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Approche complémentaire de l’offre agricole

CHAPITRE II. CADRE CONCEPTUEL ET THÉORIQUE

II.2. Théories explicatives de la fluctuation des marchés agricoles

II.2.2. Le déséquilibre des marchés agricoles

I.2.2.3. Approche complémentaire de l’offre agricole

Cette approche s’inspire de deux théories présentées tantôt, cependant elle remet en question la capacité de la théorie microéconomique du producteur à prédire efficacement le comportement des agriculteurs face aux signaux du marché. Boussard (1985a; 1985b; 1985c; 1990; 2005c; 2015) démontre par des niveaux d’analyses variés, comment il est théoriquement possible

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d’envisager que la production agricole ne soit pas parfaitement une fonction linéaire ou une variation nécessairement croissante du prix courant. En effet, on observe par exemple que l’offre des produits agricoles croisse alors que les prix n’ont pas fluctué (Boussard, Gérard et Piketty, 2008). De plus, la production agricole peut également augmenter même quand les prix plongent (Boussard, Gérard et Piketty, 2008). Ou encore, l’offre agricole peut s’accroître l’année qui suit une baisse des prix (Doyon, 2012). Ainsi, dans l’agriculture moderne, le prix présent d’un bien n’est pas nécessairement le premier élément qui conditionne la variation de la production agricole (Boussard, 1985a).

Plusieurs travaux qui traitent de la réponse de l’offre agricole par rapport aux prix s’inscrivent dans la lignée de ceux de Nerlove (1958; 1979) et de Colman (1983). En appliquant généralement à l’agriculture la théorie standard du producteur, ils font l’hypothèse que les agriculteurs maximisent une fonction d’utilité uniforme à tous (Boussard, 1985a). En effet, il est généralement admis qu’ils maximisent individuellement leurs profits qui sont des fonctions linéaires des prix. Ces derniers seraient indépendants des contraintes techniques telles que les facteurs fixes ou la rotation des cultures (Boussard, 1985a; Boussard, Gérard, Piketty, 2005b). Dans ce contexte, les profits étant conçus comme la différence entre les recettes et les coûts, la quantité optimale de l’offre serait une relation non décroissante du prix de vente et non croissant du coût (Boussard, 1985a). Toutefois, la maximisation d’une fonction d’utilité n’est pas exclusivement synonyme de la maximisation de la marge brute pour un agriculteur. Cette fonction d’utilité peut intégrer des aspects hétérogènes suivant la structure des fermes et les objectifs de ceux qui les dirigent (Boussard, 1985a; 1990). Ainsi, la réaction des entreprises agricoles aux variations des prix peut dépendre du caractère biologique de la production, mais aussi de la contrainte de la fixité des actifs à court terme. Ce qui revient à dire que l’offre agricole n’est pas obligatoirement une fonction linéaire des prix courants.

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Pour renchérir cette complexité de la fonction d’utilité de l’agriculteur, Backus, Eidman et Dijkhuizen (1997) soulignent le fait que la viabilité à long terme de l'exploitation agricole dépend de sa rentabilité et de son avantage relatif en termes de taille, de dépenses familiales, de productivité, de coûts liés à la législation, de dette et de réserves financières. La position relative de la ferme est influencée par les buts et les objectifs personnels et commerciaux, la relation ferme-famille et les stratégies de gestion agricole (Backus, Eidman et Dijkhuizen, 1997). Il n’est pas possible d’atteindre ces objectifs en appliquant à la lettre la stratégie standard de la maximisation du profit. Chaque ferme nécessite des mesures spécifiques en fonction de son équipement, de sa structure, de ses capacités de gestion et des ambitions de ses exploitants (Boussard, 1990; Backus, Eidman et Dijkhuizen, 1997)

Par ailleurs, la contrainte de liquidité et celle du risque peuvent également conditionner les décisions de production chez les agriculteurs. Au sujet de la contrainte de liquidité, il est possible d’admettre que dans une économie de marché, le revenu d’une période précédente conditionne les dépenses courantes de l’exploitation agricole, la consommation et l’épargne nette de l’agriculteur (Boussard, 1990). Ainsi, une contrainte financière peut modifier les décisions des producteurs agricoles surtout quand les variations du prix des extrants à la ferme sont défavorables par rapport à celles des intrants (Burger, 1985). Par exemple, lorsque les prix baissent, le revenu global de la ferme s’amenuise. Cette difficulté de trésorerie peut faire baisser les investissements en faveur de la production dans la prochaine période. C’est pour cela qu’il n’est pas facile de produire à contre cycle ou de repousser l’activité de l’exploitation agricole après une période soutenue de faibles prix (Boussard, 1985a).

S’agissant du risque, les agriculteurs seraient moins incités à financer leurs dépenses courantes dans une situation de variabilité des prix qui est défavorable au revenu (Boussard, 1990). De plus, les variations du revenu

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peuvent augmenter le risque des défauts de paiement chez les agriculteurs (Boussard, 1985a). L’interaction de la contrainte financière et du risque peut amplifier les conséquences négatives sur la production agricole. À noter que l’instabilité du niveau d’épargne peut aussi avoir des effets sur la composition du capital dans la mesure où l’investissement est lié à l’épargne ou à la capacité de remboursement de l’entreprise agricole (Boussard, 1990). Somme toute, on retient de cette approche qu’il peut exister d’autres déterminants de l’offre agricole hormis le prix (Boussard, Gérard et Piketty, 2005a). L’interaction dynamique des contraintes de liquidité, du risque, de la fixité des actifs et d’autres objectifs de l’agriculteur peut empêcher celui- ci de répondre aux signaux du marché suivant les prédictions du comportement rationnel de la théorie économique néoclassique. Ainsi, quand la variation de l’offre par rapport au prix n’est pas forcément positive, le marché peut se retrouver dans des phases de déséquilibre sachant la faible élasticité-prix de la demande pour les produits agricoles (Boussard, 1985a). En outre, les agriculteurs étant généralement plus atomisés que les acheteurs, l’hétérogénéité de la taille de leurs entreprises et des techniques utilisées, peuvent aussi rendre complexe la réponse de l’offre globale à la fluctuation des prix (Boussard, 1986).

I.2.2.4. Théorie économique de la complexité : ajustement complexe