• Aucun résultat trouvé

Coopérative Organic Valley : gestion de l’offre, stabilité des

CHAPITRE V. EFFETS DE L’INSTABILITÉ DES MARCHÉS

V.6. Mini-études de cas

V.6.3. Coopérative Organic Valley : gestion de l’offre, stabilité des

Organic Valley est la plus grande coopérative de lait biologique en Amérique

du Nord. Fondée en 1988 dans l’État de Wisconsin par 7 producteurs, elle compte présentement plus de 1800 membres. Ses membres sont répartis sur l’ensemble du territoire américain comme l’illustre la figure 25.

Figure 25. Localisation des membres d’Organic Valley sur le territoire américain

Source : Auteur, adapté de www.farmers.coop

Cette structure de coordination horizontale a émergé dans un contexte économique difficile pour les entreprises laitières aux États-Unis (Su et Cook, 2013). En effet, les années 1980 ont été caractérisées par la mouvance de la libéralisation des marchés agricoles; la surproduction agricole; des prix laitiers de plus en plus instables; la concentration progressive des transformateurs et des distributeurs, etc (Su, 2016). Ces facteurs ont contribué à la baisse des prix et des marges au niveau de la ferme. Selon Su et Cook (2015) le faible pouvoir de négociation des producteurs avait aussi contribué à la détérioration des prix à la ferme. Ainsi, pour passer à travers cette situation économique difficile et se positionner par rapport à la concentration grandissante des acheteurs, sept fermes laitières avaient pris

78

l’initiative de créer la Cooperative of Regional Organic Producers, communément nommée Organic Valley.

Ce transfert de la production conventionnelle au biologique avait pour but de créer un créneau du marché laitier qui se mettrait à l’abri de la surproduction qui caractérisait le marché du lait conventionnel (Peters, 2009; Novakovic, 2009; Stevenson, 2013). Le prix du lait conventionnel à la ferme est plus instable par rapport à celui du lait biologique dont le coût de production est plus élevé (Butler, 2002; Novakovic et al. 2011; Link, 2012). La figure 26 illustre l’évolution comparée des prix annuels payés aux producteurs pour les deux types de lait.

Figure 26. Évolution des prix annuels à la ferme pour le lait conventionnel et le lait biologique ($/quintal)

Source : Su (2016)

On constate que le prix du lait biologique (organic) a connu une progression constante entre 1989 et 2004. Il est passé d’environ 14 à 17 $ US/quintal. À partir de 2005, cette progression s’est encore améliorée jusqu’en 2008 pour atteindre pratiquement 24 $ US/quintal. Le prix a ensuite baissé entre 2009 et 2010, puis remonté dans l’intervalle de 2010 à 2012 pour se plafonner à 26 $ US/quintal entre 2012 et 2014. Par la suite il bondit à plus

79

de 30 $ US/quintal en 2015. Quant au prix du lait conventionnel, il a été très instable. Il monte dans une année pour immédiatement baisser l’année suivante. Ces grandes fluctuations commencent à partir de 1995. En effet, entre 1995 et 2015, il est passé de quasiment de 12 à 16 $ US/quintal. Ses hausses les plus importantes sont enregistrées en 2007 (18 $ US/quintal), en 2011 (19 $ US/quintal) et en 2014 (23 $ US/quintal). Sa plus grande baisse a été celle de 2009, soit 12 $ US/quintal.

Pour les producteurs de la coopérative Organic Valley, la croissance de la demande n’a pas suffi à maintenir cette progression du prix du lait biologique. Quoique cette demande ait augmenté annuellement aux États- Unis, la gestion de l’offre a été une stratégie clé pour contrer les fluctuations des prix et des marges (Organic Valley, 2014). En effet, étant un des deux joueurs importants de l’industrie laitière biologique, Organic Valley utilise un système du contrôle de l’offre avec ses membres afin d’assurer une production stable et prévisible, mais aussi des prix stables dans l’année qui reflètent le coût de production et la rémunération des facteurs de production (Peters, 2009; Stevenson, 2013). Il ne s’agit pas du système de contingentement de l’offre à la canadienne, mais d’une stratégie privée et ponctuelle du plafonnement de la production afin d’assurer que l’offre de lait suive la tendance de la demande sur une base annuelle (Peters, 2009). La coopérative assure le transport du lait en chargeant des frais transports équivalents à chaque producteur et pratique un prix unique de référence suivant les régions ou les bassins de production (Su et Cook, 2015). De plus, elle n’admet des nouveaux membres que si la production des anciens ne parvient plus à répondre à la croissance de la demande (Organic Valley, 2014). Quand celle-ci baisse, l’imposition d’un quota de production entre en jeu. Elle est ensuite relâchée quand les conditions du marché le permettent. Le prix à payer aux producteurs est déterminé collectivement sur une base annuelle en fonction du coût de production et d’un retour sur les investissements (Organic Valley, 2014; Su et Cook, 2015). Comparativement

80

à une autre grande coopérative américaine, Horizon Organic, qui est aussi un grand compétiteur sur le marché du lait biologique et qui n’utilise pas la gestion de l’offre, Organic Valley paie mieux ses membres. En effet, la figure 27 indique qu’Organic Valley a offert à ses membres un meilleur prix ($ US/quintal) entre 2007 et 2013. On remarque d’abord que les prix payés par les deux coopératives sont stables durant cette période. Celui de la coopérative Horizon Organic a haussé entre 2007 et 2008, mais il est resté le même durant les années subséquentes. Le prix d’Organic Valley a un peu fluctué entre 2007 et 2009; puis entre 2011 et 2012. Il est resté le même dans l’intervalle de 2009 à 2011. À noter qu’il demeure supérieur à celui de sa concurrente Horizon Organic sur toute la période de 2007 à 2013, soit une moyenne 27,8 $ US contre 24,9 $ US par quintal. La différence entre les deux prix s’est accrue entre 2007 et 2008. Elle s’est établie à environ 3.7 $/quintal durant cette période de la flambée des cours agricoles internationaux. À cause de l’abondance de l’offre due à la surproduction du lait, occasionnée par la réaction des producteurs aux prix de 2007 et 2008, cette différence a diminué à partir de 2008 pour s’évaluer à environ 2.2 $/quintal (Doyon, 2011). Après sa stagnation entre 2009 et 2011, elle a rebondi pour se plafonner à 3.8 $/quintal entre 2012 et 2013. Sur 7 ans, la moyenne de cette différence a été de 2,9 $ US par quintal à l’avantage des membres de la coopérative Organic Valley.

81

Figure 27. Comparaison du prix du lait biologique entre Organic Valley et Horizon (2007-2013)

Source : Auteur, adapté de Su et Cook (2015) et https://www.organicvalley.coop/ Somme toute, ce cas de la coopérative Organic Valley illustre le bénéfice et le succès d’une forme de coordination horizontale entre les producteurs agricoles dans un contexte de la volatilité du prix du lait. La production du lait biologique est plus risquée que celle du lait conventionnel parce qu’elle présente généralement des coûts élevés pour de faibles rendements (Butler, 2002). La conversion et la survie dans la production sont encouragées par des prix prévisibles et avantageux (Peters, 2009; McCroy et Parsons, 2013a; 2013b). Avec des prix stables, les producteurs laitiers peuvent vivre de leur travail et assurer leur relève quand c’est possible (Stevenson, 2013). Il y a donc une interdépendance entre la stabilité des prix et la durabilité économique des entreprises laitières biologiques (Su et Cook, 2015). Une coordination horizontale par le contrôle de la production peut être un des moyens pouvant garantir cette stabilité en rapprochant le prix du coût de production (Organic Valley, 2014). Sans cette stabilité des prix, l’industrie laitière biologique américaine n’aurait pas connu la croissance des investissements et la conversion des producteurs à ce type de production risqué (Su, Brown et Cook, 2013). Dans le contexte canadien, Gunjall et Legault (1995) et Doyon, Tamini et Zan (2014) ont trouvé que le contrôle de

82

la production, en minimisant le risque par des prix stables, a permis aux producteurs de lait et des œufs d’investir afin de développer des créneaux de production qui comportent plus de risque comparativement aux modes de production conventionnels. En Europe, Hanisch et al. (2012) et Hanisch, Rommel et Müller (2013) ont aussi souligné le rôle des coopératives dans la stabilisation des prix à la ferme dans le contexte la volatilité des marchés laitiers.