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SOURCES D’INSTABILITÉ DES MARCHÉS AGRICOLES

Ce chapitre analyse les explications de la littérature économique sur les fluctuations des cours agricoles. Il remplit le premier objectif de ce mémoire qui porte sur les sources d’instabilité des marchés agricoles. Il est organisé en trois sections dont les deux premières concernent respectivement les sources exogènes et les sources endogènes de l’instabilité des marchés. La dernière section est une discussion des résultats de la littérature.

IV.1. L’approche des fluctuations exogènes des marchés agricoles

Cette approche s’attarde sur les facteurs externes qui affectent l’offre et la demande des produits agricoles. Elle est la plus utilisée dans la littérature économique sur les explications de la dynamique des cours agricoles (Boussard, 2010). Elle est fondée sur les hypothèses du marché concurrentiel (Gouel, 2012). Elle considère que les agents économiques sont rationnels et leurs anticipations se réalisent toujours en moyenne du fait que l’information disponible est parfaite. Ces agents connaissent parfaitement les probabilités des aléas sur les récoltes et le niveau de stockage global (Gérard, Boussard et Piketty, 2013). « De ce fait, il n’existe pas d’erreurs systématiques de prévisions et l’origine des fluctuations est uniquement exogène, liée à la soumission de l’agriculture à la Nature » (Gérard, Boussard et Piketty, 2013, p.35).

Les causes exogènes de la perturbation des marchés agricoles sont essentiellement des évènements aléatoires sur lesquelles les producteurs n’ont aucune emprise (Boussard, 2007; Cervantes-Godoy et al., 2013). Il s’agit des aléas climatiques et des crises sanitaires comme les sécheresses, les inondations, les épidémies et les épizooties qui affectent le volume des produits agricoles, mais aussi les choix des consommateurs (Galtier, 2013; Marchal, 2017). Avec le changement climatique et la concentration géographique de certaines productions, les impacts de ces facteurs externes peuvent être de grande amplitude sur les cours agricoles, soit par la

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surproduction, soit par la sous-production (Debailleul et al., 2013; FAO, 2012; OCDE, 2016).

Outre les accidents climatiques et les maladies épizootiques, on estime également que d’autres facteurs externes peuvent contribuer au déséquilibre des marchés agricoles (Delorme et al., 2007; Marshal, 2017). Les subventions, les politiques énergétiques, les politiques d’exportation et d’importation, la gestion des stocks par le pouvoir public, les réglementations sur la production agricole ainsi que des changements institutionnels font partie des éléments susceptibles de causer la variation de la production et des cours agricoles mondiaux (Abbott et al., 2008; Headey et Fan, 2010; Galtier, 2013). On peut aussi ajouter quelques facteurs macroéconomiques, financiers voire le cours du pétrole dans cette liste des causes exogènes de l’instabilité marchés agricoles (Elmarzougui et Larue, 2011; Baumeister et Kilian, 2013)

IV.2. L’approche de fluctuations endogènes des marchés agricoles

L’approche des fluctuations endogènes des marchés agricoles a été initiée par le modèle Cobweb d’Ezekiel (1938). Avec le progrès des outils mathématiques, elle a été reprise dans les travaux qui traitent des fluctuations chaotiques des marchés agricoles (Finkenstadt et Kuhbier, 1992; Chavas et Holt, 1993; Boussard et al. 2006). Ce courant d’analyse part de l’idée de l’imperfection des marchés agricoles contrairement à la théorie économique standard qui en soutient le bon fonctionnement et l’autorégulation (Gérard, Boussard et Piketty, 2013). Des solutions conventionnelles proposées pour corriger la volatilité des marchés portent entre autres sur les outils privés de la gestion de risque, le stockage privé des produits agricoles et la libéralisation des marchés agricoles. Cependant, plusieurs études ont démontré que « l'ouverture commerciale pratiquée depuis 1980 n'a pas modifié les caractéristiques temporelles des séries de prix de la plupart des matières premières agricoles : leurs fluctuations demeurent persistantes, asymétriques, irrégulières et marquées par de

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multiples ruptures de tendance » (Delorme et al., 2007, p. 24). Elles ont aussi constaté « l’incapacité intrinsèque des marchés à revenir à une situation d’équilibre compatible avec la croissance économique et notamment celle de la productivité agricole » (Delorme et al., 2007, p. i) Si les marchés agricoles ne fonctionnent pas comme le prédit la théorie économique néoclassique, les sources de ce dysfonctionnement systématique ne se résument pas seulement aux facteurs climatiques et sanitaires et aux effets des politiques (Boussard, Gérard et Piketty, 2008). Il y a aussi des facteurs endogènes tels que le délai de production, la rigidité de la demande, les anticipations imparfaites et l’aversion au risque des agriculteurs qui empêchent le marché de s’ajuster rapidement aux signaux des prix (Boussard, 2017). De ce fait, le marché ne reste pas en équilibre de longue durée ; son point d’équilibre est instable (Boussard, Gérard et Piketty, 2013). Évidemment, les chutes de prix, en ruinant certains agriculteurs, peuvent faire réduire l’offre. Les prix peuvent remonter par la suite à cause de cette nouvelle pénurie. À l’opposé, les hausses de prix peuvent inciter les agriculteurs à augmenter leur production grâce aux investissements. Cette nouvelle abondance de l’offre peut faire retomber les prix. On assiste donc à un marché qui est en recherche continuelle d’équilibre optimal où le coût de production marginal équivaut au prix (Boussard, Gérard et Piketty, 2013)

Par ailleurs, l’élasticité de l’offre par rapport au prix est aussi limitée par l’importance et la contrainte des facteurs fixes en agriculture. « II existe beaucoup de facteurs fixes en agriculture, et ceux-ci déterminent la production dans une large mesure » (Boussard, 1988, p. 243). Une hausse de prix bien qu’elle puisse accroître la trésorerie d’une entreprise agricole ne rendra pas certains de ses facteurs de production moins fixes à court terme (Boussard, 1988). Par contre, une chute importante de prix, en réduisant les revenus, peut rendre fixes des facteurs qui ne l’étaient pas avant (Boussard, 1991). Ainsi, l’offre agricole n’est pas nécessairement une

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fonction croissante du prix et ne répond pas parfaitement à ce prix à court terme (Boussard, 1988). En outre, le risque en agriculture réside dans la variabilité des rendements et des prix futurs qui sont aussi importants pour expliquer la surproduction et la sous-production chez les agriculteurs (Boussard, 1988). Les prix étant des variables aléatoires, les producteurs ne le connaissent pas d’avance. Dans ce contexte, les erreurs d’anticipation sont possibles sinon fréquentes sur les prix projetés (Boussard, 1991). Les décisions erronées qui en émanent peuvent générer une suite des choix individuels pouvant éloigner les marchés agricoles des résultats optimaux (Delorme et al., 2007; Boussard, 2010).

IV.3. Discussion

Les marchés agricoles sont caractérisés par une instabilité intrinsèque causée par l’inadéquation entre l’offre et la demande. Celle-ci est moins élastique par rapport au prix tandis que l’offre agricole, bien que rigide à court terme, peut devenir abondante à long terme. Les économistes reconnaissent cette inélasticité de la demande alimentaire par rapport aux prix et aux revenus. Quant aux variations de l’offre, les avis divergent selon les théories exploitées. Ainsi, les facteurs qui affectent la dynamique des marchés agricoles sont généralement classés en deux grandes catégories : les facteurs exogènes (conjoncturels) et les facteurs endogènes (systémiques ou structurels). Il en découle deux approches : celle des fluctuations endogènes et celle des fluctuations exogènes des marchés agricoles.

L’application de la théorie néoclassique standard en agriculture privilégie le rôle du prix et la rationalité des agriculteurs dans l’explication des fluctuations des marchés agricoles. Une fois que le prix change, l’offre et la demande s’ajustent grâce au comportement optimisateur des agents économiques. De la sorte, le marché retrouve rapidement son équilibre. Puisque le marché est censé fonctionner de manière satisfaisante, seuls les

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facteurs exogènes peuvent le perturber. Ainsi, le rôle de l’État ou toute autre forme de coordination empêcherait le marché de fonctionner efficacement. Des théories alternatives de l’offre agricole fournissent des éléments de compréhension du déséquilibre systémique des marchés agricoles. Elles relâchent les hypothèses de l’équilibre stable du marché et de la rationalité des agents. En analysant les conditions de la production agricole, d’autres facteurs entrent en jeu comme le délai biologique, l’incertitude sur les rendements et les prix projetés, le risque du marché, la spécificité et la fixité des actifs, etc. Ces éléments font que l'offre ne réagit « aux prix que de façon imparfaite, avec de longs délais, et pas toujours dans le bon sens. Dans ces conditions, avec une demande rigide, le marché ne fonctionne pas de façon » optimale (Boussard, 1988, p. 259). Le rôle de l’État et d’autres mécanismes de coordination horizontale de la production seraient donc d’assurer l’équilibre d’un système qui est intrinsèquement instable (Boussard et al., 2006).

On a souvent opposé ces deux courants d’analyse des fluctuations des marchés agricoles. Cependant, ils sont complémentaires. En effet, le déséquilibre des marchés agricoles peut-être la résultante de l’interaction des facteurs exogènes et des facteurs endogènes dans ce sens que les contraintes climatiques et biologiques perturbent l’offre agricole, mais les décisions et les choix des agriculteurs et des autres intervenants des filières influencent aussi la dynamique des marchés.

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