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Section 3. La recherche en génopolitique

3.3 La génétique et l’idéologie politique

L’influence des prédispositions génétiques sur le conservatisme et le libéralisme a également fait l’objet de plusieurs études. Les études de jumeaux publiées par Alford, Funk et Hibbing (2005) ont pour ainsi dire inauguré l’agenda de recherche de la génopolitique. Les auteurs reprennent les données américaines et australiennes produites et analysées près de quinze années auparavant (Eaves, Heath, Martin, Maes, Neale, Kendler, Kirk et Corey 1999, Bauer, Allum et Miller 2007, Martin, Eaves, Heath, Jardine, Feingold et Eysenck 1986) et arrivent à la conclusion que la génétique explique entre 32 et 42% de la variation dans l’idéologie politique. Plusieurs autres études de jumeaux ont par la suite répliqué et raffiné ces résultats initiaux (Hatemi, Funk, Medland, Maes, Silberg, Martin et Eaves 2009, Hatemi, Hibbing, Medland, Keller, Alford, Smith, Martin et Eaves 2010, Smith, Alford, Hatemi, Eaves, Funk et Hibbing 2012, Bell, Schermer et Vernon 2009, Funk, Smith, Alford, Hibbing, Eaton, Krueger, Eaves et Hibbing 2013). Settle, Dawes, Christakis et Fowler (2010) s’intéressent aux gènes qui pourraient être impliqués dans le développement de l’idéologie politique. Leur étude suggère que la taille du réseau social d’une personne pendant son adolescence est associée au développement d’une idéologie libérale, mais seulement chez ceux

qui possèdent la forme du gène DRD4 qui est associée au trait de personnalité novelty seeking, soit la tendance à rechercher des expériences nouvelles stimulantes. Deux articles ont ensuite adopté la dernière méthode développée en science de la génétique : l’étude à l’échelle du génome. Cette méthode adopte une démarche exploratoire qui consiste à rechercher systématiquement les sections du génome dont les changements covarient avec le trait à l’étude. Les résultats offrent des pistes de recherche pour les études suivantes, mais la confiance accordée aux résultats est fortement dépendante du nombre d’observations dans l’étude. À cet effet, il ne semble pas surprenant que l’étude portant sur plus de 13 000 participants australiens ait offert certaines pistes (Hatemi, Gillespie, Eaves, Maher, Webb, Heath, Medland, Smyth, Beeby et Gordon 2011) alors que celle portant sur 2300 Suédois n’ait pas révélé de relations significatives (Benjamin, Cesarini, van der Loos, Dawes, Koellinger, Magnusson, Chabris, Conley, Laibson et Johannesson 2012).

Les travaux portant sur l’influence de la génétique sur l’idéologie politique ont eu une répercussion médiatique au moins aussi importante que ceux portant sur la participation électorale. L’étude de jumeaux de Alford, Funk et Hibbing a été couverte dans le New York

Times (Carey 2005), USA Today (Bratton 2006), et the New Scientist (Gilles 2008). Hibbing a

participé à l’émission télévisée The Daily Show avec Jon Stewart en octobre 2008 pour parler de ses recherches. Plusieurs autres articles portant sur la biologie et la neurologie de l’idéologie politique mentionnaient l’influence génétique : voir The Globe and Mail (Wente 2011) et The New York Magazine (Issenberg 2012).

En mai 2014, un article publié dans le journal académique Behavior Genetics par certains des ténors de la génopolitique soulève plusieurs questions importantes. Dans une première section, Hatemi et al (2014) les auteurs rassemblent les données d’études de jumeaux provenant de cinq pays différents, collectées sur une période de 40 ans, mesurant l’idéologie d’une multitude de manières et rassemblant un échantillon total de 12 000 paires de jumeaux. La méta-analyse de ces données révèle une héritabilité sommaire de 40%. Dans une seconde section, l’étude ressemble des données d’ADN provenant de deux échantillons australiens et d’un échantillon suédois, rassemblant un total de 11 388 individus. Les auteurs produisent une méta-analyse des résultats d’analyse à l’échelle du génome afin de maximiser la puissance des tests statistiques. Les résultats sont percutants : malgré la taille de l’échantillon, aucune région

du génome n’est significativement associée à l’idéologie politique. Comment expliquer le contraste entre ce constat et l’héritabilité très robuste des études de jumeaux? Les auteurs interprètent ces résultats comme une évidence de la très grande complexité de l’influence de la génétique, laquelle repose certainement sur des centaines interactions complexes impliquant des gènes ayant de très petits effets et dont la détection nécessitera de très grands échantillons.

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Dans cette section, j’ai souligné le type de considérations scientifiques qui auraient stimulé l’émergence de la recherche en génopolitique. D’autres facteurs ont certainement joué un rôle, mais il semble que l’enlisement de la recherche sur l’opinion publique ait en partie contribué au développement de la recherche en psychologie politique. Or, à l’intérieur de la discipline de la psychologie, l’étude de l’influence de la biologie est un champ d’une très grande importance. Ainsi, peut-être n’est-il pas si surprenant que la psychologie politique se soit elle aussi penchée sur cette question? Dans cette section, j’ai également résumé certaines des plus importantes contributions de la génopolitique, j’ai discuté de la couverture médiatique qui en a été faite et j’ai soulevé les questionnements qui marquent ce jeune champ de recherche.

L’objectif de cette thèse n’est pas de porter un regard critique sur la génopolitique. D’autres chercheurs ont déjà émis leurs réserves concernant soit la validité de certaines des méthodes utilisées (Shultziner 2013, Charney et English 2012a, Stewart 2014), soit l’attitude d’entêtement des chercheurs en génopolitique, une attitude qui, toujours selon la critique, mène ces chercheurs à abaisser leurs normes de rigueur scientifique (Charney et English 2013). D’autres ont remis en question la pertinence de s’attarder à l’influence de la génétique sur les traits politiques ainsi que l’apport réel de ce champ de recherche à la discipline (Bartels 2013).

Cette thèse abordera plutôt une question qui n’a pas encore été soulevée dans la littérature. Comme on l’a mentionné, la recherche en génopolitique a suscité un intérêt considérable de la part des journalistes scientifiques, lesquels ont choisi d’apporter certaines

de ses conclusions à l’attention du public. Malgré la grande pertinence sociale de plusieurs recherches en science politique, force est d’admettre qu’il est relativement rare que ses travaux fassent les manchettes, ou du moins qu’elles rejoignent un public aussi large que celui atteint par les nouvelles portant sur la génopolitique. Une question fort intéressante reste toujours sans réponse : comment le public exposé à la génopolitique a-t-il interprété ses conclusions?

D’autres disciplines des sciences sociales observent en leur sein l’émergence de champs de recherche qui entreprennent d’étudier l’influence de la génétique. C’est le cas de l’économie et de la sociologie, où certains développements en génétique des comportements ont également fait l’objet d’une couverture médiatique (Kuhnen et Chiao 2009, Freese 2008). Mes travaux vérifient si l’exposition à ce type de nouvelles a un impact sur les croyances des gens à l’égard de l’influence de la génétique.