• Aucun résultat trouvé

3. De la communication persuasive à la communication engageante

3.2 La soumission librement consentie

La littérature scientifique nous renseigne, d’un autre côté, sur des techniques d’influence susceptibles de déboucher sur les changements de comportement attendu (e. g. Joule, 2006). D’un point de vue pratique, le paradigme de la sou-mission librement consentiepeut être défini comme l’étude des procédures sus-ceptibles d’amener autrui à modifier librement ses comportements. Dans ce pa-radigme le changement passe par la réalisation d’actes préparatoires (un petit pas dans la bonne direction : mettre un autocollant sur le pare brise de sa voi-ture, par exemple) et des actes d’engagement (par exemple : signer une charte, signer un formulaire d’engagement). De nombreuses recherches montrent tout l’intérêt qu’il y a à obtenir des engagements précis de la part de celles et de ceux dont ont souhaitent modifier durablement les comportements (Girandola, 2005 ; Kiesler, 1971 ; Roussiau & Girandola, 2002 ; Girandola & Roussiau, 2003 ; Katzev & Wang, 1994 ; Joule, Bernard, Halimi-Falkowicz, 2008). Comment en-gager une personne dans ses actes ou un acte préparatoire ? La manipulation de la variable engagement, selon Joule et Beauvois (1998), peut s’effectuer en tablant sur différents facteurs. Nous regrouperons ces facteurs dans deux caté-gories. La première catégorie concerne les caractéristiques de l’acte : 1/Le carac-tère public de l’acte. Un acte réalisé publiquement est plus engageant qu’un acte anonyme. 2/Le caractère explicite de l’acte: un acte explicite est plus engageant qu’un acte ambigu. 3/L’irrévocabilité de l’acte: un acte irrévocable est plus enga-geant qu’un acte révocable. 4/La répétition de l’acte: un acte que l’on répète est plus engageant qu’un acte qu’on ne réalise qu’une fois. 5/Les conséquences de l’acte: un acte est plus engageant lorsqu’il est lourd de conséquences réelles ou prévisibles. 6/Le coût de l’acte: un acte est engageant lorsqu’il est coûteux en argent, en temps, en énergie.

La seconde catégorie concerne les caractéristiques du contexte dans lequel l’acte est réalisé, ce contexte pouvant doter le sujet de raisons externes ou de raisons internes. Les raisons externes désengagent, contrairement aux raisons in-ternes qui engagent. En effet, les raisons exin-ternes (promesses de récompenses, menaces de punitions) distendent le lien entre un individu et ses acte, alors que les raisons internes (« je me suis comporté librement »,« c’est dans ma nature d’avoir fait ce que j’ai fait »le resserre. Les théoriciens de l’engagement tiennent, d’ailleurs, la déclaration de liberté (« c’est à vous de décider »,« vous êtes libre d’ac-cepter ou de refuser », etc.) pour le principal facteur d’engagement. Il est égale-ment bien établi que des phrases comme« cela ne m’étonne pas de vous, c’est dans votre nature »ou encore comme« vous êtes quelqu’un de serviable »,« vous

êtes quelqu’un d’honnête », vont favoriser l’établissement d’un lien entre l’indivi-du et ses actes.

a) Le principe du pied-dans-la-porte

Le pied-dans-la-porte est la procédure de soumission librement consentie qui a donné lieu au plus grand nombre de recherches (pour une revue : Burger, 1999). Son principe revient à demander peu (acte préparatoire) avant de de-mander davantage (comportement attendu). Dans une de leurs expérimenta-tions, Freedman et Fraser (1966) demandent d’abord à des ménagères de ré-pondre, sous le couvert d’une enquête téléphonique, à quelques questions anodines, sur leurs habitudes de consommation (acte préparatoire). Quelques jours plus tard, les ménagères reçoivent un nouvel appel téléphonique, on leur demande, cette fois, de bien vouloir recevoir chez elles, deux heures durant, une équipe de plusieurs enquêteurs (comportement attendu). En procédant ainsi, Freedman et Fraser constatèrent que leurs chances de voir accepter cette requête particulièrement coûteuse étaient deux fois plus fortes (52% d’accepta-tion) que dans la condition contrôle dans laquelle les ménagères n’avaient pas été préalablement sollicitées pour participer à l’enquête téléphonique (22%

d’acceptation). S’il convient, ici, de parler de soumission, dans la mesure où spontanément les ménagères se seraient comportées tout autrement, c’est bien d’une soumission librement consentie dont il s’agit (Joule & Beauvois, 1998), celles-ci en arrivant à faire librement, précisément, ce qu’on attend d’elle. Prises dans leur ensemble, les recherches conduites dans le paradigme de la sou-mission librement consentie montrent que l’on a plus de chance d’obtenir les changements comportementaux attendus lorsque les arguments persuasifs que l’on avance (ou les informations que l’on diffuse) ont été précédés par l’ob-tention d’un acte préparatoire, pour peu que cet acte préparatoire ait été réalisé dans un contexte d’engagement (voirinfra). Tout se passe comme si, la réalisa-tion d’un acte préparatoire rendait les personnes plus sensibles aux arguments ou aux informations ultérieurement diffusés dans le message persuasif. Sur la base de la méta analyse de Burger (1999) certaines caractéristiques affectant l’efficacité de l’acte préparatoire peuvent être dégagées. Pour être efficace, l’acte préparatoire doit être effectivement réalisé. Il doit avoir un certain coût. L’acte préparatoire et le comportement attendu doivent relever de la même identifica-tion de l’acidentifica-tion. L’acte préparatoire ne doit pas être lié à une compensaidentifica-tion fi-nancière, et de façon plus générale, à des promesses de récompenses. Ainsi, l’acte préparatoire doit-il être obtenu dans des conditions telles que celui qui le réalise ne puisse expliquer la réalisation de cet acte que par des facteurs in-ternes (e. g. ses goûts, ses convictions, ses attitudes), à l’exclusion de tous fac-teurs externes (e. g., pressions situationnelles, promesses de récompense ou menaces de punition).

b) Pied-dans-la-porte et don d’organes

S’agissant de don d’organe en tablant sur des actes préparatoires, les cher-cheurs sont parvenus à modifier les comportements : signer une carte de don-neur. Carducci et Deuser (1984) ont utilisé un pied dans la porte afin d’inciter des étudiants à devenir donneurs d’organe après leur mort. Dans un premier temps, il était demandé à certains étudiants de répondre à 20 questions sur ce thème tandis que d’autres assistaient à une conférence sur le don d’organes.

Dans un second temps, l’intention des sujets à devenir donneurs était recueillie sur une échelle allant de 0 à 100. La condition dans laquelle les sujets répon-daient à 20 questions se différencie de la condition persuasion, les sujets ayant davantage l’intention de devenir donneur d’organes dans la première condi-tion que dans la seconde. Plus récemment, Girandola (2002) a manipulé le délai entre les 2 requêtes et le nombre d’expérimentateurs. Il observe une augmenta-tion de l’intenaugmenta-tion de devenir donneur quand 2 personnes formulent la requête initiale (répondre à 5 questions) et la requête finale (se positionner sur une échelle sur l’intention de devenir donneur d’organes), et ceci quelque soit le dé-lai, ainsi que lorsque la même personne présente les 2 requêtes mais avec un délai entre les 2 requêtes (en fait un délai de 3 jours).

Eyssartier, Joule et Guimelli (2007) ont montré que l’on pouvait augmenter significativement la probabilité que des personnes signent une carte de donneur en obtenant préalablement un acte préparatoire : signer une pétition en faveur du don d’organes ou encore, rédiger des arguments susceptibles de convaincre un ami de signer un acte de donneur d’organes. Dans cette étude ces chercheurs se sont aussi intéressés à la représentation sociale que la personne cible pouvait avoir de l’objet sur lequel portent l’acte préparatoire et l’acte attendu. Une des caractéristiques essentielles des représentations sociales consiste dans le fait qu’elles constituent, selon Moscovici (1961) un guide pour l’action. Autrement dit, elles sont susceptibles d’orienter les comportements dans un sens plutôt que dans un autre. Il est donc raisonnable de penser que la probabilité d’occur-rence d’un comportement prédit par la théorie de l’engagement puisse être af-fectée par les représentations sociales. Ainsi, l’étude des représentations sociales aide à identifier les actes préparatoires les mieux à même de déboucher sur les comportements recherchés (Eyssartier, Joule et Guimelli, 2009). Les actes pré-paratoires activant des éléments importants ou centraux de la représentation sociale du don d’organes (par exemple,« faire don de soi ») seraient plus effi-caces que ceux activant des éléments moins importants ou périphériques (par exemple,« sauver des vies ») de cette même représentation. Une hypothèse prin-cipale est mise à l’épreuve dans le paradigme du pied dans la porte : des sujets ayant réalisé un acte préparatoire (signer une pétition) ayant trait à un élément central ou important de la représentation du don d’organes seront plus enclins à accepter la requête finale (signer une carte de donneur). Dans un premier temps les sujets étaient invités à signer une pétition dont l’accroche variait en fonction

de l’élément central vs. périphérique de la représentation que l’on souhait acti-ver. Dans un second temps, il leur était demandé de signer une carte de donneur (mesure comportementale) envers le don d’organe.

Nombre et pourcentage d’individus ayant signé une carte de donneur d’or-ganes en fonction de la centralité ou de la périphérie de l’élément activé de la représentation sociale du don d’organes (d’après Eyssartier, Joule et Guimelli, 2007)

Les résultats montrent que les sujets sont plus enclins à signer une carte de donneur lorsque l’acte préparatoire est fondé sur les éléments centraux de la représentation du don d’organes que lorsqu’il est fondé sur les éléments péri-phériques. Cet effet est observé lorsqu’on oppose globalement les conditions avec activation d’un élément central aux conditions avec activation d’un élé-ment périphérique. En effet, les individus des trois conditions dans lesquelles un élément central est activé, considérés ensemble, sont plus nombreux à si-gner une carte de donneur d’organes que ceux des trois conditions dans les-quelles un élément périphérique a été activé (50 vs. 35%). Il semble donc que les représentations soient susceptibles de fournir un axe de référence permet-tant d’avancer dans la compréhension des effets comportementaux observés dans certaine situations de soumission librement consentie comme celle du pied dans la porte.

Dans la même veine Marouane, Souchet et Girandola (2009) ont utilisé un double-pied-dans-la-porte prenant appui sur la réalisation de deux actes pré-paratoires (Goldman, Creason et McCall, 1981) et non plus d’un seul comme dans le pied-dans-la-porte classique. Le premier acte préparatoire consistait à remplir un argumentaire sur le don d’organes portant soit sur un élément cen-tral (e. g.« le don d’organe c’est faire un don de soi ») soit sur un élément périphé-rique (e. g.« le don d’organe c’est sauver des vies »). Un second acte préparatoire concernait la signature d’une pétition dont l’accroche portait soit sur un élé-ment central (« Nous demandons au ministre de la santé le financeélé-ment d’une campa-gne de sensibilisation visant à convaincre l’ensemble de la population de l’importance de signer une carte de donneur d’organes ca donner ses organes, c’est faire don de soi ») soit sur un élément périphérique de la représentation (« Nous demandons au mi-nistre de la santé le financement d’une campagne de sensibilisation visant à convaincre l’ensemble de la population de l’importance de signer une carte de donneur d’organes

ca donner ses organes, c’est faire reculer la mort »). Les personnes devaient ensuite donner leur accord pour signer une carte de donneur d’organes. L’expérience testait l’efficacité d’un pied dans la porte comparée à un double pied dans la porte. Les résultats obtenus, sans toutefois être significatifs, montrent que ce sont les personnes placées dans la condition double-pied-dans-la-porte avec activation d’éléments centraux qui acceptent en plus grand nombre (80%) la signature d’une carte de donneur comparativement à celles placées dans la condition pied-dans-la-porte simple avec activation d’un élément central par argumentation (65% d’acceptation) ou par pétition (65% d’acceptation). Les taux d’acceptation obtenus en situation de simple pied-dans-la-porte-et de double-pied-dans-la-porte diffèrent significativement du groupe contrôle (20%

d’acceptation).