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Recherche d’une qualité de vie

Chapitre 1 – Forme d’agencement des temporalités sociales en situation de retraite et

3. Significations du vieillir

3.1 Recherche d’une qualité de vie

Les enquêtés du type 1 « agencement pour soi » ont pour objectif de polariser leurs temporalités sociales à la retraite vers le temps pour soi. La signification de la retraite est donc en adéquation avec cette volonté puisqu’elle est considérée comme une nouvelle vie où le temps pour soi est au cœur des priorités. Leurs pratiques indiquent également la recherche d’un vieillissement réussi, en bonne santé, se détachant de la catégorie des cinquante-cinq – soixante-dix ans, à laquelle ils font pourtant partie. Ce positionnement est certainement influencé par la société de consommation et par l’injonction du jeunisme. Nous allons exposer la signification du vieillir auquel adhèrent les retraités de ce type à travers trois pratiques : les activités physiques et sportives, la participation à des activités intra ou inter générationnelles, le positionnement face à la catégorie de retraités.

129 Dans un premier temps, les retraités du type 1 « agencement pour soi » pratiquent plusieurs activités physiques et sportives dans la perspective de la recherche d’une qualité de vie. Ces activités s’effectuent individuellement, en dehors de clubs ou d’institutions qui instaureraient, de fait, des gestions horaires. Celles-ci relèvent d’un parcours engagé récemment, dont la pratique est devenue régulière, sans recherche de compétition, à destination d’activités exigeant peu de technicité, telles que la gymnastique de forme et d’entretien, la randonnée pédestre, le vélo et l’aquagym. Françoise pratique, comme nous l’avions précisé dans la description de son emploi du temps, l’aquagym deux fois par semaine et le golf une fois par semaine avec son conjoint. Patrick, lui, se rend dans un club de sport cinq fois par semaine. Quant à Chantal, elle fait de l’aquagym et de la randonnée.

Ainsi, chaque retraité met en place des pratiques corporelles spécifiques en fonction de ses représentations sur la santé et sur le corps. Cette expérience de la pratique physique et sportive repose sur le paradoxe d’amplifier la perception du processus de dégradation physique en même temps qu’elle contribue à y résister et à repousser la sensation du vieillir. En reprenant la typologie des cultures du corps et des formes de vieillir de Hénaff-Pineau (2009), nous nous apercevons que la prise en main du vieillissement et les stratégies corporelles adaptées des retraités du type 1 correspondent au type de la modération.

« Cette vision d’une santé en équilibre qu’il faut activer sans à-coups, répond parfaitement à la règle du ‘‘ni trop, ni trop peu’’. C'est un entretien physique et non une performance qu’il faut poursuivre pour conserver l’intégrité corporelle. Faire une activité à son niveau et à sa vitesse et éviter les sports trop rapides, trop intenses qui feraient encourir des risques inutiles. La compétition est alors inadaptée à l’âge » (Hénaff-Pineau, 2009, p. 79).

Nous sommes donc en présence de retraités qui pratiquent une activité physique et sportive dans la recherche d’une qualité de vie et d’entretien du corps, dont la principale motivation est la volonté de prendre soin de soi et d’être toujours en forme, comme nous le dit Françoise (fr) car il n’est pas question de ne rien faire à la retraite. Dès lors, pratiquer une activité physique et sportive devient l’une des dimensions pour accéder à un vieillissement en bonne santé et est positionnée comme telle par les pouvoirs publics via les différentes injonctions de programmes français (Nutrition Santé en 2001, 2006 et 2011 ou du Plan National du Bien Vieillir en 2007). Ces programmes l’indiquent dans leur document de travail, comme nous le montrons par cet extrait du Plan National du Bien Vieillir :

130 « On dispose depuis longtemps de données cliniques montrant les effets positifs et durables de l’activité physique sur la santé. L’activité physique améliore la santé et le bien-être. Elle doit être considérée comme une modalité thérapeutique à part entière et validée dans la prise en charge de nombreuses pathologies. L’activité physique inclut tous les mouvements effectués dans la vie quotidienne, elle ne se réduit pas à la seule pratique sportive ou de loisirs intensifs. Pour les personnes âgées, les activités physiques préviennent la dépendance physique, les chutes et contribuent à une meilleure qualité de vie. Elles participent au recul du sentiment de diminution des capacités physiques. Elles constituent également un support privilégié en termes d’intégration sociale et de solidarité » (Plan National du Bien Vieillir, 2007, p. 11).

La pratique sportive des retraités du type 1 entre donc en adéquation avec leur volonté de rechercher une meilleure qualité de vie. A cela s’ajoute leur volonté de ne pas ségréger leur activité par l’âge et de repousser toutes activités à effectuer avec leurs pairs. Il y a donc un refus net d’activités intra générationnelles affirmé.

Il me faut des gens de tout âge, surtout pas que des gens de mon âge, je les trouve chiants, pas toujours, c'est sûr, j’ai quelques amies qui ont mon âge et qui sont absolument géniales mais je ne veux pas des gens de mon âge dans des activités (Chantal, fr).

Je participe à un club de lecture à la bibliothèque où nous échangeons sur nos lectures avec les bibliothécaires, mais ce n'est pas un truc de retraités, pour l’instant je refuse de façon claire et nette, les associations de retraités, je ne me vois pas du tout dans une association de retraités pour l’instant, peut-être que dans dix ans, quinze ans, on verra. Il y a une université libre au Raincy, où j’ai fait deux, trois conférences, mais ce sont essentiellement des retraités, et je refuse d’y aller (Françoise, fr).

Par les deux verbatims de Chantal et de Françoise, nous constatons ce refus catégorique de participer à des activités intra-générationnelles. Or, lorsque nous faisons bien attention, nous nous rendons compte que leurs dires diffèrent de leurs actes, car pour bon nombre, les activités sont réalisées dans des associations intra-générationnelles. A cet égard, Lire et Faire Lire est une association dont le recrutement s’effectue à partir de cinquante ans. Certes, les retraités ne se côtoient pas régulièrement, hormis lors des séances de formation, et choisissent l’association pour la rencontre avec les enfants et non pour les critères de recrutement. Ainsi,

131 nous comprenons que même s’ils participent à des associations avec des retraités, le but est ailleurs, et ils n’endossent pas, à proprement parler, la cause des retraités.

Enfin, leur position face à la catégorie des retraités découlent de ce qui précède c'est-à-dire qu’ils ne se considèrent pas comme « vieux », ils refusent de se nommer retraités même s’ils ont voulu et choisi leur retraite. Pour eux, la retraite est consacrée au temps pour soi, sans accepter le statut de retraité, considéré comme dévalorisant. Ils rejettent les stéréotypes de la retraite-retrait, soit du retraité en repos à son domicile. A partir de deux séries d’entretiens réalisées d’une part auprès de personnes âgées de plus de quatre-vingts ans sur les trajectoires et l’expérience du vieillissement, et d’autre part auprès de personnes âgées de plus de soixante-quinze ans sur le rapport aux médias domestiques, Caradec (2004) expose deux manières de se définir par rapport à la vieillesse : ne pas être vieux et être vieux, ainsi que le rôle des autres dans la définition de soi par rapport à la vieillesse. Ce cadre théorique peut être repris afin d’éclairer les redéfinitions de soi d’enquêtés plus jeunes par rapport à la retraite et au statut de retraité.

Dans un premier temps, les retraités peuvent se définir par rapport à la vieillesse soit en refusant de se considérer vieux, ou retraité, comme c'est le cas pour les retraités du type 1, soit en acceptant l’être vieux.

Dans un second temps, afin de se définir par rapport à la vieillesse, Caradec montre bien que les autres interviennent à la fois dans les interactions que les individus peuvent avoir avec eux, ainsi que dans la comparaison que ces individus peuvent faire avec autrui.

Si nous reprenons le cadre théorique de Caradec (2004), nous remarquons que les enquêtés du type 1 « agencement pour soi » refusent le fait d’être retraité et opèrent une comparaison d’eux-mêmes vis-à-vis de leurs pairs afin de mieux se redéfinir dans cette nouvelle période de vie. A cet égard, Patrick nous explique son ressenti quant au statut de retraité :

Je ne dis pas que je suis retraité, je ne dis pas forcément que j’ai arrêté, je parle avant tout de ce que je fais, de ce qui me valorise, retraité pour moi cela signifie être en dehors, ne plus faire partie du monde, de l’économie, de la société, se renfermer sur soi et son domicile, or je considère que je fais encore partie de la vie, que j’ai encore beaucoup de choses à faire, et donc je n’aime pas me présenter en tant que retraité pour cela (Patrick, qc).

132 Quant à Lydie (fr), sa citation suivante est éloquente. Effectivement, elle indique ce qu’elle ne veut pas être en comparaison avec autrui, pour affirmer par suite ce qu’est la retraite pour elle, soit demeurer active.

Lydie : Cela permet de ne pas être au rencard [le fait de cumuler un emploi et une retraite], eh bien en fait c'est ne plus avoir d’activité particulière, par exemple il y a une fille qui est née à 4 jours de distance de moi et qui habite dans mon bled à la campagne avec son mari, et tous les deux ils sont à la retraite mais ils l’ont prise assez volontairement et quand ils ont eu soixante ans, ils se sont dit on arrête de bosser et ils ont été salariés plein temps et quand je les vois, parce que cela fait plusieurs années que je les vois, mais quelle horreur, jamais cela c'est-à-dire qu’ils n’ont rien à faire de la journée, alors ils se promènent, ils ont un chien, ils vont promener le chien deux heures le matin, deux heures l’après-midi, ils s’occupent de leur santé, ils ont toujours plein de petits bobos, quand on les voit c'est ah comment cela va, ah bien comme des vieux, ils ont mon âge, alors cela…

Q : Comme des vieux… ?

Lydie : Ils ressemblent vraiment à des vieux, et pourtant, à la télé, on nous montre toujours des vieux actifs, mais on a toujours l’impression que c'est de la pub, il y a des trucs comme cela, ceci dit personnellement j’ai quand même l’intention d’être active quelle que soit mon activité, j’ai l’intention d’être active.

Caradec mentionne, au même titre que nous le faisons ici avec les retraités du type 1, la correspondance entre ce jugement comparatif et le fait de rejeter l’être vieux, ou ici l’être retraité. « Pour se définir à distance de la vieillesse, ils s’appuient en effet sur diverses images, sans que l’on sache toujours si elles proviennent de stéréotypes ou si elles constituent des généralisations effectuées à partir de comportements réellement observés » (Caradec, 2004, p. 151). Lydie base sa comparaison sur un exemple de proches qu’elle juge vieux et donc nettement plus âgés qu’elle.

Au total, les retraités du type 1 « agencement pour soi » polarisent leur organisation temporelle sur le temps pour soi, ils sont autonomes dans cette structuration, au même titre que ce qu’ils étaient dans leur vie professionnelle. Ils ont préparé stratégiquement leur retraite, indiquant également cette autonomie d’action. La recherche est avant tout celle de l’hédonisme. Ces retraités se positionnent contre l’identité statutaire du « retraité-vieux ». Dès lors, nous avons affaire à une population majoritairement française pour ce type 1 ce qui peut s’expliquer assez aisément de par les différences évoquées précédemment mais également par

133 la société française qui favorise nettement plus que le Québec le comportement d’un retraité consommateur de temps pour soi.