• Aucun résultat trouvé

C’est en 1885 lors de la Conférence de Berlin que les Européens établissent les règles du jeu pour s’accaparer du continent africain: « Tout État civilisé possédant des points d’appui sur la côte peut

pénétrer le continent jusqu’à ce qu’il rencontre un autre État civilisé ou un obstacle naturel »

(Bouquet, 2009 : p.7). Le partage du territoire des Somalis par les Italiens, Britanniques et Français a créé le découpage et la dispersion des Somalis dans quatre pays à savoir la Somalie, l’Éthiopie, Djibouti et le Kenya.

36

1.2.2 L’établissement des Britanniques et des

Français

Après l’ouverture du canal de Suez en 1869, l’importance stratégique de la corne de l’Afrique et du territoire des Somalis s’accrut. La Grande-Bretagne, première puissance européenne dans la région, prit possession en 1839 d’Aden. Au milieu des années 1870, les Turco-Égyptiens occupèrent certaines villes de la côte somalienne et une partie de la région intérieure adjacente. Puis, quand les troupes égyptiennes quittèrent la région en 1882, la Grande-Bretagne occupa ce territoire afin d’endiguer une révolte au Soudan (Lewis, 2002). En 1887, un protectorat britannique fut proclamé sur le Somaliland britannique. Ce territoire est placé sous l’administration du Foreign Office britannique en 1898, puis de l’Office colonial en 1905. Muhammad Abdullah Hassan, héros Somali du nationalisme religieux Darwiish, parvient à tenir en échec les troupes britanniques entre 1899 et 1910 et tente d’unifier le pays (Cassanelli, 1982). En 1910, les Britanniques abandonnèrent l’intérieur des terres et se retirèrent vers les régions côtières. Les Français installés dans la région depuis 1862, sous l’impulsion de Léonce Lagarde, créent le port de Djibouti en 1888 (Dubois, 1997). Avec l’ouverture du Canal de Suez en 1869, l’espace de la Mer Rouge est amené à jouer un rôle stratégique et économique. Colette Dubois retrace habillement dans son ouvrage le contexte géopolitique des rivalités européennes dans la région de la corne de l’Afrique et décrit comment la France, établit à Madagascar, planifie l’installation d’un comptoir à Djibouti qui deviendra une véritable ouverture pour l’Éthiopie. Ce territoire habité par les Afars et les Somalis dans lequel s’établissent les Français est peu facile d’accès avec un climat aride tandis que l’intérieur montagneux de l’Abyssinie est plus frais et plus densément peuplé de cultivateurs Oromo. Pour Christian Bouquet (2009), cette différence géographique permet la création d’une « certaine logique économique : les nomades de la côte sont aussi transporteurs et assurent les échanges entre, d’une part, le sel (du lac Assal, notamment) et les armes et, d’autre part, le café, les gommes et les peaux d’Abyssinie, les céréales, le miel et la cire d’Éthiopie. Il s’y ajoute naturellement un

37 important commerce d’esclaves, achetés ou capturés dans les villages sédentaires de l’arrière-pays, et revendus de l’autre côté de la Mer Rouge » (2009 :5). En 1946, la colonie deviendra un Territoire d'outre-mer avant d'accéder à l'indépendance en 1977.

1.2.3 La colonisation italienne

Les Italiens s’installent dès 1885 tout le long de la côte du Sud de l’actuel Somalie. Une mission conduite par le capitaine de Frégate Antonio Cecchi explore l’embouchure de la rivière Juba (Hess, 1966). Le nom officiel qui a été donné à la région administrée par les Italiens est Somalia Italiana. La présence des Italiens dans la région ne représentait que quelques garnisons. C’est l’arrivée de Vincenzo Filonardi, « l’architecte de la colonisation », qui proclame un protectorat du Benadir en 1891 qui attirera beaucoup d’Italiens qui viendront s’installer sur la côte Sud du territoire Somali (de Montclos, 2000). Le sultanat de Zanzibar cède en 1892 le bail à l’Italie pour le contrôle de la ville de Mogadiscio qui deviendra grâce à son port la première ville du pays. La région de Kismayo qui passe à l’Empire britannique en raison de leur protectorat de Zanzibar a été cédée à l'Italie en 1925 pour compléter l’occupation italienne de la Somalie du sud (Metz, 1992). En ce qui concerne l’Éthiopie de l’empereur Ménélik II, puissance régionale émergente, elle a réussi à défendre son territoire contre les Italiens mais parvient aussi à rivaliser avec les Européens pour s’emparer du territoire habité par les Somalis. Entre 1887 et 1897, Ménélik II étend avec succès son royaume jusqu’au long de l’émirat musulman indépendant de Harar et de la Somalie occidentale (mieux connu sous le nom des provinces de l'Ogaden et du Haud). Ainsi, au tournant du siècle, la péninsule somalienne a été divisée en Somalie britannique, Côte française des Somalis, la Somalie italienne, le Somaliland éthiopien et ce que l'on a appelé le Nord District Frontier (DNF) au Kenya.

38

1.2.4 Les effets du colonialisme sur le peuple

Somali

Des recherches ont décrit les effets néfastes du colonialisme sur les conditions de vie des peuples africains (Ferro, 2003) et les effets de domination politique et d’exploitation économique qui ont conduit au sous-développement politique et économique des territoires coloniaux (Walter, 1972). Nonobstant les récits qui tendent souvent à décrire une Afrique précoloniale « idyllique » où les royaumes et empires vivaient dans une harmonie qui aurait été rompue par les brutalités des colons européens, d’autres études se sont penchées sur l’exacerbation du « clivage ethnique » par l’administration coloniale (Diamond, 1998; Otayek, 2002). En Afrique de l’Est, comme dans le reste du continent, l’administration coloniale a créé une superposition du système occidental aux modalités de fonctionnement d’une population nomade et pastorale, ce qui a non sans doute bouleversé le mode de vie des Somalis. Et ce d’autant plus que les Britanniques, les Italiens, les Français et les Éthiopiens ont établit des limites territoriales5 sans tenir compte du rythme de vie pastorale des Somalis, surtout quand elles ne reflètent pas les espaces de pâturage et les localisations des points d’eau dont dépend la vie nomade (Mburu, 2005). C’est ainsi que les Somalis forment d'importants groupes qui maintiennent une langue et une culture commune dans les provinces du Haud et de l’Ogaden, le Nord District Frontier (DNF) au Kenya britannique et dans les limites de la Côte française des Somalis. Nene Mburu note:

The International borders were mostly imaginary meridians that had no meaning to pastoral nomads, particularly in the allocation of water and pasture. In this case, while harsh ecological limitations and expanding populations induced competition over scarce resources of pasture and water, unnatural colonial boundaries provoked continued organized violence. As a product of treaties or unilateral declaration by the

5 Ces nouvelles limites correspondent aux traités conclus entre L’Éthiopie et l’Angleterre en 1887 et 1946 et entre

39 imperialists (Including Ethiopia), colonial boundaries introduced a casus belli (justification of war) among the regional countries. (Mburu, 2005:37).

Pour Jean-Pierre Chrétien (1991), les agencements de nouveaux territoires sont le résultat le plus négatif de l’intervention coloniale en Afrique qui ont bloqué des évolutions politiques et créé des cristallisations étatiques régionales au milieu du 19ème siècle. À ces créations de frontières imaginaires s’ajoutent l’invention de classifications des populations. Dans le but de structurer les sociétés indigènes car ces dernières semblaient souvent représenter un « défi » à la rationalité occidentale, l’entreprise coloniale a alors amorcé une « mise à l’ordre » qui consiste à :

(..) nommer, différencier, classer, hiérarchiser ces sociétés; c’est aussi, par souci d’optimisation de la production administrative, créer des frontières là où parfois il n’y en avait pas. Conduit de manière obstinée et méthodique, ce travail d’imposition identitaire et de catégorisation ethnique aura pour résultat de figer des identités qui préexistaient fréquemment à la conquête européenne mais qui se caractérisaient par leur caractère fluide, fluctuant, labile. (Otayek, 2002: 6)

Réné Otayek affirme que dans les sociétés précoloniales africaines, les appartenances aux ethnies se caractérisaient par leur « fluidité » et l’existence d’organisations politiques non centralisées qui rendaient inconcevable tout pouvoir « homogénéisant ». Par contre, insiste t-il, l’État colonial et postcolonial ont « cristallisé » les identités et se présentent comme un « entrepreneur identitaire hégémonique, son projet ultime consistant à imposer, fût-ce par la violence physique ou symbolique, l’identité nationale » (2002 :9).

Les nouvelles frontières et les classifications rigides des identités groupes ont engendré en sein de la société Somali des situations complexes dans lesquelles certains grands groupes lignagers ont été divisés entre les États coloniaux alors que d'autres, qui avaient peu de points communs avec le reste de la population, ont été rassemblés dans les limites d’un nouvel État. Ces ajustements profonds ne sont pas les seuls éléments qui ont affecté la société Somali. Pour Lee Cassanelli, les Somalis

40 tentaient déjà à s’adapter à des nouvelles transformations avant l’arrivée des colons européens: « On the eve of the colonial occupation, then, southern Somali society was attempting to adjust to several profond changes. The breakup of a major political confederation, the disruption of production and trade, and the spread of new religious institutions were region-wide processes that affected virtually all elements of society » (1982:197). Ces faiblesses ont été largement exploitées par les colons européens afin de mieux régner.

1.3 L’agonie de l’État postcolonial Somalien et