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Le principe : la liberté de donner ou non ses organes opposée au droit à la vie et à la santé du receveur

campagnes d’information pour mieux respecter le droit à la vie des receveurs

2. Le principe : la liberté de donner ou non ses organes opposée au droit à la vie et à la santé du receveur

Chacun est libre de donner ou non ses organes. L’Etat ne peut pas contraindre juridiquement un individu à donner ses organes, tant de son vivant qu’après sa mort, que ce soit par une opération forcée ou la menace de sanctions pénales.

Le Tribunal fédéral a eu l’occasion de préciser ce point depuis 1972 déjà dans le développement d’une jurisprudence de 1919 jugeant que la protection de la

8 Voir art. 61 al. 1erde la loi fédérale sur la transplantation (RS 810.21).

9 Art. 35 al. 2 Cst.

10 Jai abordé ailleurs la question du recours aux émotions et aux techniques de psychologie sociale dans ces cas de figure (Alexandre Flückiger, « Pourquoi respectons-nous la soft law ? Le rôle des émotions et des techniques de manipulation »,Revue européenne des sciences sociales, Tome XLVII, 2009, No144, p. 93 [approche anticipée des proches], p. 95 [empathie], p. 95 ss [techniques de manipulation]).

personnalité ne cessait pas avec la mort d’une personne11. Le donneur potentiel peut se prévaloir de la protection de sa dignité humaine (art. 7 Cst.), de son droit à la vie, notamment en rapport avec la détermination sûre du décès pour le donneur cadavérique (art. 10 al. 1er Cst.), de sa liberté personnelle, notam-ment son intégrité physique et psychique (art. 10 al. 2 Cst.) et de sa liberté de conscience et de croyance (art. 15 Cst.), en particulier du droit de se forger librement ses convictions philosophiques (art. 15 al. 2 Cst.) notamment12.

La liberté de donner ou non ses organes n’est cependant pas absolue. Selon le Tribunal fédéral le droit de disposer librement de sa dépouille ne fait en effet pas partie de l’essence d’un droit fondamental au sens de l’article 36 al. 4 Cst.13 Classiquement dès lors dans le domaine des droits de l’homme, le droit à la libre disposition de sa dépouille être mis en balance avec les intérêts opposés du patient en attente d’une greffe dont la vie ou la guérison dépendent ; les progrès médicaux ont en effet conduit à créer un état de tension entre des inté-rêts privés opposés : ceux des uns à disposer librement de leur dépouille après leur mort et ceux des autres à être sauvés ou soignés14. Cette prise en compte des intérêts du receveur participe « de l’intérêt plus général lié au droit à la vie et à l’amélioration des conditions d’existence des malades. »15Dans l’optique du receveur potentiel, le prélèvement d’un organe sur une personne décédée constitue selon le Tribunal fédéral « une mesure nécessaire [...] à la protection de sa « santé», et à la protection de ses « droits » et « libertés », à commencer– s’il est en danger de mort–par son droit à la vie et son droit à jouir du meilleur état de santé physique ou mentale qu’il soit capable d’atteindre »16. Le receveur peut ainsi faire valoir, toujours selon le Tribunal fédéral, son droit à la vie tant au sens de l’article 2 al. 1erCEDH (« Le droit de toute personne à la vie est pro-tégé par la loi. ») que de l’article 10 al. 1erCst. (« Tout être humain a droit à la vie ») de même que son droit « de jouir du meilleur état de santé physique et mentale [qu’il] soit capable d’atteindre » (art. 12 al. 1erdu Pacte international re-latif aux droits économiques, sociaux et culturels [Pacte ONU I]17), la Suisse s’étant engagée sur ce dernier point à créer des « conditions propres à assu-rer à tous des services médicaux et une aide médicale en cas de maladie » (art. 12 al. 2 let. d Pacte ONU I)18. LaConvention sur les droits de l’homme et la

11 ATF 98 Ia 508, 522.

12 On peut en particulier rajouter le droit à la vie et la santé pour le donneur vivant.

13 ATF 98 Ia 508, 523.

14 ATF 98 Ia 508, 524.

15 ATF 123 I 112, 136.

16 ATF 123 I 112, 138.

17 RS 0.103.1.

18 Voir Olivier Guillod / Dominique Sprumont, « Le droit à la santé: un droit en émergence »,De la Consti-tution, Etudes en l’honneur de Jean-François Aubert, Helbling & Lichtenhahn, Bâle et Francfort-sur-le Main, 1996, p. 337-353, 346.

biomédecine19en vigueur en Suisse depuis le 1ernovembre 2008 exige des parties qu’elles « prennent, compte tenu des besoins de santé et des ressources dispo-nibles, les mesures appropriées en vue d’assurer, dans leur sphère de juridic-tion, un accès équitable à des soins de santé de qualité appropriée » (art. 3). Le Protocole additionnel à la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine rela-tif à la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine,en revanche pas en-core en vigueur20, demande pour sa part de garantir « l’existence d’un système permettant l’accès équitable des patients aux services de transplantation » (art. 3 al. 1er), le terme « transplantation » désignant l’ensemble de la procédure comportant tant le prélèvement d’un organe sur une personne que la greffe sur une autre personne (art. 2 al. 4). Le protocole rappelle enfin en préambule que les progrès dans le domaine de la transplantation d’organes et de tissus

« contribuent à sauver des vies humaines ou à en améliorer considérablement la qualité» (3econs.), que « compte tenu de l’insuffisance d’organes et de tissus, des mesures appropriées devraient être prises afin d’en augmenter le don » (5econs.), que la transplantation d’organes et de tissus devrait être effectuée dans des conditions protégeant non seulement les droits et libertés des don-neurs et des dondon-neurs potentiels mais également ceux des receveurs d’organes (8econs.) et que la transplantation d’organes et de tissus en Europe doit s’effec-tuer dans l’intérêt des patients (9e cons.). Enfin, reprenant en cela le mandat constitutionnel (art. 119 al. 1erCst.), laloi fédérale sur la transplantation d’organes, de tissus et de cellulesdu 8 octobre 200421(LTx) a pour but explicite de protéger les droits fondamentaux (dignité humaine [art. 7 Cst.], droit à la vie [art. 10 al. 1erCst.], liberté personnelle, notamment droit à l’intégrité physique et psy-chique [art. 10 al. 2]) et de protéger la santé (art. 1eral. 3 LTx). On mentionnera enfin l’obligation incombant à la Confédération et aux cantons, à titre de but social de l’Etat, de s’engager à ce que « toute personne bénéficie des soins nécessaires à sa santé» (art. 41 al. 1erlet. b Cst.).

La protection des droits fondamentaux du receveur doit donc être prise en compte dans une mesure susceptible de varier selon les conceptions sociales et éthiques du moment et de l’état du développement des connaissances scienti-fiques. Ainsi, dans l’optique du droit à la vie du patient, le Tribunal fédéral s’est même demandé en 1972 si, en rapport avec un ordre de valeur éthique le cas échéant modifié, de telles interventions sur le corps d’un mort pouvaient être compatibles avec la liberté personnelle même contre la volonté de l’in-téressé ou de ses proches. Il a laissé la question ouverte22. Une partie de la

19 Convention du 4 avril 1997 pour la protection des Droits de lHomme et de la dignité de lêtre humain à légard des applications de la biologie et de la médecine (RS 0.810.2).

20 Délai référendaire échu le 1eroctobre 2009 (FF 2009 4007).

21 RS 810.21.

22 ATF 98 Ia 508, 524.

doctrine était ainsi d’avis qu’en cas d’urgence ou de danger de mort du rece-veur, la garantie de la liberté personnelle du receveur devait même l’emporter sur celle du donneur23. Le Tribunal fédéral a tranché la question en 1997 en sens opposé en jugeant que la liberté du receveur ne l’emportait pas sur celle du donneur cadavérique ; le second ayant la priorité24. La loi fédérale sur la trans-plantation a réglé la question en exigeant le consentement explicite de la per-sonne décédée, lui conférant un droit à l’autodétermination (art. 8 al. 1er LTx) ou, en l’absence d’un document attestant la volonté de la personne, le consente-ment explicite des proches (art. 8 al. 2 et 3 LTx). En l’absence de proches ou s’il est impossible de les contacter, le prélèvement est interdit (art. 8 al. 4 LTx). Dans tous les cas, la volonté de la personne décédée prime celle des proches (art. 8 al. 5 LTx). Le législateur a donc opté pour le modèle du consentement au sens large, protégeant mieux les droits des donneurs que ceux des receveurs. Il n’a pas retenu le modèle du consentement présumé (appelé également modèle de l’opposition) qui a théoriquement pour avantage de favoriser la disponibilité d’organes25, c’est-à-dire les droits du receveur. Ces considérations ne valent évi-demment pas pour le donneur vivant qui doit dans tous les cas donner son consentement libre et éclairé par écrit (art. 12 LTx). Ce choix législatif est conforme au droit international, plus précisément auProtocole additionnel à la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine relatif à la transplantation d’or-ganes et de tissus d’origine humaine, tant pour le donneur vivant que pour le dé-cédé. Pour le premier, le consentement doit être « libre, éclairé et spécifique, soit par écrit soit devant une instance officielle » et doit pouvoir être retiré librement à tout moment (art. 13 du Protocole). Pour le second, le Protocole précise que

« des organes ou des tissus ne peuvent être prélevés sur le corps d’une per-sonne décédée que si le consentement ou les autorisations requis par la loi ont été obtenus. Le prélèvement ne doit pas être effectué si la personne décédée s’y était opposée. » (art. 17 du Protocole).

Le Tribunal fédéral avait quant à lui admis par le passé le système du consentement présumé de la personne décédée pour prélever ses organes en vue d’une transplantation, et n’avait pas exigé un consentement exprès, met-tant précisément en balance les droits fondamentaux de chacun ; une prescrip-tion selon laquelle une transplantaprescrip-tion d’organes ne pouvait être exécutée que lorsque ni l’intéressé ni ses proches ne s’y étaient opposés était dès lors conforme à la constitution26. En l’absence de disposition du défunt sur le sort de sa dépouille, le prélèvement d’un organe sans le consentement des parents

23 Andreas Bucher,Personnes physiques et protection de la personnalité, 3eéd., Bâle 1995, no 538 (cité in ATF 123 I 112, 138).

24 ATF 123 I 112, 138.

25 Sur ces différents modèles, voir FF 2002 68 ss.

26 ATF 98 Ia 508, 520 ss.

du donneur avait constitué une atteinte aux droits de la personnalité de ces derniers au sens de l’article 28 CC27. Dans tous les cas, le refus d’exiger un consentement explicite n’était admissible qu’à la condition que les patients et leurs proches aient été correctement informés de leur droit de s’opposer28. Le Tribunal fédéral a précisé par la suite qu’une loi cantonale instituant le système du consentement présumé avec un droit d’opposition de l’intéressé ou de ses proches était conforme à la liberté personnelle à une double condition : une politique d’information de la population devait être mise en place (devoir d’information au sens large) et les proches devaient être informés (devoir d’information au sens étroit)29.

3. Les bases juridiques relatives à l’information