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Effets sur les investissements

CHAPITRE V. EFFETS DE L’INSTABILITÉ DES MARCHÉS

V.4. Effets sur les investissements

Si l’on considère que les marchés agricoles sont uniquement perturbés par les aléas naturels, une des solutions à l’instabilité de l’offre agricole serait de moderniser les structures de production y compris ceux de la commercialisation des produits agricoles (Galtier, 2009). Cette modernisation des infrastructures agricoles rendrait la production moins sensible aux facteurs climatiques et sanitaires (Gérard, Piketty et Boussard, 2013). Dans un contexte où les prix sont moins fluctuants et garantissent une rémunération adéquate des facteurs de production, les agriculteurs seraient portés à accroître les investissements productifs à long terme (Dawe, 2001). Les améliorations de la régie d’élevage, des techniques au champ, des systèmes d’irrigation, du contrôle des maladies et de ravageurs, de la capacité de stockage et de la logistique de la distribution, nécessitent des investissements. Or, ceux-ci sont réactifs au risque associé à l’instabilité des prix (Galtier, 2009).

Les travaux théoriques d’Arrow (1968), d’Arrow et Fisher (1974) et d’Henry (1974) ont considéré le cas où l’incertitude retarderait un investissement irréversible y compris le cas où la réversibilité d’un investissement aurait un

Auteurs Effet de l'instabilité des prix

sur les décisions de production

Effet de la stabilité des prix sur les décisions de production

Lin (1977) Négatif -

Hurt et Garcia (1982) Négatif -

Chavas et Holt (1990) Négatif -

Holt et Moschini (1992) Négatif

Guillaumont et Bonjean (1991) Négatif -

Holt (1993) Positif -

Araujo (1995) Négatif Positif

Aadland et Bailey (2001) Positif -

Mbaga et Coyle (2003) Négatif -

Subervie (2007) Négatif -

Aimin (2010) Négatif Positif

Rezitis et Stravropoulos (2008, 2010) Négatif -

Rude et Surry (2013) Négatif -

Doyon, Lota et Zan (2014) - Positif

Segdhy, Lota et Lambert (2016) Négtif Positif

Segdhy (2016) Négatif Positif

Café Riz, maïs et coton

Maïs et soya Porc Œufs Type de production Blé Bœuf Porc-naisseur Porc et Agneau Végétal Animal et végétal Porc Porc Maïs Bœuf Bœuf

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coût élevé. Cette irréversibilité est potentiellement liée à la plupart des décisions d'investissement. Elle comprend l'impossibilité physique de désinvestir et de reconstituer les réserves d'une ressource non renouvelable, mais aussi une dépense irrécupérable (Bourdieu, Coeuré et Sédillot, 1997). Dans pareille situation, l’entreprise reporterait ses investissements afin de réunir plus d’informations sur le prix de l’output qui devrait assurer la rentabilité du projet. Ce délai stratégique pourrait encore se rallonger quand il s’agit de faire le choix d’investir entre deux technologies pour la fabrication d’un bien dont le prix est incertain (Dias, Rocha et Teixeira, 2004; Décamps, Mariotti et Villeneuve, 2006; Bobtcheff et Villeneuve, 2010). L’investissement dans la technologie la plus rentable dépendra de l’information sur la variabilité du prix de l’output comme l’indique la figure 11.

Figure 11. Stratégie d’investissement irréversible en présence d’incertitude

Source : Adaptation de Bobtcheff et Villeneuve, 2010.

L’entreprise attendrait que le prix p*1 se révèle au cas où le prix actuel ne

rentabiliserait pas son projet. Par contre, elle investirait pour le projet à

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À ce stade, elle attendrait encore d’autres informations pour devoir franchir la région d’indifférence entre ses deux projets. Au cas où le prix de son

output varierait entre pA et pB, l’entreprise investirait pour le projet à

rendement élevé. Bref, son investissement serait à chaque fois retardé suivant l’incertitude sur le prix de l’output. En d’autres mots, l’incertitude causée par des prix instables entraîne celle du profit et lorsque les choix d’investissement sont irrévocables, il peut être avantageux pour les entreprises de retarder leur décision afin de recueillir plus d’information sur les états futurs (Bourdieu, Coeuré et Sédillot, 1997). « Ce constat très simple peut modifier de manière importante le seuil de rendement requis pour investir, mais également la dynamique de l'accumulation du capital et la valorisation des entreprises par le marché » (Bourdieu, Coeuré et Sédillot, 1997, p. 23)

Les résultats des études empiriques concernant les effets de l’instabilité sur les investissements agricoles sont tributaires des hypothèses faites sur le comportement de la firme ou du producteur. Dans la majorité de cas, ils indiquent que le risque et l’incertitude sur les prix des intrants et/ou des extrants peuvent retarder ou réduire les projets d’investissement surtout quand ils sont irréversibles. Au niveau de la production animale, Purvis et al. (1995) ont étudié le comportement des fermes laitières au Texas face à l’incertitude des prix et à l’irréversibilité de l’investissement pour les étables en stabulation libre. Ils ont trouvé que l’incertitude de la rentabilité et l’irréversibilité des investissements étaient des obstacles pour l’adoption de cette régie d’élevage bien qu’elle puisse améliorer la productivité tout en réduisant de la pollution. Gunjall et Legault (1995), en comparant le degré de l’aversion au risque entre les producteurs porcins et laitiers au Québec, suggèrent que l’augmentation du niveau d’investissement se présentait moins risquant pour le secteur laitier où la stabilité des revenus est assurée. De la sorte, la stabilité du mécanisme de la gestion de l’offre faciliterait, plus que dans le secteur porcin, les investissements qui comportent un certain

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niveau de risque. Mbaga et Coyle (2003) ont trouvé que la variabilité du prix du bœuf réduisait l’investissement dans cette industrie. Aussi, Rude et Surry (2014) ont mis à jour la réponse de l’offre en situation d’incertitude pour les secteurs porcins d’Alberta, de Manitoba, de l’Ontario et de Québec. Leurs résultats concluent que le risque lié à l’instabilité du prix du porc a peu d’effet négatif sur l’offre des producteurs ; par contre, la variabilité du prix des aliments a un impact négatif plus important. Pour leur part, Doyon, Tamini et Zan (2014) ont montré que la stabilité des prix au niveau du secteur des œufs de consommation au Canada permettait aux producteurs d’investir pour les œufs de spécialité alors qu’il s’agit d’un mode production risqué. En effet, à l’aide d’une approche de programmation quadratique appliquée au modèle "moyenne-variance espérée", les auteurs soutiennent que le choix optimal serait, pour les producteurs, de se consacrer à l’élevage conventionnel puisqu’il est moins risqué. Pourtant, bien qu’averses au risque, ces producteurs optent pour les œufs de spécialité (Doyon, Tamini et Zan, 2014)

Au niveau de la production végétale, Price et Wetzstein (1999) ont trouvé que l’incertitude sur la rentabilité de la production des pêches en Georgie, due à l’incertitude du rendement et du prix, retardait l’entrée et les investissements des nouveaux agriculteurs dans la production. Baerenklau et Knapp (2007), à l’aide d’un modèle dynamique de l’adoption technologique, ont conclu que l’incertitude affectait négativement l’investissement optimal dans la production du coton en Californie. Subervie (2007) a affirmé que la volatilité des prix agricoles internationaux constitue un frein pour les investissements agricoles dans les pays en voie de développement. Aimin (2010), a trouvé que le risque causé par l’instabilité des prix pouvait freiner l’adoption des nouvelles technologies dans la production végétale. Ainsi, comme Gunjall et Legault (1995), ces auteurs suggèrent qu’en minimisant le risque, la stabilité des prix garantie par la

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gestion de l’offre permet aux producteurs d’investir afin de satisfaire la demande des consommateurs.

Tableau 3. Quelques études sur l’effet de l’instabilité du prix sur l’investissement et l’innovation

Source : Auteur, à partir de la revue de littérature