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3.5 Médias ethniques, diasporas et pratiques médiatiques

3.5.2 Les médias ethniques

Le sociologue Robert E. Park (1922/1970) de l’école de Chicago a été l’un des premiers chercheurs à s’intéresser au rôle de la presse ethnique dans le processus d’adaptation des migrants. Pour Park, la presse ethnique en tant qu'instrument de diffusion d'informations sur la vie urbaine en Amérique est particulièrement importante pour les migrants: « Except for his paper, the immigrant remains as provincial in the new country as he was in the old. Almost all that he knows about the larger political, social and industrial life about him, he gets indirectly, through the medium of his press » (1970: p.113). Park a suggéré que la possession d'un journal par un groupe ethnique montre la preuve de la capacité du groupe à mobiliser des ressources financières, communiquer et interpréter de nouvelles pour sa communauté, et (parfois) faire des liens entre des membres géographiquement dispersés. Il a affirmé que la survie des journaux ethniques et la vitalité des communautés ethniques sont été étroitement liées:

Our great cities, as we discover upon close examination, are mosaics of little language colonies, cultural enclaves, each maintaining its separate communal existence within the wider circle of the city's cosmopolitan life. Each one of these little communities is certain to have some sort of co-operative or mutual aid society, very likely a church, a school, possibly a theater, but almost invariably a press. In the city of New York, at any rate, there is so far as can be learned, no language group so insignificant that it does not maintain a printing press and publish some sort of periodical :The Albanians, Armenians, Bulgarians, Chinese, Czechs, Croatians, Danes, Finns, French, Germans, Greeks, Italians, Japanese, Jews, Levantine Jews, Letts, Lithuanians, Magyars, Persians, Poles, Portuguese, Rumanians, Russians, Serbs, Slovaks, Slovenians, Spanish, the Swabians of Germany, the Swedes, Swiss, Syrians of New York City, all have a press. (1970 : p. 5)

Le gouvernement canadien a par exemple, dès les années 1970, reconnu l’importance des médias ethniques dans une recherche qui étudie l’apport culturel des groupes ethniques. Le rapport de la

124 Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme a ainsi proposé dans son livre quatre cette définition des médias ethniques : « The term ethnic press […] includes all private (i.e non governmental) publications designed to appeal to cultural groups other than the British or French. These need not be in a language other than English or French; what matters is their content and readers. Only regular publications are considered » (1970 :p.171). Une telle définition du concept d'ethnicité présente certaines difficultés puisqu’elle considère « ethniques » les groupes qui n’ont pas une appartenance culturelle britannique ou française et ne prend en compte que les médias privés.

Les médias ethniques comprenent dans un sens plus large des publications diffusées par un individu ou des groupes mais aussi par des institutions publiques qui propose des contenus spécifiques à des communautés. Ces publications regroupent l’ensemble des médias traditionnels (presse écrite, radio, télévision, cassettes VHS, etc.) ou plus modernes (internet, télévision par satellites). Elles sont produites en français, en anglais ou dans d’autres langues. Ces médias ont pour but de satisfaire les besoins de leurs audiences : (1) ils diffusent des informations qui intéressent leurs publics (Georgiou, 2006); (2) renforcent le sentiment d’appartenance à une communauté (Gross, 2006); (3) créent des liens de solidarité entre les individus qui partagent la même identité culturelle (Downing, 1992); (4) offrent une vision du monde alternative à l’ordre social dominant (Rigoni, 2008). Les contenus de ces médias varient et vont de la diffusion des informations sur le pays d’origine et sur le pays d’accueil, aux émissions de débat sur les questions socio-économiques liées à l’adaptation dans un nouveau pays et aux contenus culturels tel que le partage des CD ou cassettes.

La diffusion par les médias des nouvelles locales et des informations pratiques sur le pays d’accueil facilitent l’adaptation des migrants dans leur nouveau pays (Subervi-Velez, 1986; Aksoy & Robins, 2000). Ils proposent des cadres d’interprétation et des façons de voir et d’expliquer la réalité sociale (Caune, 1995 ; Fiske and Hartly, 1978) et deviennent des outils avec lesquels la population

125 immigrante maintient le contact avec les membres de leur famille et leur culture d’origine. L’une des rares études en la matière qui insufflera un nouvel élan à ce domaine, surtout dans le monde anglo-saxon, est l’étude minutieuse de F. Gutierrez (1977). Dans son étude qui s’étale du début des années 1900 jusqu’aux années 1970, Gutierrez décrypte les journaux des groupes hispaniques qui vivent aux États-Unis et classifie la presse en langue espagnole en trois types de journaux en fonction de leur rôle: (a) ceux qui tentent d'agir comme un contrôle social, généralement des traductions en espagnol des journaux de langue anglaise, (b) ceux qui ont une édition militante et qui proposent que la communauté de langue espagnole devrait s'unir dans l'action collective pour surmonter leurs difficultés sociales et économiques, et (c) et enfin ceux qui soutiennent qu’une forte identité culturelle est essentielle au bien-être de la communauté et par là relatent dans leurs articles la vie des « Chicanos ». Une poignée de recherches qui se sont développées dans les années 1990 souligne l’intérêt d’élargir les terrains d’études en y incluant tous les médias non-dominants par opposition aux « médias dominants », désignant par là aussi bien les médias indigènes en Australie, au Canada ou en Amérique du Sud, que les médias communautaires et les médias alternatifs (Rigoni, 2008). Le point commun de ces médias réside dans le fait qu'ils sont tous créés par des individus qui « accusent un déficit de communication » (Ibid., 2008).

Au Canada, les premiers médias ethniques ont été créés en 1850 par les Noirs venus des États-Unis et installés dans la région de la Nouvelle-Écosse (Ojo, 2006). En 1905, le Canadian Almanac avait recensé dix-huit publications des migrants qui se sont installés au Canada et a relevé une forte circulation des journaux des communautés ukrainienne et polonaise (Kirschbaum, 1971). En 1979, le CRTC (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes) a octroyé une licence d’exploitation à CFTM-TV, la première station de télévision multiculturelle du Canada. Installée à Toronto, elle diffuse une programmation en plusieurs langues et peut être reçue partout

126 en Ontario (Réseau Éducation-Médias21). Les médias ethniques font donc référence à une variété de groupes et d’identités.