• Aucun résultat trouvé

Paragraphe 2. Les remèdes aux excès de l'adoption filiative intrafamiliale

A. La mise à l'écart de l'adoption filiative

1. Solutions doctrinales en France

188 - Les contrariétés de la doctrine française. Sur la question de l'adoption avec création

d’un lien de filiation entre l’enfant et ses proches parents, la doctrine française est partagée entre l’interdiction pure et simple de cette forme d’adoption, son maintien sous toutes ses formes ou son admission mais avec des restrictions. Il conviendrait dès lors de voir successivement les différentes thèses qui s’affrontent. Il s’agit de la thèse de l’interdiction (thèse radicale), de la thèse du maintien (thèse conservatrice) et enfin de la thèse du maintien assorti de restrictions (thèse modérée).

189 - La thèse en faveur d’une interdiction pure et simple. Pour certains auteurs290

, l’adoption de l’enfant par ses proches parents serait contraire à l’intérêt de l’enfant, car elle entraînerait un enchevêtrement des liens de parenté au premier degré et des liens de parenté ou d’alliance plus éloignés. Du coup, il serait logique d’en tirer toutes les conclusions et d’interdire l'adoption quelque soit, par ailleurs, son fait générateur et sa forme. Critiquant les objections faites à l’interdiction de l’adoption au sein de la parenté en France, d’autres auteurs291 ont, avec justesse, souligné qu’aucune appréciation judiciaire ne met le mineur à l’abri des difficultés suscitées par le bouleversement des repères généalogiques engendré par la confusion entre les liens de parenté biologique et les liens de parenté juridique. La Cour d’appel de Toulouse a adopté la même position, dans une décision en date du 28 février 1996292, lorsqu’elle a refusé de prononcer une adoption plénière, au motif que « l’adoption

constituerait un bouleversement anormal et contraire à l’ordre public ». Que les parents de

l’enfant soient vivants, décédés ou inaptes, l’adoption plénière, faisant l’impasse sur

290 Voy. notamment DELFOSSE-CICILE (M.-L.), Le lien parental, éd. Panthéon-ASSAS, Thèse Université Panthéon-Assas (Paris II) Paris, 2003, p. 517, n° 871. Voy.

291 Cf. PHILIPPE (C.), « Les grands-parents sont-ils des ascendants privilégiés ? (1ère partie : la filiation), RLDC, septembre 2005, n° 19, p. 65. V. également BATTEUR (A.), « L’interdit de l’inceste. Principe fondateur du droit de la famille », RTD civ., 2000, p. 759. V. enfin TERRE (F.) et FENOUILLET (D.), Droit civil. Les personnes. La famille. Les incapacités, 8ème éd., Dalloz, coll. Précis droit privé, 2011, p. 842.

l’ensemble des liens généalogiques originels, ne devrait jamais être autorisée car il y a là un montage juridique de fabrication d’un inceste légal293. Il importe de s’opposer à la création de telles situations, certes marginales, mais à « haute valeur symbolique »294

. Les partisans de la thèse de l’interdiction suggèrent que la loi l’interdise purement et simplement295

, car ils estiment que les confusions qu’elle engendre dans l’ordre de la parenté sont regrettables tant sur le plan de l’ordre individuel que le plan de l’ordre social.

Au soutien de leurs arguments, ils soulignent que l’adoption d’un enfant par ses grands-parents a d’autant moins de raison d’être que des mesures telles que la tutelle ou la délégation d’autorité parentale sont parfaitement aptes à régler les problèmes consécutifs au désintérêt, au décès, à l’inaptitude des parents296. La tutelle ou la délégation des droits d’autorité parentale sont ainsi proposées, par les tenants de cette thèse, comme alternatives à l’adoption. Pour eux, ces mesures accorderaient les moyens juridiques de se substituer aux père et mère de l’enfant dans l’exercice de leur mission parentale.

190 - Notre objection. Nous ne partageons pas cette thèse car elle nous paraît top radicale. En

effet, elle ne tient pas compte de la situation spécifique de certaines catégories d'enfants pour lesquelles une adoption simple pourrait se révélée conforme à leur intérêt et adaptée à leur situation.

A cette thèse de l’interdiction, des objections ont été formulées par d’autres auteurs plus favorables au maintien du principe tel qu’il existe sans restriction.

191 - La thèse du maintien exclusif du principe. Pour les partisans de cette thèse297

, il ne serait nullement besoin de recourir à l’interdiction de principe pour rejeter des demandes inopportunes émanant des proches de l’enfant, dès lors que, même si les conditions objectives de l’adoption sont remplies, la demande peut être rejetée par le juge au nom de l’intérêt de l’enfant. Pour ces auteurs, l’adoption familiale devrait être autorisée sans restriction, le juge étant chargé de vérifier la conformité de l’adoption à l’intérêt de l’enfant. Dans le même sens, un auteur observe qu’ « étant admis que l’intérêt de l’enfant est, sauf exception, de rester – voire de revenir – dans sa famille d’origine », « tout doit être fait pour que son intégration ou

293 PHILIPPE (C.), op.cit, n° 19, p. 65.

294 BATTEUR (A.), op.cit., p. 759.

295 TERRE (F.) et FENOUILLET (D.), op.cit., p. 842 ; PHILIPPE (C.), op. cit.

296 PHILIPPE (C.), op.cit. ; Angers, 11 décembre 1992, Juris-Data n° 1992-051131 ; JCP éd. G., 1993, IV, 2270 ; RTD civ., 1994, p. 90, obs. HAUSER (J.), « Adoption plénière par les grands-parents ».

297 SALVAGE-GEREST (P.), note sous Cass. 1ère civ., 24 mars 1987, JCP éd. G., 1988, II, 21076 ; ROUJOU DE BOUBEE (M-E.), note sous Cass. 1ère civ., 24 mars 1987, op.cit.

sa réintégration au sein de celle-ci, et plus précisément du foyer qui l’accueil soit réussie. A

qui ferait-on croire qu’il est de son intérêt de rester indéfiniment dans la situation d’enfant

simplement recueilli par ses proches ? »298

. Soutenant ce dernier argument, le Professeur

DELFOSSE-CICILE, favorable au maintien du principe de cette forme d’adoption, souligne

que s’il est incontestable, sur le plan extra-patrimonial, que les membres de la famille ayant accueilli l’enfant pourront, par une mesure de délégation, être investis des droits d’autorité parentale, la situation de l’enfant risque, cependant d’être instable à un triple titre. « D’abord,

les membres de la famille peuvent se lasser de ce recueil qu’ils peuvent vite être enclins à

considérer comme un acte de charité et non comme un devoir légal. Ensuite, comme on le sait, la délégation peut cesser si les parents demandent la restitution de l’enfant. Enfin, il importe d’évoquer les troubles psychologiques résultant du sentiment d’être toujours un

intrus, différents des autres enfants vivant au foyer. ». Sur le plan patrimonial, en revanche, d’après le même auteur, « la mesure n’emportera aucune conséquence : ni vocation alimentaire, ni vocation successorale autre que celle résultant de leur degré de parenté. Alors que les parents – au sens large – ont la volonté de traduire par un lien de filiation les liens spécifiques qui les unissent à l’enfant, il ne semble donc pas opportun de le leur interdire. »299

A ce propos, le Professeur SALVAGE-GEREST s'interroge sur la nécessité de faciliter l’adoption simple qu'elle trouve souvent plus adaptée dans le cadre familial. Mais cet auteur n'exclut pas la possibilité de prononcer une adoption plénière en cas de nécessité. Ainsi, elle affirme que le bouleversement des liens parentaux ne saurait en aucun cas justifier « un rejet,

en bloc, de l’adoption plénière au sein du groupe familial »300

. Ces auteurs réservent notamment l’hypothèse où le parent qui créait le lien de parenté entre l’adoptant et l’adopté est décédé301 : selon eux, l’anomalie ne rejaillira généralement pas sur l’équilibre de la famille ainsi reconstituée. Ils évoquent aussi l’hypothèse où les parents sont frappés d’une mesure de retrait total des droits d’autorité parentale. « Il est bien évident que cette rupture envisagée

298 SALVAGE-GEREST (P.), note sous Civ. 1, 24 mars 1987, préc. Cité par DELFOSSE-CICILE (M-L.), op. cit., p. 521., n° 877.

299 DELFOSSE-CICILE ((M-L.), op. cit., p. 521., n° 877.

300 SALVAGE-GEREST (P.), note sous Civ. 1, 24 mars 1987, préc.

301 Analyse confortée par certaines décisions de justice. Ainsi, un arrêt de la Cour d’appel de Besançon en date du 1er février 1994, prononça l’adoption plénière de l’enfant par ses grands-parents maternels au motif qu’il est de l’intérêt de celui-ci, après la disparition tragique de sa mère assassinée par son concubin – par ailleurs père de l’enfant – de bénéficier d’une vie stable chez ses grands-parents. Besançon, 1er fév. 1994, préc. De même, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt en date du 10 novembre 1995, prononça-t-elle l’adoption plénière d’un enfant par sa tante et tutrice qui l’avait élevé depuis le décès de sa mère. Paris, 10 nov. 1995, D. 1997 somm. P. 278 obs. VAUVILLE (F.).

soit à l’égard d’une famille inexistante, soit à l’égard d’une famille indigne ne choque

pas »302

.

192 - Notre objection. Nous ne partageons pas cette opinion. Que les auteurs de l’enfant soient décédés ou aient fait l’objet d’une mesure de retrait ne supprime pas les effets néfastes attachés à la modification des repères généalogiques dans une des branches parentales – celle à laquelle appartient l’adoptant – assorti de la suppression de tous liens juridiques avec l’autre branche. Envisageons, plus concrètement, l’hypothèse d’un enfant dont les parents se sont vu retirer l’autorité parentale et qui a été confié à un oncle paternel, à charge, pour lui, de requérir l’organisation de la tutelle. Le conseil de famille ayant donné son autorisation, l’oncle et son épouse sollicitent alors l’adoption plénière de l’enfant. Si cette dernière est prononcée, elle emportera des inconvénients majeurs. L’enfant deviendra le fils de son oncle, le frère de ses cousins, le neveu de son père, voire de sa mère et un étranger pour la famille de cette dernière. Imaginons encore la situation d’un enfant dont les parents sont décédés et que le grand-père maternel souhaite adopter. Sans doute le bouleversement des repères généalogiques sera-t-il moins frappant. Pour autant, l’enfant deviendra le fils de son grand-père, le demi-frère de ses oncles et tantes, l’oncle de ses cousins. Surtout, les liens de parenté avec sa famille paternelle seront rompus, conséquence que l’on souhaitait précisément éviter dans le cadre de l’adoption de l’enfant du conjoint.

193 - La thèse du maintien restrictif. Cette thèse, qui se veut conciliatrice entre

l’interdiction totale et le maintien exclusif, a proposé une troisième solution. Cette dernière consiste à n’autoriser que l’adoption simple, lorsqu’adoptants et adopté sont unis par un lien de parenté. Ainsi, en proposant un tel aménagement, les partisans de cette thèse reconnaissent l’opportunité de prévoir la possibilité d’instaurer entre l’enfant et les membres de sa famille élargie qui l’ont pris en charge un lien adoptif, mais excluent l’adoption plénière jugée dangereuse pour l’enfant. Autrement dit, c’est la prohibition de l’adoption plénière et donc, par voie de conséquence, la seule admission de l’adoption simple qui pourrait permettre de résoudre les difficultés nées de l’éviction d’une des branches familiales. A ce propos, un auteur souligna que « le recours à l’adoption simple permettrait d’éviter, d’une part, cette éviction, d’autre part, le bouleversement des liens de parenté dans l’autre branche »303

. Cet auteur défend sa position en invoquant des décisions jurisprudentielles dont notamment l’arrêt de la Cour d’appel de Paris qui approuva une adoption simple entre frère et sœur au motif

302 HAUSER (J.), note sous Bordeaux 21 janv. 1988, préc., p. 456.

qu’au décès des parents, la sœur aînée a totalement pris en charge son plus jeune frère et qu’ainsi « des liens d’affection très profonds, analogues à ceux d’une mère et de son enfant, se sont tissés entre eux »304

.

Pourtant, les partisans de cette thèse, conscients des insuffisances inhérentes à leur proposition, font, en général, preuve d’une grande circonspection. Certes, quelques-uns relèvent que si l’adoption plénière, par la brutalité de ses conséquences, brouille nécessairement les repères générationnels et identitaires de l’enfant en le situant au rang de frère et sœur de ses propres parents, « semblable risque de confusion est étranger à l’adoption simple qui offre ainsi le support juridique de très nombreuses démarches »305

. Pour les autres, en revanche, l’adoption simple emporte les mêmes inconvénients que l’adoption plénière306

. A tout le moins, elle n’apparaît que « comme une solution de repli intéressante »307

que le juge pourrait opportunément proposer au requérant, sur le fondement de l’article 1173 du nouveau Code français de procédure civile.308

194 - Notre objection. Cette dernière thèse ne nous satisfait pas non plus, car elle tente de

minimiser le problème sans pour autant le résoudre. Même prononcée sous la forme simple, l’adoption entre proches parents demeure un vecteur de trouble et de confusion au sein de la parenté. Pour ces raisons, il nous paraît judicieux de consacrer une adoption sans création de lien de filiation entre l’enfant et les membres de sa famille élargie. Aussi, le prononcé d’une telle adoption devrait-il être systématique. L’adoption sous sa forme modeste, à l’exclusion de sa forme radicale, demeurant possible qu’à titre exceptionnel et lorsque des circonstances de fait l’exigent et ce, conformément à l’intérêt de l’enfant.