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l’information : les modèles pécuniaires et non pécuniaires entre éthique et droit

4. Présentation des modèles de récompense

4.2 Modèles non pécuniaires

Les modèles non pécuniaires, appelés également modèles solidaires, prévoient des instruments incitatifs au don d’organes de nature non pécuniaire. De façon générale, les instruments incitatifs non pécuniaires concernent la position sur la liste d’attente. Ils accordent une certaine priorité en cas de besoin d’un organe en fonction de la disposition au don d’organes de toute personne concernée.

4.2.1 Principe de prévoyance

La transplantation d’organes est aujourd’hui régie par le principe de séparation (« Trennprinzip »). La disposition de toute personne relative à un éventuel don de ses organes est absolument séparée et indépendante de l’allocation des or-ganes disponibles aux receveurs.77Le principe de prévoyance («

Vorsorgeprin-73 Schut ze ichel, p. 213.

74 Schut ze ichel, p. 183.

75 Dans la plupart des cas, il s’agit de l’assurance-maladie.

76 Cf. l’article 14 LTx ainsi que les articles 11 et 12 de l’ordonnance du 16 mars 2007 sur la transplanta-tion dorganes, de tissus et de cellules dorigine humaine (RS 810.211 ; RO 2007 1961 ; cité: OTx).

77 Blankart/Kirchner/Th ie l, p. 11 et 14 s.

zip »)78par contre crée un lien entre le choix préalable d’être donneur d’organes et l’allocation des organes aux patients inscrits en liste d’attente.79Le principe de prévoyance« incite chaque personne à prévoir par avance la situation dans la-quelle elle serait demanderesse d’organes ».80Il se base sur une idée de solidarité entre les membres d’une société: le fait de recevoir est lié à la disposition de donner. Le critère essentiel du principe de prévoyance est ainsi celui de la réciprocité.81

Concrètement, le principe de prévoyance est un instrument incitatif au don post mortem. Il tend à inciter toute personne à manifester–de son vivant–sa disposition au don d’organes. L’enregistrement de la volonté d’être donneur d’organespost mortem est récompensé avec une priorité accordée sur la liste d’attente lorsque la personne a elle-même besoin d’un organe au cours de sa vie.82Autrement dit, la récompense offerte par cet instrument incitatif est une place plus favorable sur la liste d’attente, c’est-à-dire une probabilité plus élevée d’obtenir un organe en cas de besoin.83

Le principe de prévoyance est en général concrétisé par deux modèles dif-férents : lemodèle de la motivationet lemodèle club. Ces deux modèles accordent une certaine priorité aux personnes ayant consenti à un don d’organes post mortempar rapport aux personnes qui n’ont pas donné leur consentement, le premier étant un système public et le deuxième étant un système privé. Le mo-dèle de la motivationinternalise le principe de prévoyance par l’intermédiation de l’Etat (« Internalisierung durch Vermittlung des Staates »).84Il crée une priorité pour les donneurs potentiels enregistrés en rajoutant la disposition au don d’organes comme critère d’allocation aux critères usuels de l’urgence médicale, de l’efficacité thérapeutique et du délai d’attente.85 Les critères médicaux gardent ainsi toute leur importance.86Lemodèle clubau contraire internalise le principe de prévoyance par un contrat (« Internalisierung durch Vertrag »).87

78 Dun point de vue terminologique, le principe de prévoyance est également appelé principe ou modèle de réciprocité (« Reziprozitätsmodell »), principe de solidarité ou modèle social (« Sozialmodell »). Cf.

Sprange r, p. 121 s.;Schotsmans, p. 342 ss.

79 Blankart/Kirchner/Th ie l, p. 11 et 15 ss ;B reyer/Van den Daele/Engelhard, et al., p. 116 ; Pat tins on, p. 437.

80 Guillod/Steffen, p. 4.

81 Guillod/Steffen, p. 5.

82 Nad el/Nadel, p. 312.

83 Dijk/Hilhorst, p. 19 ;Blankart, p. 44.

84 Blankart/Kirchner/Th ie l, p. 16.

85 Guillod/Steffen, p. 12 ;Blankart/Kirchner/Thie l, p. 16 s.; Message concernant la loi sur la transplantation, p. 72 s.

86 Blankart/Kirchner/Th ie l, p. 17 et 28.

87 Blankart/Kirchner/Th ie l, p. 15 s.;Bre ye r/Van de n Daele/Enge lhard, et al., p. 116.

Selon le modèle club, appelé également « mutual insurance pool »,88 toute per-sonne qui souhaite joindre le club de donneurs signe une clause qui prévoit qu’en cas de décès, ses organes doivent être accordés prioritairement à un autre membre du club. En contrepartie, chaque membre du club qui a besoin d’un organe bénéficie d’une priorité sur tous les organes provenant de membres décédés.89

C h a rl e s B . B la n k a rtet al.retracent le principe de prévoyance à l’année 1967.90C’est à cette époque que l’idée de réciprocité a été exprimée pour la première fois par le scientifique et lauréat du prix NobelJ os h ua Le d er b e rg. Le modèle club du principe de prévoyance a été mis en pratique aux Etats-Unis par l’organisation à but non lucratif« LifeSharers »,91dont le nombre de membres s’élevait à environ 13 300 le 31 octobre 2009.

4.2.2 Priorité d’allocation pour les donneurs vivants

Comme son titre l’indique, cet instrument incitatif concerne le don entre vifs.

Même si le don entre vifs implique des risques très peu élevés pour le donneur, il se peut que ce dernier perde l’organe restant (le deuxième rein, le foie ou la partie des poumons) suite à un accident ou une maladie quelques années après le don. Le donneur vivant se retrouve par la suite lui-même sur la liste d’attente pour un organe. Un système de priorité pour les donneurs vivants accorde une certaine priorité lors de l’allocation des organes aux donneurs vivants inscrits en liste d’attente.92

Un modèle prévoyant une priorité pour les donneurs vivants inscrits en liste d’attente est actuellement en vigueur aux Etats-Unis. Le système d’alloca-tion des organes d’UNOS (« United Network for Organ Sharing »), l’organisad’alloca-tion responsable de l’allocation aux Etats-Unis, est basé sur un système de points attribués à chaque patient inscrit en liste d’attente. Les patients en besoin d’or-gane qui ont préalablement fait don d’un ord’or-gane de leur vivant se voient attri-bués des points supplémentaires.93Ceci leur accorde une certaine priorité par rapport aux autres patients sur la liste d’attente.

88 Schwindt/Vining,Mutual insurance pool, p. 725 ss.

89 Epstein, p. 83.

90 Blankart/Kirchner/Th ie l, p. 15 note 14.

91 Calandrillo, p. 119. Le site Internet de l’organisation contient des informations très détaillées, cf.

http ://www.lifesharers.com (consulté le 23 novembre 2009).

92 Th iel,Bonus-System, p. 68 ;S chut zeichel, p. 230.

93 Go od win,Black Markets, p. 98.

4.2.3 « Pool-cross-over-transplantation »

L’instrument incitatif de la« pool-cross-over-transplantation »constitue une ver-sion modifiée de la transplantation croisée ordinaire. La transplantation croisée ordinaire implique en général deux paires de donneurs vivants et de receveurs qui s’échangent réciproquement un organe, deux reins dans la plupart des cas.94 Par exemple, le donneur de la paire A donne un rein au receveur de la paire B, tan-dis que le receveur de la paire A reçoit un rein du donneur de la paire B.95La trans-plantation croisée intervient lorsqu’un don d’organe direct entre un donneur et un receveur, liés très souvent par un lien familial ou affectif, est impossible pour des raisons d’incompatibilité sanguine.96

Comme la compatibilité sanguine croisée entre deux paires de donneurs et de receveurs est plutôt rare,97une version modifiée de la transplantation croi-sée a été développée. Cette variante, appelée« pool-cross-over-transplantation »98 (ou « list donation »99ou « list pair exchange »100), met en cause seulement une paire de donneur vivant/receveur. Le donneur vivant met à disposition son or-gane de façon anonyme au service des attributions des oror-ganes. Cet oror-gane est ensuite attribué selon les critères d’allocation usuels applicables aux organes provenant de donneurs décédés.101Il s’agit ainsi d’un don non dirigé par une personne vivante en faveur de tous les patients inscrits en liste d’attente. En échange, le « partenaire » du donneur vivant, qui a besoin d’un organe, reçoit un organe d’un donneurpost mortem.102Concrètement, l’avantage obtenu pour le don non dirigé par le donneur vivant est une préférence accordée à son

« partenaire » sur la liste d’attente. Ce dernier obtient un statut prioritaire pour le prochain organe compatible qui devient disponible.103

À la différence de la transplantation croisée ordinaire, où deux donneurs vivants permettent un échange simultané d’organes, la«

pool-cross-over-trans-94 Br eye r/Van de n Daele/Enge lhar d, et al., p. 123.

95 Steiner, p. 498.

96 Sprange r, p. 122.

97 Sur les possibles combinaisons de compatibilité sanguine entre le donneur et le receveur, cf. Schutz-eiche l, p. 215. Pour augmenter la probabilité d’identifier des paires de donneurs/receveurs compa-tibles,Steve C. Calandrillopropose d’intégrer les informations des « donneurs croisés » potentiels dans la base de données des patients inscrits en liste dattente. Ceci permettrait dobtenir plus facile-ment des possibles concordances croisées (« cross-matching »). Cf.Calandrillo, p. 122.

98 Schut ze ichel, p. 216.

99 Congressional Research Service, p. 4.

100 Nad el/Nadel, p. 322 note 138.

101 Br eye r/Van de n Daele/Enge lhard, et al., p. 123. En vertu de l’article 18 LTx, les critères sont lurgence et lefficacité médicales, le délai dattente et légalité daccès.

102 Schut ze ichel, p. 215 s.

103 Schroth, p. 118 ;Steine r, p. 498 ;S ch ut ze i ch el, p. 230.

plantation »implique un donneur vivant et un donneur décédé. La« pool-cross-over-transplantation »mélange ainsi les systèmes traditionnellement séparés du don entre vifs et du donpost mortem. Aussi, les deux transplantations sont en général décalées dans le temps.104La région 1 d’UNOS (New England) a intro-duit, en février 2001, un tel système de« pool-cross-over-transplantation ».105

4.2.4 Réduction d’une peine privative de liberté

L’instrument incitatif de la réduction d’une peine privative de liberté concerne le don entre vifs. Il vise des personnes qui font l’objet d’une procédure judi-ciaire et qui risquent de se voir infliger une peine privative de liberté ainsi que des personnes qui se trouvent déjà en prison. En mettant à disposition un rein, une partie du foie ou une partie des poumons, ces personnes pourraient se voir accorder une réduction de la durée de leur incarcération. Il s’agirait d’un don d’organe non dirigé en faveur de tous les patients inscrits en liste d’attente, dont un se verrait attribué l’organe selon les critères usuels.

Cet instrument incitatif s’inspire, comme les autres instruments incitatifs non pécuniaires, d’une certaine idée de solidarité. En l’espèce, il s’agit de crimi-nels qui se montrent solidaires avec la société dont ils n’ont pas respecté les règles et qui bénéficient de ce fait d’une réduction de leur peine privative de liberté. Avec raison, la réduction d’une peine privative de liberté n’a jamais été sérieusement envisagée par la doctrine comme un instrument incitatif au don d’organes.106 L’idée a toutefois fait quelques apparitions aux Etats-Unis. Au-delà du cas de jurisprudence mentionné auparavant, l’Etat américain de la Caroline du Sud a discuté, en 2007, d’un projet de loi instaurant une réduction des peines privatives de liberté en cas de don d’un rein par une personne condamnée.107Suscitant d’importantes critiques de la part d’experts médicaux et juridiques, le projet de loi n’a finalement pas été poursuivi.