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1.4.2 Les Somaliens dans les camps de réfugiés

en Afrique de l’Est

Les Somaliens vivant à l’extérieur de la Somalie sont estimés environ à 1 million de personnes (UNDP, 2009) et se concentrent dans quatre régions : l’Afrique de l’Est; les pays arabes du golfe; l’Europe; l’Amérique du Nord. La migration des Somaliens vers les pays limitrophes ne coïncide pas avec la guerre civile que connaît le pays. En effet, dans les années 1950, des nombreux Somaliens partaient dans les pays du golfe pour y travailler et leur nombre a atteint jusqu'à 300 000 dans les années 1980 (Nuuh, 1995). Profitant de la manne pétrolière et du boom économique de la région, ils ont pu obtenir des emplois convenables et cela grâce aux liens culturels islamiques communs entretenus avec ces pays arabes (Nuuh, 1995). Ces travailleurs migrants envoyaient de l’argent à leurs familles restées en Somalie. Ces premiers groupes ont joué un rôle important et structurant pour les réfugiés qui sont arrivés après la guerre contre l’Éthiopie en 1977 et surtout après la chute de la dictature de Syaad Barré ont mis sur les routes de l’exil des vagues successives de refugiés Somaliens.

Les pays frontaliers à la Somalie sont des destinations importantes pour les refugiés Somaliens et constituent la première étape du long trajet vers les pays Européens. La destination principale des Somaliens dans la région de la corne de l’Afrique reste le Kenya où ils sont les plus nombreux refugiés (UNHCR, 2011). Dans une moindre mesure, les refugiés Somaliens sont présents en Égypte, à Djibouti et en Éthiopie (voir tableau 3). Pour se rendre dans les pays arabes du golfe, les

49 Somaliens embarquent dans des bateaux de fortune dans la ville somalienne de Bossaso et traversent la Mer Rouge pour accoster au Yémen (Moppes, 2006). Arrivés au Yémen, ils tentent de joindre à travers des filières clandestines les pays riches du golfe, tels que l’Arabie Saudite et Dubai. Les profils, les parcours et les projets migratoires des réfugiés Somaliens sont diversifiés.

Tableau 3 : Nombre de Somaliens dans les camps de refugiés

Pays Nombre de refugiés

Kenya 314 000 Djibouti 13 748 Éthiopie 60 000 Yémen 154 000 Égypte 7000 Sources : UNHCR, 2011

Tableau 4 : Nombre de déplacés internes Somaliens

Réfugiés 1,815 Demandeurs d’asile 24,668 Rapatriement de refugiés 61 Personnes déplacées Internes 1, 555,000 Rapatriement de Personnes déplacées Internes 0 Apatrides 0 Variés 0 Total 1, 576,544 Sources: UNHCR, 2010

Au Nord-Est du Kenya, trois camps de réfugiés ont été mis en place près de Dadaab, une petite ville dans le district de Garissa pour accueillir les Somaliens qui ont fui la guerre civile. Avec une capacité d’accueil initiale de 90 000 personnes, les camps sont habités environ par 314 000 réfugiés Somaliens, ce qui constituent le plus grand camp de refugiés au monde (UNHCR, 2011). Les

50 séjours des refugiés dans les camps sont censés être en principe temporaires. Les refugiés Somaliens y sont installés depuis les années 1990 et leur « droit de retour » est mis à terme par les conflits incessants (voir tableau 4). Pour parer à cette situation, la majorité des refugiés Somaliens qui quitte les combats en Somalie se déplacent entre différents lieux, séjournent entre les camps de refugiés situés au Kenya et à Djibouti et les villes urbaines telles que Nairobi, Mombassa, Djibouti, Addis-Abeba et Garissa. Leur présence dans ces différents territoires revêt au fil des années une signification symbolique sur la préservation d'une identité spécifiquement somalienne en exil articulée autour des structures familiales ou claniques. Pour certains Somaliens, les pays de transit sont envisagés comme une étape supplémentaire avant de rejoindre sa famille installée en Europe, au Canada ou dans les pays arabes du golfe (voir tableau 5). Pour d’autres, c’est un lieu stratégique pour préparer la traversée clandestine pour l’Europe. Pour les derniers, les moins lotis, les pays de transit deviennent un lieu permanent d’habitation, faute de moyens financiers ou de versements envoyés par la famille installée dans les pays occidentaux.

Tableau 5 : Profils des Somaliens dans le camp des refugiés au Kenya Soutiens financiers de la

famille « transnationale »

Projets Moyens pour joindre

l’Europe

Profil 1 Oui Partir en Europe ou en

Amérique du Nord

Regroupement familial

Profil 2 Oui Partir dans les pays

africains (Afrique du sud, Libye, Djibouti)

Par voie terrestre

Profil 3 Non Trouver un lieu sécuritaire

et envisager de partir dans les pays arabes du Golfe

Traversée de la Mer Rouge

Les profils des refugiés Somaliens au Kenya sont hétérogènes et il existe des différences entre ceux qui vivent dans les camps de refugiés et ceux qui résident dans les villes à Nairobi et à Garissa (Horst, 2001). Les Somaliens à Garissa et Nairobi travaillent et ont une source de revenu et envoient de l’argent aux membres de leur famille restés dans les camps de refugiés à Dadaab (ibid.). Les conditions de vie dans les camps de refugiés à Dadaab sont difficiles et les Somaliens

51 tentent de partir pour rejoindre les villes. L’organisme Human Rights Watch a sonné l’alarme sur les abus que subissent les refugiés Somaliens dans un rapport publié en 2009 :

Near Kenya's officially closed border with Somalia, abusive police intercept thousands of mostly women and children asylum seekers fleeing war-torn Somalia every month. Using the clandestine nature of their journey as an excuse to extort and abuse them, police beat and, in some cases, rape them, and deport or detain those who don’t pay on false charges of unlawful presence in Kenya. In early 2010, hundreds, if not thousands, of Somalis unable to pay were unlawfully sent back to Somalia. Once in the camps, which only 3 percent of refugees were allowed to leave in 2009, they face further police violence. Police also fail to investigate sexual violence against refugees by other refugees and Kenyan nationals in the camps, leading to a climate of impunity for those responsible. (Human Rights Watch, 2010: 95)

La corne de l’Afrique a toujours été en proie à des graves sécheresses, perturbant la vie nomade des Somaliens. Ce mode de vie assujetti aux aléas climatiques exige une capacité d’adaptation aux changements et la mise en place d’un réseau social de partage d’informations, celui-ci permettant de tisser des liens sociaux entre membres d’une même famille ou clan. Des nombreuses études ont montré le développement de stratégies économiques des refugiés Somaliens et les liens intenses tissés entre les membres de la famille dispersés à différents endroits (Al Sharmani, 2007; Gundel, 2002; Waldron et Hasci, 1995). Cette dispersion des membres d’une famille est une caractéristique propre aux groupes qui ont longtemps utilisé cette stratégie afin de réduire les effets des catastrophes d'origine humaine ou naturelle (Horst, 2006). Pour l’anthropologue Cindy Horst (2006), les Somaliens dans les camps de refugiés se caractérisent par une forte mobilité et l’existence d’un réseau social transnational grâce notamment aux transferts d’argent xawilaad et la mise en place d’un réseau d’échange d’informations entre les membres de la famille.

À l’instar de ces situations difficiles, la représentation que l’on se fait des refugiés en général et des Somaliens en particulier reste effroyable. Les Somaliens sont souvent décrits comme des individus « déracinés », « abusés » et complètement « démunis » face à leur situation. Même si les conditions de vie sont pénibles, les refugiés sont aussi des acteurs actifs qui prennent en main leur destinée. Michel Wieviorka souligne que « l’expérience de la migration est certes souvent un arrachement,

52 elle comporte généralement son lot de souffrances et de difficultés mais elle n’est pas que cela et contrairement à certaines idées reçues, elle n’aboutit pas nécessairement à la désolation de la perte d’identité » (Wieviorka, 2010 :62).

Conclusion

Les dynamiques de la guerre civile en Somalie doivent être appréhendées comme l’effondrement d’un ordre social et politique de la société Somali qui trouve son origine pendant les périodes précoloniale, coloniale et postcoloniale. Les dimensions du conflit sont multiples et la grille de lecture intertribale ne peut expliquer tous les maux de la Somalie, sans pour autant dédouané la responsabilité des Somaliens. Pour certains auteurs, le long conflit en Somalie est le signe d’une déliquescence du contrôle social qui expliquerait la perpétuation et la dérive criminelle des luttes armées. D’autres suggèrent que les ingérences des pays voisins tels que l’Éthiopie et l’Érythrée et les pays Arabes qui arment les factions armées ne font que perpétuer les conflits. Un troisième argument fait état des méfaits du régime de Syaad Barre qui a militarisé la société somalienne. Même s’il existe des parts de vérité dans chacun de ces arguments, on oublie souvent le rôle positif ou même négatif que joue la diaspora somalienne dans le pays. C’est autour de la notion de diaspora et des liens que celle-ci garde avec le pays d’origine ainsi que les recherches sur les relations interethniques que nous passerons en revue la littérature dans le chapitre suivant.

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Chapitre 2. Regard général sur les

disciplines connexes

Introduction

Ce chapitre vise à restituer un dialogue interdisciplinaire. Dès leur origine, les recherches en SIC intègrent la confrontation des pensées et s’alimentent de l’apport théorique et empirique des autres disciplines (Miège et Paillart, 2007). C’est cette tradition que nous tentons de perpétuer dans le présent chapitre en plaçant au centre de notre réflexion l’apport des recherches sur les questions concernant l’ethnicité et l’identité. Qu’est-ce que l’ethnicité et comment dire qu’un individu appartient à un groupe ethnique ou qu’un groupe est défini comme constituant un groupe ethnique? La notion d’ethnicité est très contestée et débattue à cause de critères très incertains qui le définissent. Il est nécessaire donc de défricher le terrain à la fois pour mettre l’accent sur la complexité du « phénomène ethnique » mais aussi pour mieux saisir les différentes perspectives théoriques dans laquelle s’insère la notion d’ethnicité.