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Alternative à la mesure au bras en obésité sévère

Chapitre 5. Mesure de la pression artérielle et obésité sévère

5.3 Lignes directrices en hypertension artérielle et recommandations chez

5.3.2 Alternative à la mesure au bras en obésité sévère

Compte tenu de l’énoncé d’Hypertension Canada en 2018298 recommandant une

technique de mesure au poignet qui n’a pas été validée avec la mesure-étalon (canule artérielle) chez des patients obèses sévères, tout porte à croire que les professionnels de la santé qui vont éventuellement mesurer la pression artérielle de cette façon seront à risque d’obtenir une mesure imprécise. De plus, on considère que la structure articulaire du poignet peut être plus difficile à stabiliser lors des mesures481. Par exemple si on mentionne de maintenir le poignet au niveau du cœur pour la mesure, un support adéquat devrait théoriquement permettre d’optimiser la mesure mais il reste que dans la pratique courante, cela pourrait être plus difficile à réaliser481. Il est donc primordial de développer une

technique de mesure de pression artérielle alternative sécuritaire et valide. Une alternative apparaît plus intéressante et celle-ci a vu ses premiers développements au début du 19e siècle : la technique de mesure de pression

artérielle avec le brassard positionné à l’avant-bras.

5.3.2.1 Mesure de la pression artérielle à l’avant-bras

Le but de transposer le brassard à l’avant-bras avec un brassard régulier, considérant que l’excès de tissu adipeux se concentre au haut du bras et non aux extrémités, donne l’accès à une méthode de mesure alternative simple. Les avantages de l’utilisation éventuelle de cette technique sont qu’elle ne nécessite pas d’équipement supplémentaire. Des étapes doivent être effectuées avant d’utiliser cette approche dans le dépistage, le suivi et le traitement des personnes obèses sévères avec hypertension artérielle. Voyons comment cette méthode de mesure a émergé dans la littérature scientifique et a inspiré mes travaux de recherches principaux.

L’étude pionnière portant sur la technique à l’avant-bras a fait ressortir que les mesures obtenues à l’avant-bras correspondaient davantage aux mesures intra- artérielles chez des sujets obèses (IMC non fourni) avec des bras « très enveloppés »554. Les chercheurs ayant expérimenté la mesure tensionnelle en positionnant un brassard régulier à l’avant-bras ont ausculté l’artère radiale et obtenu des résultats intéressants lorsqu’ils ont comparé les mesures à celles

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déterminées avec la canule artérielle556. Plus tard, Devetski a souligné que le fait

de mesurer la pression artérielle en auscultant l’artère radiale permettait de surmonter les difficultés d’auscultation avec des bras de circonférences extrêmes570. La détection des bruits de Korotkoff à l’artère radiale pouvait donc être facilement détectés à l’endroit où le pouls est habituellement palpé570. De

cette hypothèse, on en déduit que malgré l’usage d’un brassard plus large, la valeur obtenue par auscultation et oscillométrie peut être biaisée. Dans l’étude de Forsberg et al.556, les mesures obtenues avec le brassard régulier placé à l’avant-bras ont données une meilleure correspondance avec les mesures intra- artérielles que les mesures avec le brassard large placé au bras556. Les études

de validation impliquant la technique à l’avant-bras ont été réalisées soit avec la méthode invasive (la canule artérielle) comme mesure-étalon556,571,572, soit les méthodes non invasives avec des appareils auscultatoires572-574 ou des appareils

oscillométriques575-578 dont les brassards ont été positionnés au bras. Les études

font toutes ressortir des corrélations significatives entre la technique de mesure à l’avant-bras et la mesure intra-artérielle (non indiquées au tableau 17) mais il demeure qu’il existe une très grande variabilité en regard des écarts obtenus entre les techniques comparées.

5.3.2.1.1 Technique de mesure à l’avant-bras vs. la mesure intra-artérielle

La synthèse des études retenues se trouve au tableau 17 et implique les études de validation ayant comparées les mesures de pression artérielle obtenues avec le brassard positionné à l’avant-bras (avec des appareils auscultatoires ou oscillométriques) vs. la mesure intra-artérielle (avec la canule) comme mesure- étalon.

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Tableau 17. Techniques de mesure de la pression artérielle à l’avant-bras vs. la mesure-étalon chez l’obèse sévère

Auteurs, année N IMC ± ÉT (kg/m2) CB ± ÉT ; CAB ± ÉT (cm) Site d’insertion de la canule artérielle Type d’appareil Écarts de mesure de pression artérielle ± ÉT (mmHg) Systolique Diastolique Trout et al, 1956554 *, ** N=14

IMC: non disponible

CB ≥ 25 (25-48); CAB : non disponible

Brachiale ou radiale

Au mercure - 1 9

Forsberg et al, 1970556**

N=52

IMC : non disponible CB ≥ 31; CAB : non disponible

Brachiale Au mercure 7 23 Warembourg et al, 1987572** N=12 IMC : 38,0 ± 1,3

CB ≥ 35; CAB : non disponible

Brachiale Au mercure - 2 28 Brachiale Oscillométrique 5 22 Leblanc et al, 201378 N=26 Salle d’opération : IMC : 52,1 ± 8,1 Radiale Oscillométrique Salle d’opération 8 ± 19 - 9 ± 10

152 Auteurs, année N IMC ± ÉT (kg/m2) CB ± ÉT ; CAB ± ÉT (cm) Site d’insertion de la canule artérielle Type d’appareil Écarts de mesure de pression artérielle ± ÉT (mmHg) Systolique Diastolique Leblanc et al, 201378 (suite) CB : 42,8 ± 5,5; CAB : 29,7 ± 2,9 N=26 Salle de réveil : IMC : 50,9 ± 7,1 CB : 37,8 ± 3,3; CAB : 28,7 ± 2,9 Radiale Oscillométrique Salle de réveil 5 ± 13 5 ± 7 Anast et al, 2016488** N=30 IMC : 39,9 ± 9,7

CB : 44 ± 6; CAB : non disponible

Radiale

Oscillométrique - 2 0

Abréviations : CAB : Circonférence de l’avant-bras; CB : Circonférence de bras; cm : centimètre; ÉT : écart-type; IMC : indice de masse corporelle; kg/m2 : kilogramme par mètre carré; N : Nombre de sujets.

* Étude de Trout et al. (1956) : IMC non précisé mais 6/14 patients ont été catégorisés avec «extrême obésité», avec CB ≥ 35 cm. ** Écart-type entre les techniques de mesure non disponibles.

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Quelques études ayant testées la technique à l’avant-bras vs. la mesure intra- artérielle révèlent des pressions systoliques et diastoliques surestimées comparées à la mesure ’intra-artérielle78,556,572. Ce qui peut être logique si on s’attarde

notamment aux 2 études qui ont effectué les comparaisons entre les mesures à l’avant-bras vs. la canule artérielle installée à l’artère brachiale556,572. En effet, on

doit s’attendre à une amplification de l’onde de pouls de l’artère brachiale à l’artère radiale, donc une augmentation de la valeur de la systolique entre les sites 560. Or, les mesures de pression artérielle surestimées globalement avec le brassard positionné à l’avant-bras vs. la mesure intra-artérielle avec la canule à l’artère radiale

78 impliquent d’autres facteurs justifiant ces écarts. Les mécanismes de détection

sont différents pour chacun des appareils utilisés (auscultatoire et oscillométrique). Il y a aussi le fait que les caractéristiques des sujets dans chaque étude varient : l’IMC, la circonférence du bras et de l’avant-bras, et aussi des composantes non mesurées au regard de la physiologie vasculaire. Deux études révèlent une sous- estimation des mesures obtenues avec le brassard à l’avant-bras vs. la canule artérielle; une réalisée avec un appareil au mercure554 et l’autre avec un appareil

oscillométrique488. Aussi, la physiologie vasculaire artérielle des personnes obèses

sévères pourrait impliquer une ramification périphérique plus importante servant à irriguer le surplus de tissu, d’où une amplification de la pression systolique variable selon les patients. Des variations interindividuelles à cet égard sont une hypothèse plausible pouvant justifier les écarts entre les méthodes. Enfin, considérant que c’est la moyenne arithmétique des écarts interindividuels entre les méthodes qui est rapportée dans les études, le résultat de ce calcul ne permet pas d’apprécier pleinement les variations entre les méthodes par individu.

La meilleure façon d’illustrer les fluctuations des écarts entre les méthodes reste les graphiques de Bland Altman579,580. C’est la méthode utilisée dans les deux études les plus récentes78,488. Ce sera toutefois l’écart global, soit la moyenne des différences ± écart-type entre les méthodes qui permettra de justifier si oui ou non la technique est valide en se basant sur la norme de validation utilisant la mesure invasive avec la canule artérielle comme mesure-étalon (AAMI). Notre étude,

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Leblanc et coll. 78, dans le tableau 17 est la seule respecte les normes de l’AAMI

pour la pression artérielle diastolique (5 ± 7 mmHg) mais non pour la systolique (5 ± 13 mmHg). Toutefois, les graphiques de Bland Alman illustrés respectent les critères en ayant des limites d’agrément (95 % des différences) entre les méthodes qui respectent les intervalles représentés (moyenne des différences ± 2 X écart-type). On note que l’étude d’Anast et al.488 présente une moyenne globale des différences

entre les méthodes acceptables entre la mesure à l’avant-bras et la canule artérielle (2 mmHg pour la systolique; 0 mmHg pour la diastolique)488. Toutefois, les auteurs ont omis de préciser l’écart-type; seules les limites d’agrément sont fournies ainsi que les illustrations graphiques de Bland Altman. En conclusion de leur étude, les chercheurs se prononcent sur la non validité de la mesure de pression artérielle à l’avant-bras en mentionnant que la précision et les différences entre les méthodes sont trop variables et indiquent que c’est la mesure invasive que l’on devrait utiliser pour évaluer la pression artérielle chez l’obèse sévère488.

Technique de mesure à l’avant-bras vs. la mesure usuelle au bras

Concernant les études ayant comparées les mesures de pression artérielle à l’avant- bras comparativement à la mesure au bras chez l’obèse sévère, on dénombre au moins 5 études ayant identifiées le nombre de patients avec obésité sévère tel que définie par l’IMC78,572,575,581,582 et deux ayant plutôt identifié le problème du bras en

regard de la circonférence, sans rapporter les IMC573,583. Dans l’ensemble de ces

études, on constate une surestimation des mesures obtenues au bras lorsque le brassard est positionné à l’avant-bras78,572,575,581,582. Les différences moyennes entre

les techniques à l’avant-bras et au bras sont une surestimation entre 2 et 13 mmHg pour la pression artérielle systolique et entre 3 et 14 mmHg pour la pression diastolique. Pour une seule étude, une sous-estimation de la pression diastolique de - 9 mmHg a été observée. Les différences entre la méthode au bras vs. l’avant-bras pourraient dépendre en partie du phénomène d’amplification de l’onde de pouls de l’aorte vers la périphérie, qui prévaut pour une augmentation de quelques mmHg d’augmentation de l’artère brachiale vers l’artère radiale soit ~ 5 mmHg normalement

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de positionnement du brassard au bras, le phénomène d’amplification de l’onde de pouls à lui seul ne peut justifier les écarts entre les sites.

5.3.2.2 Mesure la pression artérielle au doigt

Une technique de mesure de pression artérielle particulière existe, et consiste en un dispositif placé sur le doigt, l’appareil « Finapres ». La technique de mesure au doigt a été expérimentée auprès de 6 patients obèses sévères (IMC moyen : 38 ± 4 kg/m2) en comparant les mesures obtenues avec une canule artérielle installée à l’artère brachiale567. Les résultats ont démontré que les mesures de pression artérielle au doigt sous-estimaient les mesures de pression artérielle systolique obtenues avec la canule artérielle (- 4 mmHg). L’appareil « Finapres » a aussi permis d’obtenir des mesures de pression artérielle identiques aux mesures diastolique (0 mmHg) (écarts-types non fournis). Malgré ces résultats encourageant, cette étude implique un nombre restreint de sujets (n=6). Il s’avère aussi que la mesure de pression artérielle au doigt est une technologie qui n’est pas d’usage courant, avec certaines limitations. Le mécanisme derrière le fonctionnement du « Finapres » est basé sur la dimension pulsatile des artères digitales, qui sont détecté grâce à un mini brassard installé sur le doigt comportant des détecteurs de type photopléthysmographique584.

Les oscillations de la pression artérielle détectée permettent le tracé d’une courbe similaire à celle obtenue avec la canule artérielle585. Les appareils conçus pour mesurer la pression artérielle au doigt ne sont pas recommandés pour l’usage courant dans l’évaluation de la pression artérielle en clinique puisque la détection semble affectée par divers états physiologiques, notamment la vasoconstriction périphérique586. La précision et la fiabilité des appareils au doigt n’a pas encore été démontrée ni pour la population en générale, ni chez l’obèse sévère.