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Section 2. Les implications pour la science politique

2.1 Les implications pour la génopolitique

Dans cette section, je soutiens que ma thèse de doctorat apporte une contribution significative à la discipline de la science politique, plus particulièrement aux champs de la génopolitique et de la psychologie politique.

La génopolitique s’appuie sur des méthodes utilisées en génétique (ex. : études de jumeaux, études de gène candidat) afin d’étudier l’influence des prédispositions génétiques sur des phénomènes politiques. Les travaux de ce champ de recherche suggèrent que la génétique a une influence significative sur des traits aussi divers que la sophistication

politique, l’autoritarisme de droite, les attitudes raciales, les attitudes à l’égard de la politique étrangère, celles à l’égard des droits de femmes et l’ethnocentrisme (pour un article qui résume la recherche, lire : Hatemi et McDermott 2012). Le débat académique suscité par la génopolitique concerne tout particulièrement ses implications. Comment ces constats influencent-ils la science politique?

Par exemple, lorsque questionné sur son impression à propos de la génopolitique, Gary Jacobson, professeur de science politique à UCSD, répond :

The evidence that there is a genetic influence on some [political] attitudes and behaviors seems quite strong. […]What we do with this knowledge is another matter. How do we look at public opinion differently knowing that some of what we measure has a genetic basis? I am not sure what the answer is. (Edsall 2013)

Le professeur Larry Bartels a été plus direct dans sa critique. Il soutient que les phénomènes au cœur de la science politique sont dynamiques, qu’ils évoluent dans le temps et, à cet effet, les gènes, s’ils jouent bel et bien un rôle, seraient peu susceptibles d’apporter une explication additionnelle à ces changements puisqu’ils sont, eux, fixes dans le temps :

If we could identify the genetic factors that make some people more likely than others to support abortion rights while opposing the death penalty, we could indeed “explain” why some people are more likely than others to support abortion rights while opposing the death penalty. But would doing so help us understand why that particular combination of views is more prevalent now than it was a generation ago? Or why support for the death penalty has declined substantially over the past 20 years? Or why abortion has been a more salient partisan issue in recent political campaigns? I don’t see how. (Bartels 2013)

Les résultats de ma recherche contribuent au débat concernant les implications de la génopolitique. Alors que certains auteurs sont perplexes et se demandent si la génopolitique aura réellement des implications pour la discipline dans le futur, j’avance que ce champ a déjà eu, dès ses débuts, des conséquences importantes. Cet impact ne s’est pas fait ressentir à l’intérieur de la discipline, mais plutôt à l’extérieur du milieu académique, chez les membres du public. La couverture médiatique suscitée par cette recherche a contribué à la diffusion de ses conclusions parmi les membres de la population. Cette diffusion a produit un changement dans l’impression ou les croyances que les gens entretiennent à l’égard de

l’influence de la génétique sur les humains. Ce changement prend la forme d'une hausse de l’influence perçue de la génétique sur les phénomènes sociaux. De plus, l’ampleur de cette généralisation dépend en partie du type d’évidences scientifiques communiquées dans la nouvelle. Ces conclusions ont des implications importantes pour la recherche en génopolitique en particulier, mais également pour la science politique en général.

Bien que les chercheurs aient un contrôle total sur le contenu des articles qu'ils publient, ils ont toutefois une influence plus limitée sur l'interprétation que les médias, d’abord, et le public, ensuite, feront de leurs travaux. Je soutiens que les chercheurs en génopolitique ne peuvent pas se contenter de blâmer les journalistes scientifiques pour la couverture qu’ils font de leurs recherches et les effets que celle-ci entraîne sur les croyances du public. Les chercheurs partagent eux aussi la responsabilité de minimiser les risques que le public interprète les conclusions de leur recherche de manière inadéquate.

Les chercheurs en génopolitique et en biopolitique peuvent contribuer à cette meilleure compréhension de différentes manières. Une première façon d'y arriver serait, au moment où ils communiquent les implications de leur recherche, de guider les journalistes afin que ceux-ci en cernent bien les limites. Dans son article intitulé « How geneticists can help reporters to get their story right », Celeste Condit (2007) apporte plusieurs propositions intéressantes. Les scientifiques devraient anticiper que les journalistes vont tenter de cadrer leur découverte de manière à la rendre intéressante pour le public. Très souvent, ce cadrage prend l'une des deux formes suivantes : soit en exprimant un fort enthousiasme pour les applications dans un avenir rapproché, soit en suscitant la crainte et la méfiance en évoquant les risques et les mauvais usages auxquels la recherche pourrait mener, à terme. Dans les communiqués de presse ainsi que lors des entrevues, les scientifiques peuvent tenter d'atténuer la portée des deux types de cadrage :

To provide an accurate picture of the implications of a scientific discovery and to avoid a sense of betrayal by the public, when speaking with journalists about their work, geneticists might consider curbing their own hopefulness. Instead, they might enumerate the scientific roadblocks, and perhaps the social ones, that stand in the way of the desired applications. In most cases, it also would be appropriate to remind the reporter of the ever-present potential for results to be overturned by further research. (Condit 2007, p.816)

Cet exercice peut sembler superflu, puisque, après tout, les journalistes scientifiques devraient déjà comprendre qu'une étude de génétique n’amène qu’une compréhension partielle à un phénomène. Cependant, les chercheurs ne doivent pas oublier que les journalistes scientifiques qui couvrent leurs travaux sont rarement des experts en génétique et qu’ils peuvent eux aussi être sujets aux mêmes biais d’interprétation que les membres du public.

Une autre préoccupation tient au fait que la nouvelle portera uniquement sur l’influence de la génétique sur le trait étudié, puisque tel est l’objet central de la recherche. Dans le cas de la génétique des comportements en particulier, les chercheurs doivent présumer que, à moins qu’ils ne le spécifient directement, la couverture de leurs travaux ne fera aucune mention des autres facteurs sociaux et environnementaux qui influencent le comportement ou l’orientation sociale à l’étude.

Condit met également les chercheurs en garde contre la diffusion des pourcentages reliés à l’héritabilité d’un trait, des pourcentages qui sont, la plupart du temps, estimés à partir d’études de jumeaux :

[…] journalists tend to misrepresent heritability studies in humans as though they are a measure of the extent to which genes trump environments, rather than understanding them as a measure of the relative influence of hereditary factors of multiple kinds within a limited range of environments. Owing to the biases of the journalists and the complexities of the concepts and operationalizations of heritability, it is probably useless to try to use this word with most journalists. (Condit 2007, p.817)

Ici, l’auteure s’appuie sur certaines de ses propres observations et elle cite à l’appui des articles de nouvelles qui ont effectivement échoué à présenter les estimations d’héritabilité de manière adéquate. Or, les résultats que j’ai présentés au Chapitre 4 apportent une raison additionnelle de communiquer les estimations d’héritabilité avec extrême prudence. En effet, les résultats de notre expérience démontrent que la présentation de niveaux élevés d’héritabilité pour les comportements politiques est susceptible de causer une augmentation significative du déterminisme génétique chez ceux qui y sont exposés.

Le second constat du Chapitre 4 concerne un type de recherche qui n’a pas encore retenu l’attention des chercheurs en génopolitique. Ce type de recherche s’appuierait sur les

méthodes de génétique des populations et vérifierait si certaines variations agrégées, observées entre différents groupes, peuvent être attribuables à des différences dans les gènes des populations qui composent ces groupes. Cet agenda de recherche ne relève pas de la science-fiction. Au cours des dernières années, différentes études ont analysé les différences dans les héritages génétiques des populations et ont avancé que celles-ci pourraient expliquer, en partie, les différences entre ces sociétés (par exemple : Lea et Chambers 2007, Ashraf et Oded 2013, Wade 2014). Bien que la rigueur méthodologique de ces recherches soit habituellement contestée dans le milieu académique, cela n’a pas empêché les médias de juger pertinent d’en diffuser les conclusions. Si certains ont émis leurs réserves quant à cette couverture médiatique (Crampton and Parkin 2007; Wensley and King 2008), il n’existait toutefois pas de preuve attestant des effets négatifs de cette vulgarisation. Les résultats présentés au Chapitre 4 sont les premières analyses empiriques à suggérer que la diffusion de travaux appliquant la génétique des populations à des phénotypes comportementaux ou psychologiques puisse influencer les croyances du public. Cette influence prend la forme d’une hausse dans la perception que la génétique peut expliquer et prédire les phénomènes sociaux en général.

Cette conclusion mérite d’être prise en compte par les chercheurs en génopolitique. Comme je l’ai souligné au Chapitre 4, Alford et Hibbing (2008) soutiennent que cette approche pourrait permettre d’intégrer la génopolitique au champ de la politique comparée. Avant d’entreprendre cette démarche, il faudra s’assurer que les méthodes de génétique des populations existantes sont suffisamment sophistiquées pour apporter des réponses solides aux questions soulevées par la politique comparée. Si tel s’avérait être le cas et que cet agenda de recherche allait de l’avant, il serait primordial de développer, en parallèle, un agenda de recherche en communication scientifique afin de mettre au point un cadrage médiatique qui arriverait à présenter cette recherche de manière adéquate.