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L’objectif de ma thèse est de mieux comprendre comment le public interprète les travaux de génétique des comportements et les travaux de génétique des races. D’autres

recherches ont auparavant abordé des enjeux semblables selon un angle d’approche différent. Comme je l’ai rapidement mentionné plus tôt, la psychiatrie a commencé à explorer l’influence de la génétique sur les désordres mentaux dès le début des années 90. Certaines études ont alors suggéré que des maladies, telles que la schizophrénie, puissent être fortement liées à la génétique d’un patient. De plus, différentes recherches ont associé la génétique à la violence ainsi qu’à la dépendance au jeu et aux substances. Plusieurs de ces travaux ont eux aussi fait les manchettes, ce qui a entraîné certains chercheurs en sociologie à se questionner sur la stigmatisation et la discrimination qui pourraient être induites par une augmentation de l’attribution génétique pour les maladies mentales (Phelan 2005). Deux méta-analyses récemment publiées (Kvaale, Gottdiener et Haslam 2013, Kvaale, Haslam et Gottdiener 2013) suggèrent qu’une plus grande attribution génétique contribue à réduire la perception que le sujet affecté est responsable de sa situation, mais qu'elle augmente également la distance sociale et favorise le recours à des solutions pharmaceutiques ou à l’internement, selon le problème présenté (Harré 2001, Walker et Read 2002).

Peu de travaux ont porté sur l’influence des nouvelles sur la génétique des races. Un article scientifique, celui écrit par Williams et Eberhardt (2008), apporte certainement l’une des contributions les plus importantes à ce sujet. L’une des cinq études qu’ils ont produites consistait en une expérience d’amorçage insérée dans un sondage web conduit auprès de 284 étudiants hommes de race blanche ou asiatique. Les participants étaient aléatoirement divisés en trois groupes. Un tiers de l’échantillon était exposé à un article intitulé « Scientists Pinpoint Genetic Underpinnings of Race », un autre tiers est exposé à un autre article intitulé « Scientists Reveal That Race Has No Genetic Basis », et le dernier tiers forme un groupe contrôle, sans article. Les participants étaient ensuite exposés à une vidéo où un homme racontait qu’il s’était fait mettre à pied par son employeur. Les chercheurs ont manipulé aléatoirement la race de la personne dans le vidéo. L’étude montre que, comparativement aux participants des deux autres groupes, ceux exposés à l’article de nouvelle sur la génétique des races étaient ensuite moins susceptibles d’indiquer qu’ils auraient souhaité tisser des liens d’amitié avec la personne dans la vidéo s’ils devaient la rencontrer dans la vraie vie. Comme prédit par les auteurs, cet effet de plus grande distance sociale ressort seulement si la vidéo présentait une personne de race différente de celle du participant. Les chercheurs présentent

également une autre expérience qui impliquait elle aussi la lecture de l’un des deux articles sur les races, mais qui mesurait cette fois la distance sociale dans un contexte où les participants étaient assignés à travailler en équipe avec une personne de race différente de la leur. Les résultats supportent les conclusions de la première étude : les sujets exposés à l’article sur la biologie des races rapportaient ensuite être moins enclins à travailler à nouveau avec le partenaire auquel ils avaient été assignés.

La rapidité des développements en génétique ne fait que réaffirmer l’actualité et la pertinence des recherches précédentes. Ma contribution s’en distingue tout en les complétant. Mes travaux s’insèrent à la frontière de la psychologie politique et de la communication de la science. La dernière vague de recherches en génétique des comportements, dont la génopolitique fait partie, explore l’influence de la génétique sur des traits qui sont à priori perçus comme très distants de l’influence de la biologie. Les données d’opinion publique sur les croyances populaires à l’égard de la génétique confirment que l’attribution génétique est faible pour l’alcoolisme ou la violence, et elle est certainement encore plus faible pour la participation électorale. Ma recherche vise d’abord à comprendre comment le public interprète des développements scientifiques qui sont incohérents avec ses croyances. Quant à la génétique des races, les rares travaux sur cette question ont exposé les participants à une information confirmant que les différences raciales sont causées par des différences génétiques. Or, le consensus scientifique contemporain tend plutôt à minimiser la pertinence biologique du concept de race. Ma recherche vise donc à vérifier si le public adapte ses croyances lorsqu’exposé à ce consensus scientifique.

Ma thèse prend la forme d’une thèse par articles. La contribution empirique de ma thèse s’appuie principalement sur la méthode expérimentale. Le Chapitre 2 est une contribution pédagogique qui entreprend d’expliquer les fondements, avantages et limites de cette méthode lorsqu’elle est appliquée aux sciences sociales en général et à la science politique plus particulièrement. Ce chapitre méthodologique devrait permettre au lecteur de mieux comprendre la contribution empirique de mes travaux. Le chapitre deux est corédigé par le professeur Erick Lachapelle (science politique, Université de Montréal).

La plupart des travaux de génétique des comportements qui sont rapportés dans les nouvelles suggèrent un lien de causalité entre la génétique et un comportement social en

particulier. Le Chapitre 3 tente de répondre à la question suivante : comment le public interprète-t-il les travaux de génétique des comportements? L’analyse révèle un phénomène préoccupant : les participants exposés à une nouvelle sur la génétique des comportements ont tendance à généraliser l’influence de la génétique à d’autres caractéristiques non mentionnées dans la nouvelle, telles que l’intelligence, l’orientation sexuelle, les habiletés mathématiques, les problèmes de jeu, l’alcoolisme et l’obésité. Ces résultats soulèvent un paradoxe éthique : en tentant d’améliorer les connaissances du public à l’égard des derniers développements en génétique des comportements, les journalistes contribuent à générer des croyances qui ne sont pas fondées sur des évidences scientifiques. Cet effet secondaire va à l’encontre de la vocation éducative de la vulgarisation scientifique.

Le Chapitre 4 aborde une seconde question de recherche en lien direct avec les résultats de l’étude précédente : certains éléments du contenu des nouvelles contribuent-ils à accentuer cette généralisation hâtive de la part des lecteurs? Ce chapitre vise plus particulièrement à vérifier si certains types de résultats de recherche sont plus susceptibles d’être mal interprétés. Deux types de résultats retiennent mon attention : 1) les estimés d’héritabilité calculés à partir d’études de jumeaux; 2) les résultats préliminaires provenant de la génétique comportementale appliquée à l’échelle des populations humaines. Les analyses indiquent que les participants sont en effet sensibles au type d’information qui leur est présenté dans la nouvelle. De plus, cette étude montre qu'en prenant certaines précautions, il est possible de communiquer la génétique des comportements sans induire une généralisation hâtive chez le public. Mon coauteur, James H. Fowler (science politique et génétique humaine, UCSD), et moi, nous appuyons sur ces résultats pour élaborer des recommandations à l’attention des journalistes qui voudraient améliorer leur couverture des travaux de génétique des comportements.

Le Chapitre 5 laisse la génétique des comportements de côté et se penche plutôt sur la communication des travaux produits par un autre champ de recherche, celui de la génétique des races. Aux États-Unis, comme nous l’avons vu plus tôt, une petite proportion de la population caucasienne persiste à croire que le plus faible statut socio-économique des Afro- Américains est en partie attribuable à des limitations ancrées dans des prédispositions génétiques raciales. L’une des premières découvertes tirées du Projet génome humain est le

constat que les différences génétiques entre les groupes ethniques sont trop infimes pour que la conception biologique des races s’applique à l’espèce humaine (Genome.gov, 2000). Cette troisième étude aborde la question suivante : la diffusion des nouvelles sur cette découverte pourrait-elle contribuer à influencer les croyances de celles et ceux qui persistent à croire que les inégalités raciales sont causées par la génétique? Cette étude s’appuie principalement sur des recherches en psychologie politique, plus précisément sur la théorie du raisonnement motivé, ainsi que sur les biais de confirmation et de non-confirmation. Ma recherche montre que l’interprétation de la nouvelle dépend de l’idéologie politique d’une personne. Les analyses indiquent que les libéraux acceptent la nouvelle et adaptent leurs croyances en conséquence, alors que les conservateurs la rejettent. Cette étude s’ajoute à un courant de recherche qui présente la structure des croyances préexistantes comme un élément pouvant faciliter ou entraver l’acceptation des nouveaux développements scientifiques. Ce chapitre est corédigé par Elizabeth Suhay (science politique, American University) et Toby Jayaratne (santé comportementale et communication de la santé, Université du Michigan).

Le Chapitre six fait un retour sur les contributions de ma thèse en insistant sur les implications des résultats, les limites des analyses et en avançant des pistes pour la suite de la recherche. Plusieurs des vertus associées à la communication de la science reposent sur le postulat que le public interprète adéquatement l’information qui lui est présentée et qu’il adaptera ses croyances comme il se doit. Or, les travaux rassemblés dans ma thèse de doctorat remettent sérieusement en question la validité de ce postulat. En effet, les conclusions de mes trois études empiriques montrent que différents biais psychologiques affectent l’interprétation de la nouvelle scientifique, si bien que certaines des croyances qui en découlent compromettent l’atteinte des objectifs de la vulgarisation de la science. Plutôt que d’adopter une attitude pessimiste face à ce constat, je soutiens plutôt que si, comme je l’ai fait dans ma thèse, il est possible d’utiliser les expériences pour vérifier comment le public interprète les nouvelles, il est également possible d’utiliser cette méthode afin de tester et d’améliorer l’efficacité des outils de communication scientifique.