• Aucun résultat trouvé

Combien d’articles scientifiques sont publiés chaque année? Le nombre exact est difficile à estimer, mais ce nombre est certainement très grand et il augmente sans doute d’année en année. On pourrait probablement comparer l’analyse de l’évolution historique du nombre d’articles scientifiques publiés à d’autres travaux qui visent à évaluer l’évolution de la population mondiale au cours des quatre derniers siècles. Les calculs reposent sur des données dispersées, manquantes pour certaines années et certaines régions. Les rares études à proposer des estimations suggèrent qu’aux environs de l’an deux mille, c’était approximativement 1 million d’articles scientifiques revus par les pairs qui étaient publiés annuellement (Cope et Phillips 2014, Jinha 2010). Historiquement, le nombre total de journaux académiques actifs augmenterait d’environ 3% chaque année (Mabe 2003), mais les tendances varient évidemment d’une discipline à une autre (Larsen et von Ins 2010).

Supposons que, selon une interprétation prudente de ces chiffres, il se soit publié 1 million d’articles scientifiques en 2013. Si chaque journaliste scientifique devait en faire la revue exhaustive, il devrait en lire quelque 2740 par jour. Cette proposition est évidemment absurde, mais elle permet de mettre en évidence deux réflexions intéressantes. D’abord, il est raisonnable de supposer que le nombre d’articles de vulgarisation scientifique publiés évolue à un rythme beaucoup plus lent. Cette différence implique, de manière logique, que le public est exposé à une proportion de moins en moins grande de toute la recherche produite. Cette tendance n’est pas nécessairement problématique en soi, puisque ce public ne serait de toute façon pas en mesure d’absorber une aussi grande quantité de nouvelles connaissances. En revanche, cette tendance nous amène vers un second constat : les journalistes scientifiques ont encore plus l’embarras du choix aujourd’hui qu’ils ne l’avaient auparavant. C'est à eux que revient le rôle de choisir lesquelles de ces recherches méritent l’attention du public. L’offre est d'autant plus grande que la numérisation des journaux scientifiques

augmente grandement l’accessibilité de la science. Mais sur la base de quels critères les journalistes devraient-ils choisir les recherches qu’ils présenteront au public? Un retour aux objectifs de la vulgarisation scientifique pourrait offrir certaines pistes de réponse.

En introduction, j’ai présenté les conclusions d’un groupe d’experts britanniques qui avaient été mandatés afin de recenser les bénéfices potentiels de la vulgarisation scientifique pour la société (The Royal Society 1985). Certains des effets souhaités étaient d’ordre économique ou nationaliste, mais au moins deux avaient trait à l’éducation des citoyens. Le premier stipulait que la vulgarisation scientifique pouvait aider les gens à mieux comprendre plusieurs des enjeux qui touchent la société contemporaine. Cet effet pourrait être généré, selon ces experts, par les nouvelles qui présentent des initiatives en science des technologies, ou par d'autres qui couvrent les développements en médecine ou les impacts des changements environnementaux. Cette meilleure compréhension aiderait les membres du public à mieux évaluer les discours produits par les représentants des intérêts impliqués, menant ainsi à la formation d'opinions plus éclairées. Cet effet à l’échelle individuelle se refléterait à plus grande échelle sur la qualité des débats et sur la santé de la démocratie. La seconde contribution de la vulgarisation scientifique serait le développement de connaissances et d’aptitudes chez les individus, telles que des habiletés mathématiques ou le sens critique, qui les aideraient à devenir plus autonomes au quotidien.

Au moment où ces lignes sont écrites, une épidémie d’Ebola frappe certaines régions d’Afrique. En quelques semaines, le virus a déjà causé plus d’un millier de morts. Dès les débuts de l’épidémie, les journalistes scientifiques ont présenté au public plusieurs informations importantes afin de leur permettre de mieux comprendre la nature du virus, ses symptômes et ses voies de transmission. Les médias suivent également de très près la dispersion géographique de la maladie et les études des chercheurs qui tentent de développer des remèdes. Ce type de couverture correspond bien, à mon avis, à un journalisme scientifique qui vise à aider le public à comprendre le développement des affaires publiques, des développements qui sont ici d’une grande importance.

L’objectif de ma thèse de doctorat était de mieux comprendre comment le public interprète les nouvelles scientifiques. Mes recherches ont tenté d’apporter des réponses partielles aux deux questions suivantes : comment le public interprète-t-il les nouvelles

portant sur les travaux de génétique des comportements? Et comment le public interprète-t-il les nouvelles portant sur les travaux de génétique des races? J’ai choisi de m’intéresser à ces recherches en particulier pour trois raisons.

La première de ces raisons est liée au fait qu’il est établi dans la communauté scientifique que la plupart des effets de la génétique humaine sont extrêmement complexes à cerner (Manolio et al 2009, Eichler et al 2010, Zuk et al 2012). Au cours de la dernière décennie, la recherche en génétique a connue une accélération remarquable, et ce principalement grâce à l’émergence de nouvelles technologies de séquençage d’ADN plus rapides et moins dispendieuses que leurs prédécesseures (Mardis 2008). Malgré cette accélération, l’évolution des connaissances se poursuit à un rythme plus lent que celui anticipé. Deux éléments contribuent à cette déception. Le premier est l’ampleur des promesses que laissaient miroiter les promoteurs du Projet génome humain, une surenchère qui fait aujourd’hui l’objet de plusieurs critiques (Evans, Meslin, Marteau et Caufield 2011). Le second élément est le constat que très peu de traits humains sont entièrement déterminés par la forme que prennent quelques gènes. Par conséquent, l’influence de la génétique sur les humains doit souvent être décrite en des termes probabilistes, atténuant ainsi l’espoir que cette discipline devienne un jour une science exacte. Ainsi, chaque publication apporte une contribution incrémentale à la littérature. Certaines études ont d’ailleurs mis en lumière l’existence de biais de publication important (Munafo, Matheson et Flint 2007), des biais susceptibles de nuire à l’accumulation des connaissances. Or, la complexité des recherches en génétique contraste de manière effarante avec la simplicité de la couverture journalistique qui en est habituellement faite. Il m’a semblé probable que cette couverture contribue à creuser un écart entre les conclusions d’une recherche et l’interprétation que le public pourrait tirer de sa vulgarisation scientifique.

La seconde raison qui m’a poussé à étudier la manière dont le public interprète la génétique des races et la génétique des comportements est le fait que plusieurs de ces travaux suscitent la controverse. Chez certains observateurs, étudier les différences génétiques entre les races est synonyme d’admettre que ces différences sont importantes. À cet effet, il n’est pas rare que ces travaux soient, à tort ou à raison, accusés de faire la promotion d’attitudes racistes (Roberts 2011. Shiao 2014, HoSang 2014, Alper et Beckwith

2002). Quant à la génétique des comportements, on lui reproche plutôt d’utiliser un langage et de présenter des conclusions qui font la promotion d’un déterminisme génétique, et ce, malgré l’insistance des chercheurs sur la nature probabiliste des effets décelés (Parens, Chapman, et Press 2006, Nelkin et Lindee 1995). Puisque ces recherches font l’objet de malentendus dans le monde académique, il m’a semblé d’autant plus intéressant d’étudier l’interprétation qu’en fait le public.

Enfin, la troisième raison qui a motivé ma démarche était l’incertitude concernant les motivations qui pouvaient justifier la diffusion des recherches de génétique des comportements dans les médias. Bien que certains travaux soient d’avant-garde, la compréhension de l’influence de la génétique est encore à ce point partielle qu’il semble fort probable que ces recherches seront rapidement dépassées par de nouveaux développements. Ainsi, comme d’autres avant moi, je suis resté perplexe sur la pertinence de communiquer ce type de recherches au public.

§

Ce chapitre est divisé en trois sections. La première présente un sommaire de mes recherches. J’insisterai sur les processus cognitifs qui sont les plus susceptibles d’expliquer les effets médiatiques étudiés. La seconde section examine les implications de mes recherches pour la science politique, plus particulièrement pour la génopolitique et la psychologie politique. La troisième section développe une réflexion sur les implications de ma recherche pour la communication scientifique. L’ensemble de mes travaux mène à un constat dérangeant : dans certains contextes, la vulgarisation scientifique peut nuire à la compréhension de la science. Je soutiens que, lorsque de telles situations se présentent, les risques associés à la communication scientifique dépendent principalement de deux éléments : la taille des effets indésirables et leur persistance dans le temps. Enfin, je conclurai ce chapitre et cette thèse en suggérant des recommandations aux journalistes scientifiques et en proposant des pistes pour de futures recherches.