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Chapitre 1 – Forme d’agencement des temporalités sociales en situation de retraite et

3. Significations du vieillir

3.2 Souhait de rester acteur

Pour les enquêtés du type 2 « agencement autour d’un temps pivot », le début de la retraite ne peut être considéré qu’activement en lien avec une organisation polarisante et hétéronome. Le refus du vieillissement en retrait est annoté à plusieurs reprises par la même figure du retraité restant toute la journée assis sur son fauteuil, qui se languit chez lui, souvent devant la télévision, et qui se ferme du monde extérieur :

Bon alors, qu’est-ce qu’on fait quand on part à la retraite quand on n’est pas complètement gâteux, on se dit, qu’est-ce que je fais, je ne vais pas m’installer chez moi avec des charentaises à regarder la télévision, surtout pas (Michel, fr).

Il ne faut pas se replier sur soi-même, car si vous ne sortez pas, si vous restez chez vous dans votre fauteuil, c'est la tombe, le cimetière rapide, je pense qu’il faut garder un rythme, on arrive à la retraite, on n’est pas vieux (Claudine, qc).

J’ai vu autour de moi des gens qui étaient en retraite, des gens, qui en travaillant, étaient des gens très bien et puis après on ne se lève pas un matin, on « trainouille », on commence à rester chez soi et puis après on ne bouge plus (Annick, fr).

Les retraités du type 2 ne souhaitent pas la marginalisation sociale, ni une organisation temporelle dévolue entièrement au temps pour soi. Comme le dit Guillemard, ils aspirent à rester « des artisans actifs de la vie de la cité ». Ils le réalisent dès lors par un temps pivot favorisant cette activité socialement reconnue qui les dotent d’une nouvelle identité, qui vient remplacer, d’une certaine manière l’activité professionnelle qui n’est plus prépondérante, du fait de l’arrêt du travail, sans que celle-ci soit le substitut identique de l’autre.

« Le repos, les loisirs, ne suffisent plus alors à conférer un sens à cette nouvelle étape de la vie, par ailleurs de plus en plus strictement disjointe de l’activité productive. Les équipements conçus antérieurement pour le troisième âge se révèlent incapables de répondre aux aspirations à une autre citoyenneté active, à une nouvelle utilité sociale hors travail qu’expriment de nombreux jeunes retraités. Ces nouveaux retraités ne semblent plus, en

134 effet, se satisfaire tout à fait d’une identité construite autour du statut de consommateurs de loisirs.

Ils veulent demeurer des artisans actifs de la vie de la cité et ne pas être rejetés dans la monde des improductifs. Ils refusent de se cantonner à un rôle d’oisiveté pensionnée qui les inscrit dans un réseau d’échanges non réciproques et les assigne à une condition dépendante de subsistance octroyée. Alors même qu’ils sont conscients de leurs compétences et cherchent à appliquer leur énergie à l’invention de nouvelles formes de contributions sociales non marchandes » (Guillemard, 1991, p. 10 – 11).

Les principales aspirations de ces retraités qui réorganisent leur emploi du temps autour d’un temps pivot sont l’utilité sociale et la re-création de liens sociaux, en tant que moteur de la mise en place de leur nouvelle identité à la retraite. Guillemard (1991) parmi d’autres chercheurs comme Legrand (2001) ou Larouche, Maltais et al. (2000) constatent dans cette quête identitaire à l’orée de la retraite, que la recherche de l’utilité sociale, par une participation à la vie sociale, peut être une réponse à la perte de l’identité professionnelle. Georges nous indique ces bénéfices :

Le sentiment d’utilité est largement partagé. A partir du moment où on a décidé de ne pas rester les deux pieds dans le même sabot, d’abord on a l’impression d’être utile, deuxièmement c'est un job où il y a beaucoup de liens sociaux, on rencontre beaucoup de gens, cela présente un double intérêt, cela développe les liens sociaux, et cela développe le sentiment d’être utile à quelque chose… Mais cela dépend de la période dans la retraite, il faut bien distinguer la période avant 75 – 80 ans et celle d’après, après 80 ans on a moins la condition physique qu’aujourd’hui. Pour les moins de 75 ans, c'est quand même valorisant au plan social de se dire je fais quelque chose d’intéressant, intellectuellement ils y trouvent un intérêt, je rencontre des gens que je n’aurais pas rencontrés si je n’avais pas fait cela, il y en a pour lesquels rencontrer des députés c'est un peu valorisant, c'est vrai que cela fait toujours un petit peu plaisir, plutôt qu’être considéré comme une sous crotte, cela participe à la motivation des gens, c'est pour cela que nous veillons à ce qu’on puisse faire participer un maximum de gens. Et au niveau local, c'est aussi créer du lien entre les bénévoles (Georges, fr).

Cette re-construction renvoie simultanément à une quête de la signification du vieillir et à un positionnement de soi vis-à-vis d’autrui particulièrement. Nous allons examiner cette présentation de soi des enquêtés du type 2 pour comprendre leur rapport au statut de retraité, puis nous exposerons les manières dont ils se projettent dans un avenir à moyen terme, pour

135 finir sur la population du type 2 des bénévoles responsables d’associations ayant un recrutement spécifié par l’âge afin de saisir leur posture face à cet entre-soi dans l’activité.

Nous avons demandé à l’ensemble de nos enquêtés de quelle manière ils se présentaient lorsqu’un inconnu leur demandait ce qu’ils faisaient dans la vie. La totalité des réponses des retraités du type 2 s’insère dans une posture identique, soit le fait de ne pas mettre en avant leur statut de retraités mais d’indiquer avant toutes choses celui de bénévoles responsables ou de travailler, pour les retraités qui cumulent. Cette situation peut s’expliquer d’une part par la volonté de se positionner en tant que citoyen actif reconnu pour ses compétences et non comme un retraité exclu du monde social. D’autre part, le premier statut que les retraités donnent concorde avec la construction de leur identité à la retraite où le temps pivot agit comme révélateur du statut par lequel les retraités souhaitent être reconnus et ce, par rapport à autrui et à la société.

Q : Imaginons, vous êtes dans un dîner, vous ne connaissez pas toutes les personnes présentes, et quelqu’un vous demande, que fautes-vous faites dans la vie, que répondez- vous ?

Claudine (qc) : Je suis dans l’activité bénévole randonnée et voilà, c'est parti, je m’occupe d’une commission, et je leur explique ce que c'est.

Michel (fr) : Je dis que j’ai repiqué en signant un contrat avec le groupe H. Si c’est quelqu’un que je connais très bien, cela tourne un peu à la rigolade, car il sait que je suis parti à la retraite et si c’est quelqu’un que je connais moins bien je dis que j’ai re-signé un contrat donc je retravaille, et à ce moment-là tout le monde dit, « ah bon, vous êtes à mi- temps », non, non, non, je suis à plein temps, sauf le vendredi.

Simone (qc) : Je suis présidente d’une association de retraités... J’ai répondu cela de façon spontanée, mais possiblement que cela dépendra de l’endroit où je suis, c'est vrai, si je suis dans un souper ou comme, que je me sentirai plus en représentation indépendamment de la raison pour laquelle je suis là, je dirais je suis présidente, mais c'est sûr que si je suis dans un souper en restant de façon anonyme, quand on me demande ce que je fais dans la vie, je commencerai par dire que je fais beaucoup de bénévolat et que je suis retraitée.

136 La retraite, comme troisième étape du parcours de vie, a été érigée vis-à-vis du travail ; or, ici, nous remarquons que les temporalités sociales s’enchevêtrent, et ne sont plus dichotomiques. Plus précisément, la signification du vieillir attribuée à la retraite comme un temps de repos, n’est plus adéquate pour ces retraités du type 2 qui contribuent à faire émerger de nouveaux modes de vie. Nous sommes alors dans une perception nettement plus active de la retraite, dans une continuité d’un parcours de vie dynamique et participatif qui ne peut se stopper par l’injonction formelle et légale de la prise de la retraite ; en d’autres termes tout ne s’arrête pas du jour au lendemain après l’entrée à la retraite. Ces nouveaux modes de vie, qui sont ici des temps pivots, mettent l’accent sur la « retraite utilité » et la « retraite activité », si nous reprenons les termes proposés par Caradec (2009), mais également sur la « retraite famille ».

Le temps pivot consacré à l’activité rémunérée a la spécificité de permettre aux enquêtés une retraite en entonnoir et de favoriser, au mieux sur le long terme, une conciliation des différentes temporalités sociales. Il faut d’abord signaler que la population des retraités du type 2 qui cumulent un emploi et une retraite sont majoritairement dotés d’un haut niveau de compétences et ne travaillent que rarement pour des raisons financières. Dès lors, les propositions que nous allons énoncer sont spécifiques à ce type de population, car nous supposons que les autres profils de cumulants n’attribuent probablement pas la même signification du vieillir que ces retraités du type 2.

A la suite de cette précision, nous nous sommes aperçus que certains retraités indiquent le commencement d’une diminution du volume horaire attribué à cette activité rémunérée, comme Michel avec « son vendredi de liberté ». Généralement, ils spécifient également qu’ils ont le projet d’une baisse progressive et continue du temps accordé à ce temps pivot et non celui d’une césure abrupte. Assurément, travailler à la retraite est un moyen de ne pas subir une transition brutale entre un temps de travail à 100 % et un temps de retraite à 100 % ; à l’opposé cette circonstance induit le passage vers une retraite « à la carte », dans lequel l’individu ré-organise ses temporalités au fur et à mesure de la baisse du travail et de la hausse d’un temps plus libre. Naturellement, il ne faut pas être dupe de cette retraite à la carte, qui ouvre le champ des possibles dans la multiplicité de l’organisation des temporalités sociales, étant donné que seuls les retraités les mieux dotés socialement ont la possibilité d’y accéder à la fois en France et au Québec. Cependant, de toute évidence, nous supposons que ces modalités de transition se développeront pour cette population spécifique et mèneront vers une conciliation future des différentes temporalités sociales du travail vers la retraite.

137 Par ailleurs, pour les retraités du type 2 dont le temps pivot s’articule autour d’un engagement bénévole, la question de l’arrêt de l’activité se pose en d’autres termes. L’arrêt définitif du bénévolat est appréhendé par nos enquêtés à partir de visions d’avenir plus ou moins lointaines et de récits de pairs vivant cette situation, leur permettant a priori une mise en place stratégique et sublimée de cet arrêt. Il nous faut repréciser que cette fin questionne ces retraités du type 2 car le bénévolat leur offre une identité qui se positionne dans notre enquête sur deux plans. Dans le premier cas, il s’agit d’un bénévolat où la figure de l’expert est mobilisée : d’anciens cadres mettent à disposition leurs compétences dans le cadre de prestations gratuites au service de projets de solidarité. Dans le second cas, la condition de retraité en tant que telle sert de support et de légitimité à une action citoyenne : les bénévoles cherchent à intégrer et à peser dans des circuits décisionnels, institutionnels. Dès lors, la décision d’une cessation va remettre en cause cette identité basée sur leur position associative.

Certains bénévoles s’attachent fortement à leur place et les retraités du type 2, plus jeunes, montrent bien leur désaccord avec cette situation et espèrent être capables de laisser leur fonction à d’autres, au bon moment. Raymond nous explique à la fois la façon dont certains responsables s’accrochent à leur poste et la difficulté de trouver des personnes qui veulent s’y investir ; la vulnérabilité de la gouvernance associative se pose donc.

Il y a une personne qui fait beaucoup de choses, plein de choses, très active, mais en ce moment elle sature, sans qu’on lui dise il y a des choses qu’elle arrive à lâcher, mais à un certain âge on sature c'est évident. Dans les animateurs c'est pareil, un jour on a dû dire à l’un d’eux il faut que tu arrêtes, les gens ne se rendent pas compte, il y en a jusqu’au bout, ils vont aller sur les chemins, il y en a d’autres qui se rendent compte, il faut passer la main, dire je ne peux plus. Il y a d’autres personnes, il y a d’autres situations, qui s’investissent beaucoup dans l’association, qui font plein de choses, et à un moment qui saturent, il ne faut pas que les gens aient trop de choses à faire, car ils saturent, et le jour où ils s’en vont, cela fait plein de tâches à confier à d’autres et cela peut poser quelquefois des problèmes, il faut préparer la relève, cela c'est un gros problème, par exemple pour moi, je suis dans ma troisième année, je peux encore continuer, je dois remettre en cause mon mandat d’administrateur l’année suivante, je pourrais peut-être faire encore une année, mais on ne peut pas être indéfiniment président, en général la moyenne de président c'est trois ans, on fait attention au turn over, mais ce n'est pas évident, le turn over c'est quand les gens quittent, on cherche à trouver quelqu'un pour remplacer, c'est pas facile avant que la personne s’en aille de trouver quelqu'un pour remplacer et les bénévoles ils viennent, du

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jour au lendemain si cela ne leur plait plus, il s’en vont, il y a pas de compte à rendre, c'est un peu un inconvénient (Raymond, fr).

Jérôme aussi nous informe de cet attachement de certains retraités à leur place et à leur bénévolat. Il insiste sur sa volonté de ne pas les copier et de changer d’activité pour une plus adaptée quand le moment sera venu.

On a quelques placards, des gens qui s’accrochent, on ne peut pas faire sortir les gens, dans la mesure où on ne peut pas leur dire, on arrête de vous payer, puisqu’on ne les paye pas, on ne sait pas, cela touche à l’intime, on ne sait pas bien faire cela, il a fallu inventer quelques placards pour que les gens puissent venir même quand leur efficacité n’est plus avérée. […] On a des gens qui sont ici qui ne foutent rien, qui bloquent un siège à qui on ne sait pas comment dire qu’ils feraient mieux d’espacer leur passage mais qui continuent à venir, parce que cela les perturberaient singulièrement de ne plus venir et qui n’ont pas trouvé d’activité de remplacement et quand on a une activité, il y a une vraie difficulté à la quitter. Aujourd’hui, je ne me sens pas vraiment concerné, je ne sais pas ce que je ferai quand j’aurai 75 ans, mais on voit la dégradation, comment conserver sa dignité en se retirant à temps, ce n’est pas, facile, j’espère bien que je resterai suffisamment en forme longtemps, mais c'est clair que, bon ici un second mandat pourquoi pas, reprendre un poste avec moins de responsabilité cela me plairait bien, un placard ici je n’en ai pas envie, cela ne m’intéresse pas, mais ce qui compte sera de trouver quelque chose qui s’adapte à ce que je serai capable de faire parce que je n’ai pas non plus envie de me transformer en légume plus tôt que nécessaire (Jérôme, fr).

Enfin, Simone nous interpelle sur l’importance de toujours être capable de changer de poste, pour ne pas s’enliser dans un seul et d’une certaine manière la durée des mandats est un moyen de favoriser les transformations organisationnelles des associations.

Une vision d’avenir ? Je ne veux pas faire cela éternellement non plus, ce n'est pas bon de rester toujours en place, c'est ce que j’ai dit dans mon association, si je ne reste pas en tant que présidente, je resterai comme administratrice ou responsable d’une province. Je suis rééligible, je repose ma candidature, on verra si je suis réélue (Simone, qc).

Ainsi, la préparation de l’arrêt et a fortiori de la relève semble une étape primordiale à mettre en place pour le retraité responsable bénévole mais aussi pour l’association.

139 Ensuite, contrairement à de nombreuses personnes qui à la retraite disent refuser de se retrouver « entre vieux », les retraités responsables d’associations dont le recrutement est spécifié par l’âge, assument cet entre soi. Mieux, ils endossent la « cause retraités » de l’association puisqu’ils acceptent d’en prendre des responsabilités et donc forcément à certaines occasions d’en être les porte-parole.

Par ailleurs, à force de s’impliquer les retraités découvrent des besoins propres à la retraite qui les conduisent à militer pour la défense de leurs pairs et acceptent ainsi cette identité collective donnée par l’association, l’extrait de l’entretien avec Georges montre l’évolution et le changement de motivations dans son implication :

Quand je regarde mon parcours personnel je n’avais pas cette fibre là au départ, je n’avais pas la fibre sociale et l’envie de m’impliquer là dedans, par contre j’avais l’intention de ne pas rester les deux pieds dans le même sabot et de faire quelque chose d’intelligent, ensuite c'est le côté aspiration, imitation de mon prédécesseur. Ma première motivation cela a été de m’impliquer dans l’association des anciens pour organiser des activités et cela n’avait rien à voir avec la défense des retraites, et puis petit à petit je me suis retrouvé influencé et aspiré vers la fédération et là effectivement j’ai découvert un autre univers et j’ai découvert que cela méritait de s’impliquer (Georges, fr).

A mesure de leur engagement, les retraités prennent également conscience qu’ils sont les plus à même de parler d’eux, de défendre leurs intérêts mais aussi de prendre en charge leur santé et leur bien-être.

On revient à une question fondamentale, pourquoi une association de retraités par rapport à une association inter-génération, c'est parce que il y a des problèmes que nous devons avoir en tant que retraités une opinion et l’exprimer c'est que sinon si c'est pas nous c'est les experts, les professionnels, dans le domaine de la dépendance, les professionnels ils connaissent le truc, ils ont leur point de vue qui n’est pas forcément le même que le nôtre, vous n’allez pas demander à un gars de trente ans de parler de la dépendance, il faut bien que quelqu'un sen occupe [sous entend que c'est à eux de s’en occuper] […] Les retraités ont vraiment leur mot à dire en tant que retraités (Georges, fr).

Au total, les retraités du type 2 « agencement autour d’un temps pivot » développent une signification du vieillir qui se construit surtout face au regard de l’autre et dans la

140 comparaison à autrui, plus que les retraités du type 1 « agencement pour soi ». De plus, ils se présentent sous un autre statut que celui de retraité, montrant ainsi leur volonté de créer une identité non associée à cette catégorie.

Précisons que dans l’enquête, les retraités du type 2 sont majoritairement des hommes, ce qui s’explique par deux raisons principales. Tout d’abord, ce sont le plus souvent des hommes qui restent en emploi à la retraite (Bridenne, Mette 2010, Castonguay, 2011, RSI, 2010) ou qui ont des postes à responsabilité associative (Bakker, Lasby, 2010, Tchernonog, 2007). Ensuite, les hommes sont plus dans un agencement autour d’un temps pivot de leurs