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CHAPITRE V. EFFETS DE L’INSTABILITÉ DES MARCHÉS

V.3. Effets sur l’offre agricole

En brouillant l’information, l’instabilité des prix génère le risque et l’incertitude (Antonovitz et Green, 1990). Elle incite les producteurs averses au risque à faire une prévision pessimiste sur les prix futurs (Boussard, 1991). L’assurance que ces producteurs paient pour se protéger contre le risque, ou la prime de risque qu’ils prélèvent sur les consommateurs lorsque l’assurance n’existe pas, équivaut à cette diminution du prix dont la grandeur est subjective (Boussard, 1991). Dans la figure 9, Araujo-Bonjean et Boussard (1999) montrent comment un producteur se comporterait en présence du risque ou de l’incertitude. Dans ce schéma, l’optimum du producteur se situe au point d’intersection entre le prix P* et la quantité Q*. Dans cet environnement d’échange sans risque, le prix est égal au coût marginal.

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Figure 9. Comportement du producteur agricole en présence du risque

Source : Araujo-Bonjean et Boussard (1999)

Cependant, dans un contexte de risque, l’agriculteur choisit une quantité espérée qui est Qe en anticipant une diminution du prix futur. Cette nouvelle quantité lui permet d’égaliser son coût marginal avec l'équivalent certain d’un prix moyen à la baisse qui serait inférieur au prix d’équilibre. La différence entre le prix d’équilibre et l’équivalent certain d’un prix moyen subjectif constitue sa prime de risque. Celle-ci sera ajoutée au coût marginal de départ pour obtenir sa courbe d'offre. De ce fait, l'équilibre ne sera plus à l’intersection Q* et P*, mais plutôt au croisement de la quantité espérée (Qe) et du prix espéré (Pe). La quantité offerte Qe est plus faible que la quantité de départ Q* ; le prix espéré est plus élevé que le prix de départ Q* (Bonjean et Boussard, 1999). Ainsi, l’offre du producteur sera réduite et le prix plus élevé. Au niveau du marché, c’est le même raisonnement qui peut être reconduit avec la figure 10. En situation de certitude, l’objectif des producteurs est la maximisation du profit. Ils l’optimisent à l’intersection de la courbe d’offre et celle de la demande qui correspond au point d’équilibre E (P*, Q*).

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Figure 10. Réduction de l’offre agricole dans un marché en présence du risque

Source : Boussard, 1991

Cependant, quand la décision de produire devient risquée, les prévisions des

producteurs se font sur la base du prix équivalent certain P~, c’est-à-dire un

prix diminué d’une prime de risque et qui est inférieur au prix d’équilibre P* (Boussard, 1991). Ainsi, le risque entraîne pour les producteurs un glissement de la courbe demande du marché vers la gauche. On a alors une nouvelle courbe de demande dite apparente (Boussard, 1991). Par

conséquent, un nouvel équilibre s’établit avec une quantité produite Q^,

inférieure à la quantité Q* et le prix P^, supérieur au prix P* (Boussard,

1991). Autrement dit, l’offre agricole est réduite en situation de risque et le

profit des agriculteurs s’améliore d’une valeur équivalente à l’écart entre P^

et P*. En plus, les agriculteurs économiseraient le coût qu’il aurait fallu

supporter pour augmenter la production de Q^ à Q* (Boussard, 1991).

Les études empiriques sur la réponse de l’offre agricole en situation d’incertitude des prix font souvent l’hypothèse de l'aversion au risque des exploitants agricoles (Wauters et al., 2014). Ces travaux s’inspirent de la théorie de la firme en présence d’incertitude qui été développé par les économistes en dehors du secteur agricole. Il s’agit de la généralisation de

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la théorie néoclassique de la production, qui repose sur l’hypothèse de la maximisation de l’utilité espérée, en présence de l’incertitude du prix et de l’aversion au risque. Sandmo (1971), Batra et Ullah (1974), Hartman (1975) et Ishii (1977) ont montré qu'une entreprise averse au risque produit moins en présence du risque de prix. En outre, ils ont aussi indiqué qu'une augmentation de l'incertitude des prix est associée à un niveau de production réduit.

Pour le secteur de la production animale, Hurt et Garcia (1982) ont estimé une élasticité de la production porcine d’environ -0.5 pour les entreprises de type naisseur entre 1967 et1978 aux États-Unis. Holt et Aradhyula (1990) ont obtenu une élasticité de l’offre de -0.045 dans la période de 1967 à 1986 pour le secteur du poulet américain. Mbaga et Coyle (2003) ont affirmé, par un modèle dynamique de l’offre, que la variance du prix du bœuf et l’aversion au risque avaient un effet négatif sur la production. En outre, Rezitis et Stavropoulos (2008 ; 2010a ; 2010b) ont constaté que les prix des intrants étaient un élément important de la réponse de la fonction de l’offre et que la hausse de l’incertitude du prix empêchait l’expansion du secteur porcin et du secteur du poulet en Grèce. Rude et Surry (2013) ont conclu que la volatilité du prix du porc et celle des aliments influencent négativement la production porcine. Toutefois, le risque lié au prix des aliments avait plus d’effet négatif que celui lié au prix du porc. Segdhy,

Tamini et Lambert (2016) en examinant l'offre du maïs et l'effet de la

prévisibilité de son prix au Québec, arrivent à la conclusion que des prix prévisibles permettent aux agriculteurs de bien planifier leur production. Ainsi, la volatilité du prix du maïs est le vecteur le plus important du risque pour le producteur québécois du maïs-grain. De plus, Segdhy (2016) estime que la volatilité des prix dans les secteurs porcin et ovin génère le risque de la production.

Dans le secteur de la production végétale, Lin (1977) a trouvé que la réponse de l’offre du blé par rapport à la variabilité des prix était d’environ -0.06 au

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Kansas entre les années 50 et 70. Chavas et Holt (1990) ont étudié l’allocation des surfaces entre la production du maïs et du soja aux États- Unis dans un contexte d’incertitude des prix et des rendements. Sur la base des hypothèses de la théorie de l’utilité espérée, ils sont arrivés à la conclusion que la variabilité des prix joue un rôle important dans l’arbitrage entre la production du maïs et celle du soja. Guillaumont et Bonjean (1991) ont aussi montré qu’en situation d’instabilité des prix du café, les producteurs pouvaient volontairement geler une partie de la superficie de leurs champs ou réduire leur production. Holt et Moschini (1992) ont conclu que la variabilité des prix avait un effet négatif sur la réponse des producteurs porcins du type naisseur. Araujo (1995) a trouvé qu’au Brésil, la réponse de l’offre des agriculteurs était négative dans la région Nord-Est, où les prix du riz et du maïs étaient plus instables, mais positive dans la région Centre-Sud avec des prix stables pour le coton. (Araujo, 1995). Chavas et Holt (1996) ont estimé une réponse de l’offre du blé aux États- Unis d’environ -0.033. Subervie (2007) a étudié l'effet de l'instabilité des prix mondiaux sur l'offre des agriculteurs des pays en développement. Elle conclut que, malgré la réponse variable de l'offre agricole suivant les pays, l’instabilité des prix mondiaux a un effet négatif et significatif sur l’offre agricole. Aimin (2010) a indiqué que l’instabilité des prix incitait les producteurs à se consacrer davantage aux cultures intercalaires tout en réduisant la proportion du produit dont le prix est très volatil.

Par ailleurs, contrairement aux études indiquant l’effet négatif de l’instabilité des prix sur l’offre agricole, les résultats de Holt (1993) soutiennent que les producteurs de bœuf aux États-Unis avaient à court terme une élasticité de l’offre positive en dépit du risque de prix. De même, Aadland et Bailey (2001) ont trouvé une réponse de l’offre positive pour les éleveurs de bovins aux États-Unis.

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Tableau 2. Quelques études sur l’effet de l’instabilité des prix agricoles

Source : Auteur, à partir de la littérature agroéconomique