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Australie : effet de l’incertitude de la régulation sur les

CHAPITRE V. EFFETS DE L’INSTABILITÉ DES MARCHÉS

V.6. Mini-études de cas

V.6.1. Australie : effet de l’incertitude de la régulation sur les

Ces dernières années, l’industrie des œufs en Australie a connu une bonne croissance en termes de volume de production et de sa valeur monétaire. La figure 12 montre qu’entre 2013 et 2017, la production (voir l’histogramme) a augmenté d’environ 22 %, soit de 350 à 450 millions de douzaines d’œufs pour une valeur monétaire (voir la courbe) allant d’environ 510 à 720 millions de dollars australiens.

Figure 12. Évolution de la production des œufs et de sa valeur monétaire en Australie (2013 – 2017)

Source: Australian Egg Corporation, Annual report 2016/2017

Cette croissance est aussi observée du côté des détaillants dans le même intervalle de temps. La figure 13 montre que le volume vendu dans les supermarchés (voir l’histogramme) a augmenté approximativement de 24 %, soit de 160 à 212 millions de douzaines d’œufs pour une valeur (voir la

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Figure 13. Évolution du volume des œufs dans les épiceries et de sa valeur monétaire en Australie (2013-2017)

Source: Australian Egg Corporation, Annual report 2016/2017

Du côté de la demande, la consommation annuelle des œufs par tête d’habitants a affiché une tendance haussière entre 2011 et 2015. La figure 14 indique que cette consommation est passée d’environ 213 à 227 œufs par personne (spot consumption). En 2017, cette consommation a atteint 231 œufs par habitant (Australian Egg Corporation, 2017)

Figure 14. Évolution de la consommation des œufs par personne en Australie

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En ce qui concerne les préférences des consommateurs, le segment des œufs de poules en liberté a vu sa part de marché augmenter progressivement. Elle a varié d’environ 20 à 40 % entre 2005 et 2016 comme l’illustre la figure 15.4

Figure 15. Évolution de la part de marché selon les catégories des œufs de consommation en Australie (2005-2016)

Source: Australian Egg Corporation, Annual report 2016

En dépit de ces indicateurs de croissance, une incertitude au sujet de la régulation entourant la dénomination des œufs de poules en liberté a perturbé le bon fonctionnement du secteur (Egg Farmers of Australia, 2015). Tout commence en 2012 quand le gouvernement, par l’entremise de

l’Australian Competition AMD Consumer Commission, a pris la décision de

fixer des nouvelles normes de production en ce qui concerne des œufs de poules en liberté (Government of Australia-The Tresury, 2015). Cependant, c’est seulement en mars 2016 que les producteurs ont été fixés sur la capacité de confinement des animaux qui devait se plafonner à 10 000 pondeuses sur une superficie d’un hectare, soit une poule sur un mètre carré (Grindlay, 2016; Vidot et Rural Reporters, 2016). À noter que cette

4 Caged = œufs des poules élevées en cage; Free range : œufs des poules en liberté; Barn-

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incertitude de la régulation s’est créée dans un contexte où le marché offrait des bons prix. Dans la figure 16, les cours des différents types des œufs présentaient une tendance haussière. On constate que les prix des œufs de poules en liberté (free range) et des œufs de spécialité (speciality) ont maintenu une hausse, bien qu’à des proportions différentes, entre 2011 et 2015. Par contre les cours des autres catégories d’œufs baissent entre 2014 et 2015 après leur hausse progressive dans les années précédentes.

Figure 16. Évolution du prix nominal moyen des catégories d’œufs vendues en Australie (2011-2015)

Source : Australian Egg Corporation, Annual report 2015

Dans ce contexte, en faisant l’hypothèse de la maximisation de profit, on s’attendrait à une augmentation de l’offre pour répondre à la demande et que les entreprises profitent de la hausse des prix. Cependant, un comportement contre-intuitif se produit à cause de l’incertitude sur les normes de production, mais aussi à cause du caractère risqué de la production et de l’irréversibilité des investissements en actifs spécifiques dans ce secteur (Mannix, 2016). Ainsi, les producteurs des œufs des poules en liberté ont retardé leurs investissements pour les nouveaux bâtiments durant la période d’incertitude; (Mannix, 2016). Les entreprises qui font de l’élevage conventionnel en cage en ont fait autant par peur des conséquences

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de la nouvelle législation (Stainkamph, 2016). Ce constat va dans le même sens avec ce qui est évoqué dans la littérature au sujet des investissements irréversibles en présence d’incertitude (Arrow et Fisher 974; Henry; 1974; Bobtcheff et Villeneuve, 2010). La figure 17 permet d’analyser les effets de cette incertitude sur les producteurs. Elle présente l’évolution du volume de production d’œufs et celle de l’indice des prix des œufs à la ferme en Australie entre 2012 et 2018.

Figure 17. Évolution du volume de production d’œufs et de l’indice des prix des œufs à la ferme pour l’Australie (2012-2018)

Source: Auteur, à partir des données ABARES

On constate que la production d’œufs, en millions de douzaines, baisse entre 2012 et 2015 alors que l’indice des prix des œufs à la ferme progresse en même temps. La hausse du niveau des prix reçus par les producteurs ne conduit pas à l’augmentation de l’offre durant 4 années successives. L’incertitude sur la législation de la production y est pour quelque chose puisque durant cette période aucune crise d’épizootie n’a été signalée et que le marché présentait plusieurs incitatifs en faveur de l’augmentation de la

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production. Toutefois, les prix ont transmis l’information sur la rareté des œufs, mais les entreprises n’ont pas interprété ce signal suivant les modalités de la rationalité économique.

De plus, dans la même figure 17, on remarque le niveau des prix reçus à la ferme baisse entre 2015 et 2016 alors que le volume d’œufs produits augmente. Cela peut être lié aux erreurs d’anticipation présentées dans le modèle de Cobweb. En effet, les agriculteurs auraient déterminé leur production en assumant que le prix de la période passée sera le même alors que les conditions du marché auraient évolué avec les importations. Aussi, le fait que les discussions sur les nouvelles normes de production des œufs soient bien avancées en 2015, l’incertitude aurait diminué pour permettre une réponse positive de l’offre (Government of Australia-The Tresury, 2015). Enfin, toujours dans la figure 17, on constate aussi qu’entre 2016 et 2018, l’offre des œufs affiche la même tendance à la hausse que l’indice des prix des œufs aux producteurs. Ce qui semble conforme aux prédictions du comportement du producteur dans la théorie économique orthodoxe. Cette clarté de l’information a permis aux entreprises de répondre aux signaux du marché, car c’est en mars 2016 que le gouvernement australien avait rendu publique la nouvelle loi. Ainsi, les entreprises ont plus investi dans la production après 2016 afin de répondre efficacement à la demande. La figure 18 permet d’analyser l’effet de cette incertitude sur les investissements. On peut capter l’ampleur des investissements par l’augmentation des unités de production (nombre de poules) dans les fermes puisque la production des œufs dépend à la fois des inventaires des entreprises en nombre des poules et ainsi du nombre d’œufs produits. On peut admettre que cette variation va aussi de pair avec les investissements en bâtiments et en équipements.

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Figure 18. Évolution des inventaires poules et poulettes en Australie (2013 – 2017)

Source: Australian Egg Corporation, Annual report 2016/2017

On remarque que l’accroissement du nombre de poules pondeuses est plus important et brusque en 2017 par rapport aux quatre années précédentes. Ce nombre passe de 24 millions en 2016 à environ 27.5 millions de têtes en 2017, soit une progression de 12.7%. C’est la plus grande variation à la hausse observée dans l’intervalle de 2013 à 2017. En d’autres termes, l’incertitude aurait retardé les investissements avant 2017. En effet, entre 2013 et 2015, l’augmentation annuelle du nombre des pondeuses a été d’environ 1 million de têtes, soit 4.35 % par année. Dans l’espace de 2015 à 2016, la variation est négligeable, car on observe presque le même nombre des poules pondeuses.

Tout compte fait, le marché des œufs en Australie n’a pas été en son état optimal entre 2012 et 2016. Les entreprises n’ont pas alloué efficacement leurs ressources pour répondre à la demande croissante. Le marché s’est retrouvé en pénurie des œufs et les consommateurs ont payé des prix élevés. En se limitant à la théorie économique néoclassique standard, on prédirait un comportement maximisateur des producteurs. L’offre devrait normalement croitre avec la hausse du prix. Toutefois, cela n’a pas été le

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cas entre 2012 et 2015. Cette situation peut s’expliquer par les différentes théories alternatives de l’offre agricole que nous avions présentées au second chapitre de ce mémoire. Les producteurs peuvent faire des choix contre- intuitifs en présence du risque ou de l’incertitude. Comme le soulignent Boussard (1985a; 1986; 1990) et Backus, Eidman et Dijkhuizen (1997), il peut exister d’autres déterminants de l’offre agricole hormis le prix. En effet, lorsque les actifs sont fixes et spécifiques et que les investissements sont irrévocables et risqués, les prix seuls ne suffisent pas à prédire le choix optimal des entreprises agricoles. De plus, les investissements peuvent être ralentis bien que la hausse de la demande soit un incitatif de taille à l’augmentation de la production.

V.6.2. États-Unis : impact d’une épizootie sur l’offre des œufs de