• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 – Forme d’agencement des temporalités sociales en situation de retraite et

1.1 Type 1 : « Agencement pour soi »

1.1.1 Caractéristiques générales

Françoise, 65 ans, est mariée, a deux enfants, un petit-fils, sa mère est en vie et elle habite dans le 93. Ancienne enseignante d’anglais et formatrice de professeurs, elle a pris sa retraite à 60 ans par choix. A la retraite elle organise son temps entre deux heures par semaine de bénévolat, pendant lesquelles elle fait la lecture à des enfants, et des activités du temps pour soi accompagnée parfois de son conjoint, également à la retraite.

Lydie, 64 ans, célibataire, sans enfant, habite à Paris. De profession, formatrice en free lance, elle cumule à sa retraite, quelques formations et du coaching, effectués tout au long de l’année, auxquels elle décide de ne consacrer que 50 journées maximum par an. Dans ce temps de retraite, elle profite de voyager en couchsurfing21 ou chez des amis. Au quotidien, elle investit son temps vers du temps pour soi.

Patrick, 62 ans, marié, deux enfants, habite à Montréal. Ancien cadre dans le secteur de la finance, il a pris sa retraite il y a deux ans par choix. A la retraite, il structure ses journées autour d’activités du temps pour soi et par la pratique d’un bénévolat trois heures par semaine où il converse en français avec des immigrés. Ses journées sont également rythmées par le retour de son épouse, qui travaille encore, avec qui il partage son temps le week-end.

Les enquêtés du type 1 « agencement pour soi » ont une organisation autonome de leur emploi du temps, qu’ils orientent vers le temps pour soi. Leurs diverses activités se pratiquent de manière sporadique, sur un temps très délimité et cadré. L’une des satisfactions pour ces enquêtés est d’avoir une latitude de temps libre sans impératifs, qu’ils peuvent combler au dernier moment, s’ils en ont envie, vers une activité personnelle, voire relationnelle. Nous

21 Le couchsurfing permet de se loger gratuitement dans le monde entier chez des hôtes qui accueillent des

voyageurs pour quelques nuits, sur un canapé ou dans une chambre d’amis, pour le simple plaisir de la rencontre

48 sommes en présence d’un type de retraités qui adhère ou qui tend à adhérer à l’impératif social majeur du retraité consommateur et non producteur, vivant sa retraite de manière hédoniste. Ego est au cœur de l’organisation des temporalités sociales et se trouve être l’élément structurant du budget-temps en choisissant d’agencer ses goûts, ses rêves, ses activités créatrices autour de lui-même, soit du temps pour soi. L’individu choisit librement d’organiser son temps pour son épanouissement personnel.

De surcroît, nous avons pu remarquer des traits similaires entre ce type « agencement pour soi » et la « retraite loisir » issue de typologies de plusieurs sociologues dans les années 1970 – 1980 dont Guillemard (1972)22

et Paillat (1989)23. Effectivement, la retraite loisir prend son essor en France dans les années 1960 : « Il s’agissait de faire de la retraite une période active de la vie, un troisième âge, propice aux activités de loisirs et de développement personnel » (Viriot-Durandal, 2007, p. 81). Ainsi, un mode de vie focalisé sur les loisirs se forme à la retraite, qui prendra peu à peu de la distance avec les activités de loisirs intra- générationnelles. Assurément, la retraite loisir est axée sur l’investissement dans la consommation de masse, les loisirs ainsi que sur les contacts sociaux (Guillemard, 1972, Paillat, 1989).

Le Québec, pour sa part, se caractérise par une injonction sociale d’une consommation de loisir à la retraite qui est peu présente ; néanmoins les études rendent compte des bienfaits du loisir pour les plus âgés (Carbonneau, 2012).

« La pratique de loisir est une composante importante de saines habitudes de vie, en particulier chez les personnes âgées. En effet, le loisir constitue une voie privilégiée d’amélioration tant de leur qualité de vie (Carbonneau, 2004, Kane, 2001, Rousseau et al., 1995) que de leur santé physique et mentale (Zumbo, 2003). Riddick et Daniel (1984)

22

Guillemard (1972) a mené une enquête quantitative portant sur les conduites de retraite. A partir de celle-ci, elle a construit une typologie des types de retraite basée sur deux dimensions : un axe nature/culture et un axe production/consommation. L’auteur ajoute deux ressources (les déterminants de la pratique) : les biens et les potentialités. De cette enquête, Guillemard distingue cinq types de retraite : la retraite-retrait, la retraite-troisième âge, la retraite-consommation (famille et loisir), la retraite-revendication et la retraite-participation. Le type le plus significatif est celui de la retraite-retrait qui rassemble un tiers de la population. Trente ans plus tard, Guillemard (2002) reconsidère cette typologie en ajoutant un nouveau type de retraite : la retraite solidaire, nouvelle forme de retraite productrice et active.

23 Paillat (1989) mène avec une équipe de recherche une enquête quantitative, longitudinale, sur le passage de la

vie active à la retraite au niveau national. L’échantillon d’environ 1 500 personnes nées en 1922 a été suivi pendant trois ans de 1981 à 1984. Paillat s’est particulièrement intéressé au processus de l’entrée dans la retraite. L’activité, la sociabilité et la subjectivité ont été les trois dimensions privilégiées pour former les cinq types de pratiques : la retraite loisir, la retraite conviviale, la retraite intimiste, la retraite retranchée et la retraite abandon. La retraite loisir est le type le plus attesté dans l’enquête de Paillat.

49 rapportent que la participation à des loisirs serait le facteur le plus déterminant pour le bien- être psychologique, et ce, avant même l’état de santé » (Carbonneau, 2012, p. 1).

Ainsi, le loisir comme activité à la retraite, faisant partie du temps pour soi, est un critère de cette population du type 1. Guillemard (1972) ajoute que ce type de retraite loisir est également caractérisé par un agencement temporel d’activités variées vers le développement personnel, à l’instar des retraités du type 1, via le temps pour soi.

Cette polarité de l’organisation du temps des enquêtés de ce type vers le temps pour soi montre que l’intérêt individuel prime dans ce temps social. Dumazedier montre cette importance du temps choisi valorisant « l’expression de soi » au regard du loisir :

« Le loisir est un temps social affecté à soi, pour soi, en priorité. Il est indépendant des engagements socio-spirituels, même quand ceux-ci sont considérés comme des moyens de réalisation personnelle. Le loisir est le temps social où prime le repos de soi, le divertissement ou le développement autonome de soi, indépendamment des normes, du travail ou de l’action spirituelle ou politique, même quand celles-ci exercent une influence sur ce développement. Le loisir serait plutôt une façon d’équilibrer les pratiques des temps sociaux […], selon des activités, des rythmes, des valeurs qui tiennent avant tout aux exigences de soi. C’est le temps des choix, […] de la culture corporelle ou manuelle, artistique ou intellectuelle, sociale ou individuelle, en priorité pour soi-même, de quelque niveau que ce soit » (Dumazedier24).

Après avoir présenté les caractéristiques générales du type 1 « agencement pour soi », nous allons décrire la manière dont les enquêtés se rapprochant de ce type organisent leurs budget-temps à la retraite.