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L’influence perçue de la génétique sur les différences raciales

Section 4. Les croyances à l’égard de l’influence de la génétique

4.2 L’influence perçue de la génétique sur les différences raciales

La plupart des caractéristiques qui permettent à une personne de s’identifier elle-même comme faisant partie d’un groupe ethnique ou de désigner une autre personne comme faisant

partie d’un groupe ethnique sont des traits biologiques : la couleur de la peau, la forme des yeux, le type de cheveux, la taille, etc. Comme nous venons de le constater, il s’agit exactement du type de traits qui sont perçus, la plupart du temps à juste titre, comme étant fortement influencés par la génétique humaine. Dans cette perspective, il n’est pas erroné d’affirmer que les races ont certains fondements biologiques.

L’argument qui est toutefois avancé de manière plus ou moins assumée par certains ouvrages, tels que The Bell Curve (Herrnstein et Murray 1994) et A Troublesome Inheritance (Wade 2014c), soutient de plus que les différences d’aptitudes et de comportements observées entre les groupes raciaux sont, elles aussi, attribuables à des différences génétiques. L’idée que les différences sociales entre les groupes ethniques sont en partie causées par la génétique n’est pas nouvelle, au contraire. Pendant des siècles, différents intellectuels ont fait la promotion de la supériorité de leur race sur celle des « autres », plus sauvages, moins civilisés (Kevles 1985). Nul besoin de rappeler en détail les arguments utilisés par les nazis afin de justifier les traitements qu’ils ont fait subir aux Juifs. Il est cependant pertinent de rappeler qu’à plusieurs périodes de l’histoire, les penseurs racistes, nationalistes ou chauvinistes ont appuyé leur thèse sur quelques travaux perçus alors comme scientifiques: la phrénologie, la craniométrie, ainsi que la théorie de l’évolution, ou l’eugénisme selon Galton (1904, Allen 1997). De ce fait, la justification des inégalités raciales par des différences génétiques a longtemps été et reste encore aujourd’hui associée au racisme.

Les données les plus complètes sur les croyances du public à l’égard du rôle de la génétique sur les différences raciales proviennent des États-Unis. Cette abondance ne relève évidemment pas du hasard, puisque l’enjeu de la ségrégation raciale a fortement polarisé l’opinion publique au cours des années 1960 et 1970. Depuis 1977, le General Social Survey (GSS), un sondage d’un échantillon représentatif de la population américaine, pose périodiquement la question suivante aux Américains :

On average (Blacks/African-Americans) have worse jobs, income, and housing than white people. Do you think these differences are because most (Blacks/African-Americans) have less in-born ability to learn?

Yes No

Don’t know (volunteer) Refuse (volunteer)

D’autres travaux ont déjà présenté des analyses des réponses à cette question (Hunt 2007, Kluegel 1990). Ces études ont révélé une baisse significative dans l’attribution génétique pour les inégalités raciales. Puisque le GSS a collecté d’autres données depuis la publication de ces études, il m’a semblé nécessaire de réévaluer cette tendance à l’aune des derniers sondages. La Figure 1.3 illustre l’évolution temporelle de la proportion des répondants choisissant l’option « oui » à la question qui leur est posée. Considérant que celle- ci est formulée d’une telle manière qu’elle semble s’adresser d’abord à un public caucasien, seules les réponses des répondants s’identifiant à ce groupe ethnique sont ici rapportées.

Comme ce graphique l’indique, la tendance observée par les études précédentes ressort à nouveau. En l’espace de 35 années, la proportion des Blancs adoptant cette croyance a diminué de 17.5 points de pourcentage, passant de 25% en 1977 à 7.5% en 2012. Il semble que la tendance négative était plus prononcée avant le milieu des années 90. Par la suite, les croyances semblent se stabiliser, variant entre 7.5% et 11.2%. En somme, les données du GSS indiquent que de nos jours seule une petite minorité de Blancs américains persiste à croire que le plus faible statut socioéconomique des Noirs est attribuable à des différences génétiques.

Figure 1.3 Attribution des inégalités raciales à des causes génétiques

§

Comme nous venons de le voir dans cette section, il existe une littérature assez vaste sur la distribution des croyances à l’égard de l’influence de la génétique. Plusieurs questions restent toutefois en suspens. D’un côté, les variations dans les formulations des questions de sondages utilisées afin à mesurer l’attribution génétique pour les traits humains limitent la comparabilité des études entre elles et rendent impossible le suivi de l’évolution des croyances dans le temps (voir sous-section 2.1). De l’autre, les travaux sur l’attribution génétique concernant les différences raciales se sont pour ainsi dire limités à l’étude d’un seul trait, soit celui des aptitudes à l’apprentissage (voir section 2.2). Malgré ces limites, deux grandes tendances ressortent.

D’abord, nous avons constaté que l’attribution génétique à l’égard des caractéristiques humaines est structurée de manière cohérente. L’attribution génétique pour un trait est négativement corrélée avec la distance perçue de ce trait par rapport à sa « source » biologique. Ce constat peut sembler quelque peu tautologique, puisque tout ce qui est génétique est par le fait même biologique. Toutefois, plusieurs des phénomènes qui affectent les humains sont biologiques sans qu’ils ne soient nécessairement causés par la génétique. Les réponses au sondage britannique nous indiquent que le public comprend ces nuances. L’attribution génétique est plus forte pour les traits physiques, et plus faible pour les comportements déviants et les problèmes psychologiques. De plus, le public entretient une faible attribution génétique moyenne pour les maladies virales, telles que la grippe ou la rougeole. Ces données suggèrent que le public possède au moins une compréhension sommaire de l’influence de la génétique sur les traits humains.

En second lieu, l’analyse des données agrégées aux États-Unis montre clairement que la population blanche est de moins en moins encline à attribuer les inégalités vécues par les Afro-Américains à une infériorité raciale héréditaire. Certains chercheurs interprètent les réponses à cette question de sondage comme une mesure d’un racisme « redneck », de « vieille mode » ou de type Jim Crow, en référence aux lois ségrégationnistes de la deuxième moitié du XIXe siècle (Virtanen et Huddy 1998, Sears, Van Laar, Carrillo et Kosterman 1997). Si la tendance à la baisse est encourageante, elle ne signifie pas pour autant que le racisme est un phénomène du passé. Il est possible que le public blanc soit plus conscient de la norme du « politiquement correct » et que les réponses au sondage soient affectées par la pression sociale sans que les croyances elles-mêmes ne soient autant affectées qu’elles ne le semblent (Apfelbaum, Sommers et Norton 2008). D’autres types de racisme, dits contemporains ou symboliques, sont plus subtils, moins ouvertement déclarés, mais affectent certainement les tensions interethniques aux États-Unis (Henry et Sears 2002, Sniderman et Tetlock 1986).