circonférence : 58 cm (circonférence de l’avant-bras non mesurée). Source de l’image: © Marie-Ève Leblanc, 2016.

5.2.4.2 Problématique du choix du brassard et obésité sévère

Hors de tout doute, utiliser la bonne grandeur de brassard pour le bras chez l’individu obèse est crucial131,545,549-552. Dans un contexte d’obésité sévère, c’est

parfois impossible de trouver un brassard adéquat. Le mauvais choix du brassard peut introduire une erreur excédant 5 mmHg543,553. Compte tenu de la

progression du nombre d’individu avec obésité sévère253, les professionnels de

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alors une double problématique: une mesure de pression artérielle difficile, voire impossible à obtenir, et une mesure incertaine en terme de précision. Les conséquences d’une mesure de pression artérielle ne reflétant pas la situation tensionnelle réelle peuvent être problématiques pour la sécurité de l’individu.

5.2.4.2.1 Mesure de pression artérielle usuelle au bras en obésité sévère

Les situations problématiques en regard du choix du brassard sont toujours d’actualité. Malgré plus de 100 ans de recherche dans le domaine de l’hypertension artérielle, mesurer la pression artérielle de la façon conventionnelle chez des patients avec des circonférences de bras extrêmes reste irrésolu. Depuis la fin des années 50, outre les changements à l’égard du type d’appareil utilisé couramment (ex : appareils auscultatoires substitués par les appareils oscillométriques), on constate que les études ayant comparées les mesures non invasives (brassard positionné au bras) vs. les mesures invasives (canule artérielle) ont été davantage réalisées avec des patients obèses, et non obèses sévères. Tous ont eu des mesures prises en position de décubitus dorsal et la plupart des études ont impliquées des canules installées à l’artère brachiale511,554-559.

Dans le tableau 14, 9 études ayant effectuées des comparaisons entre les mesures de pression artérielle obtenues au bras vs. la canule artérielle chez des patients obèses aux circonférences de bras variables (entre 21 et 50 cm) sont rapportées. Trois d’entre elles seulement ont été réalisées chez des patients avec une obésité sévères78,558,559 en utilisant l’IMC comme mesure d’obésité. La plus ancienne des études a inclus 6 patients qualifiés « obèses extrêmes » en fonction de leur bras « flasque » et de leur circonférences de bras (≥ 35 cm) mais en omettant toutefois leur IMC554. Enfin, l’étude de Nielsen et al. a été réalisée pendant la chirurgie bariatrique de patients catégorisés obèses sévères511.

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Tableau 14. Écarts de mesure de pression artérielle entre les mesures au bras vs. les mesures avec la canule artérielle chez des patients avec obésité sévère ou une circonférence de bras hors normes

Auteurs, année

N

IMC ± ÉT (kg/m2) CB ± ÉT ou étendue (cm)

Site de la canule artérielle Type d’appareil de mesure

Grandeurs de la vessie du brassard ** Écarts moyens ± ÉT (mmHg)

PAS PAD

Trout et al, 1956554 *, ***

N=14

IMC : non disponible. CB ≥ 25 (25 à 48) Brachiale ou radiale Au mercure 55 13 Simpson et al, 1965555 N=24

IMC : non disponible CB ≥ 21 (21 à 46) Brachiale Au mercure Grandeur 12 x 23 1 ± 10 6 ± 10 Grandeur 12 x 35 - 4 ± 6 2 ± 8 Grandeur 14 x 23 - 3 ± 10 2 ± 9 Grandeur (14 x 35) - 6 ± 7 - 1 ± 9

140 Auteurs, année N IMC ± ÉT (kg/m2) CB ± ÉT ou étendue (cm)

Site de la canule artérielle Type d’appareil de mesure

Grandeurs de la vessie du brassard ** Écarts moyens ± ÉT (mmHg)

PAS PAD

Nielsen et al, 1983511

N=52

IMC : non disponible CB : 39 (35 à 49) Brachiale Au mercure Grandeur 15 x 43 - 3 ± 14 6 ± 7 Forsberg et al, 1970556 *** N=52

IMC: non disponible CB ≥ 31 Brachiale Au mercure 4 15 Stolt et al, 1990557 *** N=10

IMC : non disponible CB : 35 ± 3

Brachiale Au mercure

Grandeur 12 x 35

Spécificité : 0,86 Spécificité : 0,56 Brassard de type « Tricuff » Ɨ Spécificité : 1.0 Spécificité : 1,0 Stolt et al, 1993558 N=20 IMC : 37 ± 8 CB : 37 ± 4 Brachiale Oscillométrique Grandeur 12 X 35 0 ± 15 13 ± 9

Brassard de type « Tricuff » Ɨ

141 Auteurs, année N IMC ± ÉT (kg/m2) CB ± ÉT ou étendue (cm)

Site de la canule artérielle Type d’appareil de mesure

Grandeurs de la vessie du brassard ** Écarts moyens ± ÉT (mmHg) PAS PAD Umana et al, 2006559 N=87 soit : N=61 avec IMC : 33 ± 3 N=28 avec IMC: 47 ± 5 CB : non disponible Brachiale Oscillométrique - 10 ± 9 - 9 ± 7 4 ± 8 4 ± 7 Leblanc et al, 201378 N=25 IMC : 51 ± 7 CB : 38 ± 3 Radiale Oscillométrique - 8 ± 16 9 ± 7 Anast et al, 2016488 *** N=30 IMC : 39,9 ± 9,7 CB : 44 ± 6 Radiale Oscillométrique « Grandeur appropriée » : Brassard cylindrique - 5 -6 « Grandeur appropriée » : Brassard conique - 7 - 6

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Abréviations : CB : Circonférence de bras; ÉT : écart-type; IMC : indice de masse corporelle; kg/m2 : kilogramme par mètre carré; N : Nombre de sujets.

* Étude de Trout et al. (1956) : IMC non précisé mais 6/14 patients ont été catégorisés avec « extrême obésité », avec CB ≥ 35 cm. Le haut de leur bras « flasque » a été recouvert de tissu. Les écarts entre les mesures au bras vs. la canule artérielle ont été pour la pression artérielle systolique/diastolique : ≥ 42 / 18 mmHg.

** Grandeur de la vessie du brassard en cm (Largeur cm X Longueur).

*** Écarts moyens et/ou écart-type entre les techniques de mesure non disponible. Ɨ Brassard « Tricuff » inclus 3 chambres pneumatiques de différentes grandeurs.

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On constate des écarts relativement importants au sein des études. Trois études rapportées au tableau 14 ont testé les mesures de pression artérielle obtenue avec la méthode oscillométrique dans une population d’obèses sévères78,488,559.

Les deux études les plus récentes ont utilisé la canule artérielle positionnée dans l’artère radiale78,488. Dans l’étude d’Umana et al.559 et de Leblanc et al.78 les

écarts entre les techniques (bras vs. canule) sont d’amplitude similaire pour la pression artérielle systolique avec une sous-estimation de la mesure obtenue avec la canule artérielle de ~ 8-9 mmHg. La principale différence entre ces études est que celle de Leblanc et al.78 présente une population avec un IMC supérieur aux autres (IMC moyen : 51 kg/m2). Dans l’ensemble des études rapportées, peu

importe le niveau d’obésité, les écarts entre les méthodes varient beaucoup. L’impact du type d’appareil non invasif (auscultatoire ou oscillométrique) ainsi que le site de la canule artérielle semblent avoir un impact. Exclusion faite de l’étude la plus ancienne réalisée par Trout et al.554, on peut constater que les

mesures au bras avec l’appareil au mercure se rapprochent davantage des mesures intra-artérielles lorsque la canule est installée à l’artère brachiale. Ce phénomène peut être expliqué par le fait que les appareils au mercure sont plus précis et que l’artère brachiale est plus « rapprochée », à proprement parler, de la mesure du bras que l’artère radiale, notamment. Les appareils au mercure sont les types d’appareils considérés comme mesure-étalon dans les protocoles de validation (AAMI, BHS, ESH). De plus, comparer des mesures prises à des sites similaires, par exemple la canule artérielle brachiale vs. le brassard positionné au bras, permet de limiter les écarts entre les techniques. Les études en physiologie vasculaire ont démontré que la distance séparant les sites engendre une amplification de l’onde de pouls de quelques mmHg, ce qui implique une variation de ~ 5 mmHg pour la pression artérielle systolique progressant de l’artère brachiale à l’artère radiale560,561. Puisqu’il y a disparité entre les

techniques de mesures chez la population obèse, on peut considérer que le site de l’artère et le type d’appareil utilisé lors de la comparaison entre les techniques ont un impact potentiel sur la différence entre les mesures obtenues, en plus de la dimension du brassard.

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5.3 Lignes directrices en hypertension artérielle et recommandations