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« consentement de la famille »

5. Méthodologie et résultats

Le groupe de travail a réuni le médecin référent de la structure, les cinq coordi-nateurs/trices et le Pr. Joule. La démarche a comporté deux étapes, un audit préalable des pratiques en cours suivi de l’élaboration et de l’application d’un protocole d’entretien prenant en compte le concept de « communication engageante ».

Une première réunion a permis de faire un «état des lieux » des pratiques et de formaliser les modalités d’entretien des différents coordinateurs. L’objectif était de regrouper les éléments communs et consensuels pour dégager une

»pratique type »et élaborer une première grille d’entretien commune aux coor-dinateurs [Annexe 1]. Le contact direct avec les proches bien que souhaitable étant, pour des raisons structurelles et organisationnelles, difficilement appli-cable, les entretiens ont été réalisés pour l’essentiel par téléphone à partir des locaux de la coordination. Tous les entretiens ont fait l’objet d’un compte-ren-du, certains ont été enregistrés et retranscrits dans leur intégralité. Cette pre-mière version de la grille a été utilisée lors de 36 entretiens « familles » consécu-tifs menés par les cinq membres infirmiers de l’équipe. Le taux d’opposition au prélèvement des cornées a été de 77% (28/36).

Au terme de cette première période, après analyse critique des résultats et prise en compte des propositions du Pr. Joule, le groupe de travail a rédigé une deuxième version [Annexe 2] qui a été utilisée dans des conditions similaires.

En application du principe de « communication engageante », un « acte pré-paratoire engageant » susceptible d’induire un acte de réciprocité a été intro-duit. L’acte préparatoire consistait à proposer à l’interlocuteur une aide pra-tique (démarches administratives, contact avec les pompes funèbres, ...), la question du don de cornées n’étant abordée que secondairement. Parmi les autres améliorations apportées il convient de noter :

– La présentation du coordinateur comme« infirmier coordinateur »pour valo-riser la fonction en l’associant au statut d’infirmier jugé « positivement » par le public. En matière de communication, les caractéristiques de la « source », capital sympathie, crédibilité, influent sur l’efficacité du message.

– La prise en compte de la dimension expressive à travers le timbre de la voix, le débit de la parole.

Soixante entretiens ont été réalisés à l’aide de cette deuxième version, le taux d’opposition au don a été de 65% (39/60).

Conscient que, dans l’ignorance de la position du défunt, les proches ont spontanément tendance à opposer un refus, le groupe de travail a modifié la procédure d’entretien en introduisant un deuxième acte engageant [Annexe 3].

Pour favoriser le processus décisionnel le coordinateur propose au proche de tracer les traits de la personnalité du défunt pour, en l’absence de position connue, savoir qu’elle aurait pu être sa volonté. Les qualités suggérées, être

« généreux » qui « aimait rendre service aux autres », renvoient au proche une image valorisante du défunt incitant à le considérera prioricomme favorable au don.

Soixante neuf entretiens ont été conduits avec un taux de refus de 35%

(24/69).

6. Discussion

Le fait que la conduite d’un entretien selon son ordonnancement et son conte-nu ait une incidence sur l’adhésion de l’interlocuteur est conconte-nu. La rhétorique, art de bien dire afin de convaincre, est enseignée depuis l’antiquité. De même que le personnage du Bourgeois Gentilhomme, monsieur Jourdain, faisait de la prose sans le savoir, un coordinateur recourt inconsciemment à une « straté-gie » pour faciliter le recueil de la position du défunt auprès des proches. La singularité de notre démarche a été, portée par un objectif pragmatique l’augmentation des prélèvements de cornées, de recourir ouvertement à des techniques généralement appliquées dans le secteur de la communication commerciale.

Ce n’est pas sans quelques hésitations et réticences que les membres de la coordination ont initialement accueilli et mis enœuvre ces nouvelles procé-dures doutant de leur efficacité et surtout leur reprochant de ne pas respecter l’autonomie de décision des familles. Certains membres de l’équipe ont eu le sentiment d’orienter les familles et de mettre à l’arrière plan des principes éthiques. De fait, à l’opposé d’une « manipulation », action par laquelle on cherche à influencer l’opinion, les décisions, la conduite d’une personne à son insu, notre démarche affiche clairement ses intentions. En outre, lorsque les proches sont dans l’ignorance de la position du défunt, notre procédure les aide à prendre une décision favorable au don, sachant qu’il est « psycholo-giquement » plus facile d’assumer un « oui » qu’un « non » (Burroughs, 1998).

Pour dissiper les inquiétudes, ce type de démarche doit obligatoirement s’ac-compagner d’un volet d’information et de concertation. Sans doute, faudrait-il élaborer une « charte du coordinateur » définissant les valeurs et principes qui doivent régir ses missions.

7. Conclusion

La conduite de l’entretien apparaît jouer un rôle positif sur l’acceptation, no-tamment lorsque les proches sont dans l’ignorance de la position du défunt.

La réduction du taux de refus observée dans notre étude confirme le bien fondé d’un recours aux techniques de la « communication engageante ».

Bibliographie

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JMARU.

ANNEXE 1

Grille d’entretien : première version

« Je suis bien dans la famille de M ou Mme (nom et prénom)

Je suis M ou Mme ... coordinateur/trice des greffes de l’hôpital de ... . J’ai appris le décès de ... .

Je vous appelle afin de recueillir un témoignage.

Je souhaiterai savoir si M/Mme ... de son vivant avait exprimé une opposition au don de cornée en vue de greffe, pour des patients qui grâce à ce don retrouveront la vue. »

Le défunt était contre :

« Je vous remercie de m’avoir écouté, sa volonté sera respectée.

Toutes nos condoléances. Au revoir madame, monsieur »

Le défunt était pour :

« Il n’y a aucune démarche administrative particulière en ce qui vous concerne. Ce prélèvement se fera au niveau du dépositoire par un chirurgien ophtalmologue de l’hô-pital. Ce prélèvement effectué dans le plus grand respect du défunt, ne se voit pas. Si vous le souhaitez, nous pouvons rester en contact et vous adresser un courrier. Je vous remercie au nom des greffés. Au revoir monsieur, madame. »

Le défunt n’en avait jamais parlé:

« J’ai consulté le registre national des refus en regard de la loi et je sais qu’il n’était pas inscrit. Normalement, un prélèvement de cornée pourrait donc être effectué. Je me per-mets d’insister sur cette démarche, car de nombreuses personnes attendent ce don pour voir ou revoir..

Vous n’avez pas de formalités à faire, cet acte est pratiqué par un médecin dans le plus grand respect du défunt. »

Je préfère en parler à mes proches :

« Prenez le temps d’en parler avec vos proches et si vous le permettez nous vous rappel-lerons un peu plus tard. Sachez que ce prélèvement est effectué dans le plus grand res-pect du défunt et combien notre démarche est important car de nombreuses personnes sont en attente de greffe. Quand souhaitez-vous que je vous rappelle ?»

ANNEXE 2

Grille d’entretien : deuxième version

« Bonjour, Je suis Madame, Monsieur ...,infirmièr(e), coordinateur/trice de greffes à l’hôpital de ... . J’ai appris le décès de votre parent (fils, mère, époux ...). D’abord, je voudrais vous présenter, au nom de l’hôpital ..., et de moi-même, nos sincères condo-léances. Je suis chargé d’aider les personnes qui le souhaitent, dans leurs démarches. »

Introduction d’un acte préparatoire : répondre à quelques questions.

« Avez-vous déjà pris contact avec les pompes funèbres ? Avec le dépositoire ? ... . Avez-vous des souhaits particuliers pour la réintégration ? ... .

Avez-vous d’autres questions à me poser ? ... .

Si vous voulez, je peux vous donner mon numéro de téléphone, vous pouvez me joindre à n’importe quel moment, n’hésitez pas à m’appeler si vous rencontrez quelque difficulté que ce soit. »

Formulation de la demande.

« Comme je vous l’ai dit, je suis infirmièr(e) coordinateur/trice de greffes d’or-ganes,je suis chargé également d’une mission de santé publique : il s’agit de permettre à des personnes qui ne voient plus de retrouver la vue grâce à un don de cornée et donc grâce à la générosité des familles. Avant tout contact avec les familles ma tâche consiste à consulter le RNR afin de connaître la volonté du défunt. M/Mme ... n’est pas inscrit sur ce registre. Normalement, un prélèvement de cornée pourrait être effectué. La cor-née est la petite membrane qui recouvre l’œil, et l’on prélève simplement un petit disque dans la partie qui recouvre l’iris. Ce prélèvement, est effectué dans le plus grand respect du défunt, et ne se voit pas.

Je souhaite recueillir un témoignage auprès de vous, concernant votre parent (fils, mère, ...), savez-vous, si de son vivant, il/elle était opposé, à un don de cornées ? Le reste de l’entretien est inchangé par rapport à la version type.

ANNEXE 3

Grille d’entretien : troisième version

Procédure d’entretien identique à la deuxième version, les modifications ap-portées concernent la situation où la famille ignore la position du défunt.

SANS CONNAISSANCE DE LA VOLONTE DU DEFUNT:

« Si vous le permettez, on pourrait y réfléchir ensemble. On peut à partir de quelques questions très simples connaître la volonté d’un proche. Si vous êtes d’accord, je vais vous poser, ces questions. C’est très court et, vous allez voir cela vous aidera ...

Vous qui le connaissiez : – Etait-il plutôt généreux ?

– Aimait-il rendre service aux autres ?

– Est-ce qu’il trouvait bien que des personnes qui en ont besoin (pour pou-voir vivre normalement) puissent bénéficier d’une greffe ?

– A votre avis, cela lui ferait-il plaisir de savoir que grâce à lui quelqu’un a retrouvé la vue ?»