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Les modalités d’une éventuelle révocation de l’adoption plénière dans l’intérêt de l’enfant

Paragraphe 1. La désacralisation de l’adoption plénière

B. La remise en cause de l’irrévocabilité de l’adoption plénière

2. Les modalités d’une éventuelle révocation de l’adoption plénière dans l’intérêt de l’enfant

101 - Une révocabilité soumise à des conditions et à des effets stricts . En raison des

particularités de l’adoption plénière170, sa révocation serait strictement encadrée afin d’éviter toute décision préjudiciable à l’intérêt supérieur de l’enfant. Un tel encadrement résulterait de la définition d’un certain nombre de conditions à la satisfaction desquelles une décision de révocation de l’adoption plénière pourrait être prononcée avec des effets spécifiques soucieux de l’intérêt de l’enfant. Il faut donc définir, d’une part quelles seraient les conditions d’une éventuelle révocation de l’adoption plénière (a) et, d’autre part, les effets attendus d’une telle révocation (b).

a. Les conditions d’une éventuelle révocation de l’adoption plénière

102 - Deux catégories de conditions. La révocation de l’adoption plénière doit obéir à des conditions spécifiques liées à la qualité des demandeurs à l’action en révocation et à la légitimité de l’action en révocation de l’adoption plénière.

103 - La qualité des demandeurs à l’action en révocation. Cette action pourrait être

ouverte, à l’exclusion du ou des adoptants171, à l’adopté, aux personnes ou institutions qui avaient consenti à l’adoption de l’enfant au Mali et au Sénégal et au ministère public. L’exclusion des adoptants de la demande de révocation répond au souci de préserver l’intérêt de l’enfant. Ainsi, ce verrou permettra de prévenir l’indignité de certains adoptants qui seraient tentés de briser volontairement le lien de filiation qui les unit à l’adopté et mettre par

certains adoptants qui se rétracteraient postérieurement au jugement d’adoption alors qu’ils pouvaient très bien renoncer antérieurement à cette procédure ». op. cit., p. 152., n° 285.

170 Une filiation élective qui imite la filiation biologique.

conséquent l’enfant dans une nouvelle situation d’abandon matériel et moral. Comme l’a affirmé Mme LAMBERT-GARREL, « l’échec de l’adoption plénière ne saurait laisser l’adoptant remettre en cause, lui-même, le lien adoptif »172. En témoigne la triste affaire d’abandon d’enfant par des parents adoptifs néerlandais, après sept ans de vie avec l’adopté au Pays-Bas, qui avait défrayée la chronique en 2006173.

Une fois la qualité des demandeurs à l’action en révocation de l’adoption plénière déterminée, l’action ne pourra aboutir que lorsqu’elle est fondée sur une légitimité ou une nécessité impérieuse pour la sauvegarde de l’intérêt de l’enfant.

104 - La légitimité de l’action en révocation de l’adoption plénière. La sauvegarde de

l’intérêt de l’enfant étant le fil conducteur et l’élément déclencheur de l’action en révocation de l’adoption plénière, on peut dès lors comprendre pourquoi le prononcé de la révocation de cette forme d’adoption doit être précédé d’un examen rigoureux des motifs d’un tel projet. Motifs qui doivent rendre inutiles, inexistantes, impossibles ou « insupportables »174 les relations entre l’adopté et l’adoptant. Une telle prudence trouve sa justification dans la prévention d’éventuelles conséquences désastreuses que pourraient engendrer une remise en cause inadéquate et hâtive de l’adoption plénière.

Aussi, toute action en révocation de l’adoption plénière doit-elle être impérativement fondée sur des motifs graves mettant en danger l’intérêt de l’enfant. Dès lors, l’adoption plénière, tout

172 Voir LAMBERT-GARREL (L.), ibid., p.285.

173 En l’espèce, Raymond et Meta Poetary un couple Néerlandais, dont le mari était diplomate, avaient ,décidé en 2006, de renvoyer une petite Sud-Coréenne prénommée Jade et âgée de quatre mois qu’ils avaient adopté sept ans plus tôt aux services sociaux de Hong Kong. Selon eux, la petite Jade n’aurait pas réussi à se faire à la vie néerlandaise et ne serait pas parvenue à créer de liens solides avec sa famille adoptive. « À notre grande

déception, les choses n’ont cessé d’empirer et le reste de la famille en a énormément souffert », a expliqué

Raymond Poetary, âgé de 55 ans au quotidien néerlandais De Telegraaf. Selon ses dires, il aurait suivi les conseils de médecins. Ce qu’il faut noter dans cette affaire, c’est qu’après l’adoption de Jade, ses parents adoptifs ont eu deux fils biologiques. Nombreux sont les parents qui adoptent un premier enfant faute de pouvoir en faire un, et finalement ils ont des enfants biologiques. C’est un cas de figure classique, comme si le fait d’en avoir déjà un libérait les parents. Aussi, c’est Jade, la fillette de sept ans, qui va le plus souffrir dans l’histoire. En effet, outre le double-abandon, la petite fille a été déracinée. Née en Corée du Sud, elle a grandi aux Pays-Bas et a été renvoyée à Hong-Kong. Jade n’a vécu que ses quatre premiers mois en Asie et ne parle très probablement pas le chinois. En outre, elle risque de subir un choc culturel. Pour plus d’informations sur cette affaire, voire le site suivant, consulté le 14 juillet 2013 : http://www.aufeminin.com/news-societe/adoption-sept-ans-apres-un-couple-rend-sa-fille-adoptive-s80952.html.

174 V. également GRANET (F.), Les motifs de révocation d’une adoption simple, AJ famille 2002, p. 24. V. dans le même sens, COURBE (P.) et GOUTTENOIRE (A.) - Droit de la famille, 6ème éd. Dalloz, 2013, p.474, n° 1378.

comme l’adoption simple, ne pourrait être révoquée que si le maintien du lien adoptif met en péril l’intérêt supérieur de l’enfant.

Aussi, abordant la même question en droit français, un auteur a-t-il noté, à juste titre, que la révocation de l’adoption ne doit intervenir, dans les deux formes d’adoption, que s’il existe « des raisons si graves qu’elles rendent moralement impossible le maintien des liens crées par l’adoption, ou tout au moins éminemment souhaitable leur cessation »175.

En revanche, toute demande en révocation qui serait motivée par un caprice, par de simples disputes ou mésintelligences ponctuelles entre l’adopté et l’adoptant doit être écartée. Dans cette perspective, la Cour de cassation, relayé par une partie de la doctrine, affirme que « la simple mésentente, fût-elle profonde et réciproque, ne constitue pas un motif grave au sens de

l’article 370 du Code civil, le lien de filiation adoptive ne pouvant être anéanti par des

conflits, des susceptibilités ou des humeurs qui ne sont que les aléas que la vie en commun peut faire naître dans toutes les familles »176. De même, sur le fondement de l'article 370 du Code civil, la cour d'appel de Rennes a opposé le refus d'une demande de révocation de l'adoption simple au requérant. En effet, dans cette affaire, l'enfant, adopté par le mari de sa mère, demande en vain la révocation. Il fait valoir que l'adoptant a méconnu ses obligations de père adoptif en détournant des sommes lui appartenant, à savoir la majeure partie d'une "pension d'enfant" versée en complément de la pension de retraite perçue de son employeur. La cour affirme qu' " il n'est pas contesté que l'adopté a poursuivi des études supérieures longues et coûteuses (un cursus en école de commerce et deux masters) comprenant une année en Australie et deux en Nouvelle-Zélande. L'intéressé ne justifie pas des difficultés financières alléguées lors de la poursuite de ses études et n'apporte donc pas la preuve du non respect par son père de son obligation d'entretien. De plus, dans le litige opposant les parties sur la "pension d'enfant" versée par l'employeur de l'adoptant, il a été jugé que l'adoptant était le seul bénéficiaire de cette pension. Il convient donc de confirmer le jugement déféré qui, de manière fondée, a retenu que le litige existant entre les parties, et qui peut survenir dans toute

175 Cf. BERRY (B.), note sous Limoges, 26 novembre 1992, D 1994. 207.

176 C.Cass. Civ. 1ère, 3 octobre 2000, Dr. et patrimoine 2001, p. 121, note MONEGER (F.). V. Aussi VERSAILLES, 9 décembre 1999, Juris-Data n° 1999- 108097 ; RD. Sanit. Soc. 2000. 437, note MONEGER (F.)176. V. Egalement, Cour d'appel, Rennes, Chambre 6 A, 9 décembre 2014 - n° 749, 13/08728 JurisData et Cours suprême, 9 Décembre 2014 (Rejet d'une demande de révocation de l'adoption simple au motif que " ...le litige existant entre les parties, et qui peut survenir dans toute famille, n'est pas suffisamment grave pour constituer une cause de révocation de l'adoption ".

famille, n'est pas suffisamment grave pour constituer une cause de révocation de l'adoption "177

Dans l’appréciation des motifs de révocation de l’adoption plénière, le juge, appelé à jouer un rôle éminemment important et délicat, doit prendre en compte plusieurs paramètres178, telle que la possibilité éventuelle pour l’enfant d’avoir une nouvelle famille adoptive. Ainsi, la révocation de l’adoption plénière ne pourra intervenir, sauf impérieuse nécessité pour l’enfant, que lorsqu’elle permet une nouvelle adoption ou du moins des alternatives à l'adoption adaptées à la situation spécifique de l'enfant telle que le modèle malien d'adoption protection lorsque l'enfant a plus de cinq ans.

105 - Proposition de réforme. Nous Suggérons la réécriture de l'article 243 du Code

sénégalais de la famille et de l'article 542 du Code malien des personnes et de la famille qui disposent respectivement que "L’adoption plénière est irrévocable", "La filiation adoptive est

irrévocable". Ainsi, en lieu et place de ces articles, nous proposons la formulation suivante: " L'adoption plénière est révocable. Cette révocation doit obéir à des conditions spécifiques liées

à la qualité des demandeurs à l’action en révocation et à la légitimité de l’action en révocation de l’adoption plénière.

L’action en révocation de l’adoption plénière est ouverte, à l’exclusion du ou des adoptants, à l’adopté ou à l'institution qui avait consenti à l’adoption, au ministère public.

Toutefois, l'action en révocation de l’adoption plénière doit être impérativement fondée sur des motifs graves mettant en danger l’intérêt de l’enfant. Elle ne fait pas obstacle au

prononcé d' une nouvelle adoption adaptée à sa situation spécifique ".

Après avoir identifié les conditions d'une éventuelle révocation de l'adoption plénière, il conviendrait de se pencher sur ses effets.

b. Les effets attendus d’une éventuelle révocation de l’adoption plénière

106 - Une révocation non rétroactive. Si la révocation ne heurte pas l’institution de l’adoption plénière comme nous l’avons démontré précédemment, elle est par conséquent de nature à en limiter les effets négatifs. La révocation de l’adoption plénière à l’égard du ou des

177 Cour d'appel, Rennes, Chambre 6 A, 9 décembre 2014 - n° 749, 13/08728, JurisData, 9 Décembre 2014.

adoptants mettra définitivement fin, pour l’avenir, aux relations adoptives179. En revanche, les effets passés de l’adoption révoquée seraient maintenus. La solution permettra à l’ex-adopté de conserver les avantages recueillis antérieurement à la décision de révocation. En outre, le tribunal devrait pouvoir condamner l’ex-adoptant, soit à subvenir à l’entretien de l’ex-adopté, surtout lorsque celui-ci se trouve dans le besoin jusqu’à son intégration dans une nouvelle famille adoptive, soit à octroyer des dommages-intérêts lorsque son intégration dans une nouvelle famille est rendue impossible, à son ex-adopté pour le préjudice causé par une telle rupture. Enfin, la révocation d’une adoption plénière ne devrait en aucun cas, faire obstacle au prononcé d’une nouvelle adoption (plénière ou simple) quitte à aménager les effets de cette nouvelle adoption, de sorte qu’il n’y ait pas de distorsion préjudiciable à l’intérêt de l’enfant. Cet aménagement pourrait se faire en s'inspirant de la solution prévue par l'article 360 alinéa 2 du Code civil français. Cet article permet le prononcé de l'adoption simple de l'enfant ayant fait l'objet d'une adoption plénière lorsque des motifs graves le justifient.

107 - Proposition de réforme. Nous suggérons l'introduction d'un nouvel article dans les

codes malien et sénégalais de la famille consacré aux effets de la révocation de l'adoption plénière. Ce nouvel article sera formulé ainsi: " La révocation de l'adoption plénière à l'égard du ou des adoptants met définitivement fin, pour l'avenir, aux relations adoptives. Toutefois, lorsque l'intérêt de l'ex-adopté l'exige, celui-ci pourra conserver le nom de son ex-adoptant. Le tribunal peut condamner l'ex-adoptant, soit à subvenir à l'entretien de l'ex-adopté lorsque celui-ci se trouve dans le besoin, soit à octroyer des dommages-intérêts lorsque la rupture du lien d'adoption est de nature à compromettre l'avenir de l'enfant". Lorsque l'intérêt de l'enfant le permet, la révocation de l'adoption plénière ne fait pas obstacle au prononcé d'une nouvelle adoption."

108 - Conclusion. L’adoption plénière, présentée aujourd’hui comme le modèle privilégié dont l’adoption simple ne serait qu'un accessoire, ne répond pas toujours de manière satisfaisante à la situation de l’enfant. En effet, il y a des situations où il n’est pas nécessairement de l’intérêt de l’enfant d’être coupé définitivement de sa famille par le sang. La désacralisation de l’adoption plénière qui résulte de la remise en cause de l’existence d’une hiérarchie dans l’institution doit donc conduire à un renouveau de l’adoption simple dans la

179Sauf à noter que, lorsque l’intérêt de l’ex-adopté l’exige, celui-ci pourra conserver le nom de son ex-adoptant. Cette solution permettra d’assurer une certaine stabilité quant à l’identité de l’enfant. En revanche, l’adoption cesserait de produire tout autre effet, d’ordre extrapatrimonial et patrimonial : disparition de l’obligation alimentaire réciproque, de l’autorité parentale, des empêchements à mariage entre adoptant et adopté, des droits héréditaires réciproques.

perspective de rééquilibrer la dualité adoption-simple/adoption plénière dans une optique résolument protectrice des droits de l’enfant.