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1.3 L’agonie de l’État postcolonial Somalien et ses tergiversions

1.3.3 Le régime militaire de Syaad Barre et la guerre civile

Le régime militaire « flatte » la fibre nationaliste des Somaliens pour légitimer le coup d’État et édifie le Conseil Supérieur Révolutionnaire pour diriger le pays et assurer le passage au nouvel ordre. Les administrateurs civils de l’ancien gouvernement sont remplacés par des militaires. Le général Syaad Barre est désigné pour diriger le pays. Son gouvernement promet aux Somaliens ce que le gouvernement précédent a échoué de faire, bâtir la nation somalienne avec l’édification de la « Grande Somalie ». Pour ce faire, c’est la course à l’armement et le régime somalien signe des alliances avec l’Union soviétique pour moderniser son armée. Quelques années plus tard, après que les Soviétiques décidèrent de soutenir plutôt les Éthiopiens que les Somaliens dans la guerre qui les opposent en 1977, la Somalie se tournera vers les États-Unis qui obtiendra une aide militaire et

44 économique. La géopolitique de la guerre froide a clairement aidé à la militarisation de la Somalie qui s’est peu à peu éloignée du développement économique de son pays :

The Cold War has strongly interfered with the process of decolonisation in the region and has, to a large extend, redirected the focus of the government from a developmental to a strictly military orientation, leading to economic stagnation, internal political imbalances between the military and civilians, and civil and regional wars (Marte, 1994:267, cité par Mohamoud, 2006)

La Somalie devient officiellement un pays communiste et érige la doctrine du marxisme-léninisme comme religion d’État. Pendant les années 1970 et jusqu’aux années 1980, on peut retenir plusieurs événements qui marquent d’une tâche indélébile la trajectoire de l’État Somalien (voir tableau 2). L’évolution des dynamiques non-exhaustives indiquées dans le tableau ci-dessous, ont entraîné des conflits internes et ont eu des conséquences désastreuses sur la Somalie bien avant l’effondrement de l’État somalien en 1990.

Tableau 2 : Synthèse des événements majeurs ayant précipité la chute du régime de Syaad Barre

Événements qui on eu lieu pendant la période 1969 à 1980:

Campagnes de sensibilisation contre l’Islam et l’interdiction d’évocation de toute affiliation clanique. Conséquences: Désorganisation de la solidarité traditionnelle (Gascon, 2008). La nationalisation des entreprises d’exportation des bananes, essentiellement détenues par les Italiens.

L’Italie ferme son marché aux produits somaliens et l’économie des villes des régions de

Benaadir, Mogadiscio et le bas Jubba s’effondrent (Gascon, 2008).

La sédentarisation des nomades originaires du Nord vers les régions du Sud pendant la sécheresse et l’installation des refugiés de l’Ogaden dans le Nord.

Suivant un modèle socialiste, les tentatives de fixation des

nomades et de

« collectivisation » ont désorganisé l’agriculture Somalienne et attisé les tensions entre les Clans Darod (Nord) et Hawiyé (Sud), (De Montclos,

45 2000).

Le recrutement à la fonction publique sur des bases clientélistes et non sur des critères professionnels spécifiques.

Les qualités dans les domaines de l’éducation et la santé se détériorent et l’État s’écroule sous le poids de la masse salariale (Marchal, 2000). L’endettement de l’État

somalien.

Le plan structurel du FMI, l’inflation galopante et le retard des salaires des fonctionnaires qui vont occuper d’autres emplois dans le privé pour subvenir à leurs besoins (Samatar, 1992)

La « somalisation » de l’éducation nationale en 1973 et le remplacement de

l’enseignement de l’anglais et de l’italien par la langue somali.

Cette mesure a désorganisé le système éducatif somalien (Morin, 1986).

La polarisation de la guerre froide dans la région.

Militarisation excessive de la région de la corne de l’Afrique au détriment du développement économique (Lefevre, 1991; Patman, 1992).

L’armement par la Somalie de groupes « irrédentistes » Somalis au Kenya et en Éthiopie.

Les déplacements massifs de plus de 1 million de Somalis qui fuient les représailles de

l’Éthiopie et leur installation dans les villes asphyxiées (de Montclos, 2000).

L’installation dans la région du Nord de la Somalie des régiments de l’armée somalienne défaite après la guerre contre l’Éthiopie en 1977.

Mal payée, l’armée, nommée « délinquance en uniformes » harcèle la population du Nord qui se sentait déjà discriminée par le pouvoir central (Morin, 1986).

Affaibli par la défaite de la guerre contre l’Éthiopie, le président Siyaad Barre surnommé « Afweyne » (« la grande bouche » en langue somali), s’appuie de plus en plus sur la solidarité clanique et la manipulation politique des appartenances claniques pour s’assurer la loyauté des militaires comme des civils. Les spécialistes de la Somalie s’accordent à dire que « le prélèvement patrimonial par les proches du président ainsi que les coûts de dépenses militaires et la pénurie de liquidités ont accentué son effondrement » (Compagnon 1990 :132). L’opposition armée multiforme des clans du centre et du nord de la Somalie, qui lui reprochaient sa politique partisane,

46 ont aussi accéléré la chute du régime (Caraël 1982). Après la chute du régime du Syaad Barre, le Nord décide de se séparer de la Somalie et proclame son indépendance dans les frontières de l’ex- colonie britannique du Somaliland. Dans le Sud, la rébellion se fractionne et plusieurs seigneurs de guerre mettent en coupe réglée la ville de Mogadiscio. Cette bataille pour le contrôle de Mogadiscio a eu des conséquences dramatiques : elle créa un vide politique pendant une quinzaine d’années et poussa de centaine de milliers de refugiés Somaliens dans des camps de refugiés. On parle alors d’un « État failli » et en 1992, pour des raisons humanitaires et pour contrôler cette zone stratégique d'accès à la Mer Rouge et au son canal de Suez, les États-Unis lancent l'opération "Restore Hope" avec un déploiement de 25.000 soldats américains. Cette opération a semé les doutes sur la bonne volonté du gouvernement américain qui avait continué à octroyer pendant les années 1980 une aide militaire alors que le régime bombardait à coup de canons des populations civiles (Marchal, 1993). L’intervention humanitaire fut un échec car l’opération n’était pas assortie de décisions sur le désarmement et la démobilisation des milices armées et de la restauration de la paix civile. L’intervention internationale s’était alors réduite à une opération militaire de sécurisation des routes de l’approvisionnement de l’aide humanitaire. L’opération « Retore Hope » devient très vite pour les Somaliens une agression contre leur pays. De 1993 à 1995, une lutte s’engage entre les « seigneurs de guerre » Somaliens et l’armée américaine. Cette bataille se soldera de la mort de 18 soldats américains et de 25 casques bleus pakistanais.

Après des combats qui feront près de 10 000 morts (Weiss, 1999), les États-Unis se retirent de la Somalie. Les seigneurs de guerre, apparaissant aux yeux de la population comme les vainqueurs du conflit les opposant contre les américains, élargissent leur pouvoir dans la capitale et les alentours. Toutefois, cette débâcle de l’armée américaine et des casques bleus aura une conséquence désastreuse sur l’avenir de la Somalie et surtout sur l'attention prodiguée par la communauté internationale : les images diffusées en boucles par les réseaux de chaînes d’informations de cadavres de soldats américains traînés dans les rues de Mogadiscio choquent l’opinion

47 internationale : « la mort des GI’s fait par ailleurs resurgir le syndrome du Viêtnam, la hantise du bourbier. On en vient à évoquer un « syndrome vietmalien » » (de Gayffier-Bonneville, 2011:25). L’armée américaine quitte définitivement la Somalie en mars 1994. Depuis lors, la Somalie est laissée à son sort.

Les Somaliens se radicalisent de plus en plus et se tournent à la religion pour unifier les protagonistes. L’Islam devient la référence ultime dans un univers où les milices armées terrorisent la population. Des groupes s’organisent dans les quartiers et mobilisent la population pour chasser les seigneurs de guerre. Ces organisations, baptisées Tribunaux Islamiques, reçoivent très tôt du soutien et des fonds des bienfaiteurs saoudiens adeptes d'un Islam rigouriste. Profitant de l’absence d’un État, les organisations créent des réseaux de tribunaux informels et instaurent l’ordre moral strict et la sécurité. En 2006, l’Éthiopie, qui craint que ces groupes ne viennent influencer les musulmans éthiopiens, envahit la Somalie et prône la politique « préventive » du terrorisme. Cette opération militaire se fait avec l’aide des États-Unis, du Kenya et l’aval de l’Union africaine (Gascon, 2008). Les milices des Tribunaux Islamiques sont chassées de Mogadiscio en quinze jours. Un gouvernement provisoire avec à sa tête un ancien chef des Tribunaux Islamiques mais désigné « modéré » est désigné à Djibouti pour stabiliser la situation politique dans le Sud. Au Nord, les deux gouvernements des régions autonomes du Puntland et du Somaliland vivent en paix. Ils ont réussit à maintenir une paix grâce à la représentativité des Anciens sur un territoire assez précis [qui] a débouché sur des conférences de paix et des possibilités de paix remarquablement efficaces (de Montclos, 2001). Depuis les années 1990 et durant ces vingt dernières années, les principales villes du Sud ont été secouées par des combats acharnés successifs qui ont opposé plusieurs acteurs. Près d’un million de Somaliens ont dû abandonner leur foyer (UNDP, 2009), intensifiant les flux des réfugiés Somaliens qui ont commencé à quitter leur foyer dès la fin des années 1980. Le départ brusque du pays, de la famille, des amis et de la vie quotidienne a créé une séparation qui continue de hanter ceux qui l’ont vécue et cette rupture radicale avec le pays

48 d’origine a été décrite comme un « inconfort aigu » entraînant un « échec de vivre complètement le présent ou l’espace du présent » (Ahmed 1999: 343).