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Un instrument de séduction pour d’autres systèmes en quête d’alternatives à l’adoption

Paragraphe 1. La conformité du droit aux réalités locales

B. Le remède à la création de lien de filiation superflu

2. Un instrument de séduction pour d’autres systèmes en quête d’alternatives à l’adoption

322 - Justifications. L’adoption de fait remodelée, paraît être source d’inspiration pour la doctrine française notamment. Consciente des limites de l’adoption à répondre convenablement à toute une panoplie de situations adoptives, cette doctrine ne cesse depuis des décennies, de proposer des formes alternatives à l’adoption. Ainsi, après avoir passé en revue les raisons qui sous-tendent cette quête constante d’alternatives à l’adoption en France (a), il conviendrait d’exposer les solutions alternatives proposées (b),

a.) Les raisons légitimes à l'origine de la recherche des formes d’alternatives à l’adoption en France

323 - L'examen. Consciente de l’inadaptation de la forme plénière de l’adoption dans certaines situations et de l’utilisation « tout azimut »454 de la forme simple de l’adoption, une partie de la doctrine française a émis des réserves sur l’opportunité de la création d’un lien de filiation adoptive dans tous les cas. En effet, l’adoption simple qui est perçue comme la forme d’adoption la plus humble et donc, en principe, adaptable à toutes les situations où la forme plénière n’est pas souhaitée, se trouve fortement suspectée, car considérée désormais, selon l’expression du Professeur HAUSER, comme une sorte « d’adoption à tout faire »455. Aussi, est-elle très souvent détournée de sa finalité et utilisée à des fins purement étrangères à sa vocation première qui est de donner une nouvelle famille à un enfant qui en a besoin456. L’adoption n'est pas toujours souhaitée dans les relations entre un enfant et le tiers qui l'accueille. A titre d'illustration, les beaux-parents qui s'investissent auprès de leur petit fils ou leur petite fille au plan affectif, éducatif et matériel, ne souhaitent pas nécessairement aller jusqu'à l'adoption.

324 - Position de la doctrine. Des auteurs français ont estimé qu’à côté de la conception actuelle de l’adoption française, le législateur devrait faire preuve d’ingéniosité intellectuelle en envisageant la mise en place d’autres instruments juridiques destinés à protéger l’enfant de

454 Selon LAVALLEE, cité par GALLIARD (C.), « l’utilisation tout azimut de l’adoption simple brouille l’image de cette forme d’adoption qui apparaît comme une adoption en demi-teinte, mais aussi de l’adoption sous ses deux formes. ». V. GALLIARD (C.), op.cit., p.355., n°506.

455 HAUSER (J.), cité par LAVALLEE (C.), op.cit., p. 444, n° 595.

456 Selon un auteur, il faudrait « recentrer l’adoption, qu’elle soit simple ou plénière, sur son véritable but qui est de créer une filiation ». V. MASSIP (J.), note sous Civ. 1ère, 16 octobre 2001, Défrénois 2002, art. 37478, p. 196.

la création d’un lien de filiation. C’est ainsi que Mme GALLIARD, expose que « la seule

adoption ne peut répondre à l’ensemble des situations dans lesquelles un adulte prend en

charge un enfant » et ajoute-t-elle qu’ « il est certes compréhensible et justifié pour un adulte

qui s’investit auprès d’un enfant au plan affectif, éducatif et financier de demander que cet

investissement se traduise en termes juridiques, c'est-à-dire en droits et en obligations réciproques. Cette reconnaissance doit-elle être marquée jusque dans la filiation de

l’enfant ? »457.

Ces diverses préoccupations ont amené certains à proposer des mécanismes juridiques moins rigides, qui permettraient de reconnaître les efforts d’un tiers auprès d’un enfant sans nécessairement passer par une institution aussi radicale que l’adoption. C’est dans ce sens que certains auteurs, ont noté que «le droit doit donc encore défricher le champ immense et très

actuel des possibilités de dissociation entre la filiation et l’éducation »458 et d’envisager les « possibilités de reconnaître juridiquement le lien qui unit un enfant à un adulte en dehors du cadre de la filiation »459. Ceci est d’autant plus vrai qu’il urge aujourd’hui de repenser la finalité même de l’adoption et peut-être même sa raison d’être car elle ne peut s’élargir indéfiniment. Ayant donc compris cette nécessité, la doctrine française ne cesse, depuis des années, de proposer des solutions alternatives à l’adoption. L’adoption de fait serait donc sans doute stimulante pour une partie de la doctrine française qui réfléchit en France à un statut du tiers éduquant l'enfant.

b.) Les solutions alternatives proposées par la doctrine

325 - L’élaboration d’un statut du tiers en général. Sur ce point, un auteur a proposé de

conférer, aux tiers non parents, certaines prérogatives sur la personne et sur les biens du mineur, sous le terme « d’autorité familiale »460. Cette proposition visait à reconnaitre, d’une part, la spécificité juridique de la famille recomposée, d’autre part, de permettre aux beaux-parents de participer à l’exercice de l’autorité parentale sur l’enfant, sans toutefois remettre en

457 GALLIARD (C.), ibid., p. 358, n° 508.

458 LAMMERANT (I.), op.cit., p. 666, n° 758.

459 LAVALLEE (C.), op.cit., p. 444, n° 595.

460 LEROYER (A.-M.), L’enfant confié à un tiers : de l’autorité parentale à l’autorité familiale : RDT civ. 1998, p. 587. Un nouvel article 373-6 du Code civil serait ainsi rédigé : « si l’intérêt de l’enfant l’exige, compte tenu de la nécessité d’assurer sa stabilité de vie, le juge peut décider de l’exercice en commun de l’autorité

familiale ». L’auteur propose parallèlement, une dévolution légale de l’autorité familiale afin d’éviter la rigueur de l’ouverture automatique de la tutelle légale des ascendants. De plus, il envisage une dévolution volontaire sous la forme d’une convention judiciaire homologuée réalisant « une répartition assez flexible des prérogatives

entre le tiers, le parent cohabitant et l’autre parent ». –V. également pour une critique de cette méthode,

cause sa filiation. A ce propos, la réforme proposée par la commission présidée par le Professeur DEKEUWER-DEFOSSEZ461 est édifiante. En effet, cette commission avait proposé l’élaboration d’un véritable statut du tiers. Le rapport juge inopportun de prévoir des règles propres aux beaux-parents dans les familles recomposées. En revanche, il préconise l’élaboration d’un statut du tiers en général462. Malheureusement, la construction d’un tel statut n’a pas été jugée opportune par le législateur. En effet, ce dernier, non convaincu par le projet de réforme proposée, a adopté une « position de retrait »463 lors du vote de la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale464, refusant ainsi d’élaborer un tel statut et préférant se contenter d’assouplir les règles de la délégation de l’autorité parentale. Cependant, une telle solution n’a pas été jugée satisfaisante par certains auteurs qui y voient une trop grande réserve du législateur.

L’insertion dans le Code civil, par la loi du 4 mars 2002, d’un nouveau paragraphe intitulé « De l’intervention du tiers », a ainsi été jugé comme un « simple regroupement de

dispositions préexistantes plus ou moins retouchées »465.

326 - Un statut du tiers pourtant nécessaire. L’élaboration d’un statut du tiers aurait eu le mérite de conférer au tiers, dans la famille recomposée par exemple, qui aide le parent gardien de l'enfant dans l'accomplissement des actes de la vie courante relatifs à la surveillance, à l'éducation... de cet enfant, un statut juridique sans recourir à la création d'un lien de filiation. Elle se révèle également une véritable alternative à l’adoption, laquelle alternative aurait sans doute attiré une large clientèle du fait de son effet non créateur de lien de filiation. Concrètement, la proposition d’élaboration d’un statut de tiers en France avait pour objectif

461 DEKEUWER-DEFOSSEZ (F.), Rapport, Rénover le droit de la famille : propositions pour un droit adapté aux réalités et aux aspirations de notre temps : Doc. Fr. 1999 coll. Rapports officiels. V. Egalement, Couple,

filiation et parenté aujourd’hui- Le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée, ss. dir. THERY (I.),

Rapport au ministre de l’emploi et de la solidarité et au Garde des sceaux, ministre de la justice, Paris, éd. O. Jacob, 1998.

462 DEKEUWER-DEFOSSEZ (F.), idem, p. 89. – En ce sens également, 95è congrès des notaires de France, Demain la famille, Marseille 9-12 mai, n°1175, n°1176, n°4150. Les intervenants proposent de créer une nouvelle possibilité de délégation partielle de l’autorité parentale permettant aux père et mère de conférer à un tiers le pouvoir d’accomplir, concurremment avec chacun d’eux, des actes usuels de la vie courante de l’enfant. – V. également, BOURGEAULT-COUDEVYLLE (D.), Les relations de l’enfant avec d’autres personnes que ses père et mère : Dr. et patrimoine sept. 2000, p. 71.

463 Cf. FULCHIRON (H.), L’autorité parentale rénovée – Commentaire de la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale, Defrénois 2002, art. 37580, p. 978.

464 Loi n° 2002-304, du 4 mars 2002, relative à l’autorité parentale, JO 5 mars 2002, p. 4161 et s. V. en ce sens, Les commentaires de REBOURG (M.), La réforme de l’autorité parentale, J.C.P. 2002 act., p. 701. ;

BOULANGER (F.), Modernisation ou utopie ?: La réforme de l’autorité parentale par la loi du 4 mars 2002, D. 2002, chr., p. 1571. ; FULCHIRON (H.), article précit., p. 959.

ultime de réhabiliter certaines formes actuelles de reconnaissance du rôle d’un tiers auprès d’un enfant afin d'en faire une véritable alternative à l’adoption. Il s’agit des succédanés tels que le parrainage, la tutelle, la délégation de l’autorité parentale, etc.

327 - Le Parrainage. Le parrainage est une relation créée autour de l’enfant par le baptême, mais qui n’entraîne pas de modification de l’identité de l’enfant. Il crée une parenté symbolique et un partage des responsabilités dans l’éducation spirituelle de l’enfant. Il ne crée pas de lien de filiation. A ce titre, Mme FINE fait observer qu’ « à la différence des parents

adoptifs, parrains et marraines n’ont pas pour vocation première, du moins en France, d’être les substituts des parents biologiques… »466. Le mérite d’une telle institution est qu’elle pourrait être utilisée pour renforcer les relations entre membres d’une même famille. Il en est ainsi par exemple, du choix du frère aîné comme parrain par son frère cadet ou sa sœur cadette. Toujours vivante en France, l’institution du parrainage est une création originale de la chrétienté médiévale467.

328 - La Tutelle. Dans la tutelle française, le tuteur ne confère pas son nom au mineur, ne

prend pas l'engagement de l'entretenir, ne lui transmet pas son patrimoine par succession et peut envisager de se faire délivrer de sa charge par le juge avant l'accès du pupille à la majorité. Dotée d’une organisation complexe et d’un mécanisme lourd468, la tutelle s’ouvre de plein droit en cas de décès des deux parents ou en cas de défaillance parentale absolue, c'est-à-dire lorsqu’aucun des père et mère n’est en mesure d’exercer l’autorité parentale469. Elle s'ouvre également à l'égard d'un enfant dont la filiation n'est pas légalement établie470. Du coup, en se substituant aux parents biologiques de l’enfant, la tutelle se limite simplement à un transfert juridique des prérogatives sur l’enfant à l’exception de toute création d’un nouveau lien de filiation entre la personne chargée d’assurer la tutelle et l’enfant. Cependant, ce mécanisme reste difficile d’accès à partir du moment où il est soumis à une intervention judiciaire. Or l’obligation de saisir le juge représente un facteur de rigidité qui semble peu compatible avec la souplesse nécessaire qui devrait encadrer l’intervention du tiers.

466 FINE (A.), citée par CORBIER (M.), « Adoption et fosterage », op. cit., p. 31.

467 Cf. CORBIER (M.), idem, p. 31.

468 V. en ce sens, CORNU (G.), Droit civil – La famille, Montchretien, 7ème éd., 2001, p. 194, n°99. V. Egalement MARIA (I.), Mineur : protection judiciaire : tutelle, in Droit de la famille (ss. dir. MURAT (P).), 6ème éd. Dalloz, 2014. p. 1302 et s. n° 338.11 et s.

469 A côté de ces rares hypothèses, la loi prévoit, par surcroît de précaution, l’éventualité d’un passage judiciaire, soit de l’administration légale pure et simple, soit de l’administration légale sous contrôle judiciaire à la tutelle lorsque les circonstances le justifient (article 391 du Code civil).

470 V. sur ce point, MARIA (I.), Mineur : protection judiciaire : tutelle, in Droit de la famille, 6ème éd. Dalloz, op. cit. p. 1302, n° 338.13.

329 - La délégation de l’autorité parentale. Rendue moins radicale471 par la loi du 4 mars 2002, la délégation de l’autorité parentale postule désormais, un partage de l’exercice de l’autorité parentale entre les père et mère d’un enfant avec le tiers délégataire472. Ce partage reste toutefois une solution exceptionnelle et judiciaire. Exceptionnelle en ce sens que la mesure est soumise à la réunion d’un certain nombre de conditions473 et que la mesure envisagée doit correspondre « aux besoins d’éducation de l’enfant ». Judiciaire, en ce sens

que la mesure est soumise à l’appréciation de son opportunité par le juge. Ainsi, l’opportunité de son prononcé sera fonction de l’interprétation qui sera adoptée par le juge de la notion de « besoins d’éducation de l’enfant ». Aussi, si la jurisprudence retient une interprétation large

de cette notion, le mécanisme de délégation de l’autorité parentale pourrait servir de fondement pertinent à l’intervention du tiers. Car il permettrait la reconnaissance de la prise en charge de l’enfant par le tiers sans que la filiation de l’enfant ne soit changée. En revanche, le choix d’une interprétation restrictive cantonnerait ce mécanisme à des hypothèses réduites n’appelant qu’une intervention marginale du tiers.

330 - La consécration d’un lien nourricier. Bien qu'ignoré par le droit français, le lien

nourricier existe dans certains pays européens comme la Suisse474. Il est perçu comme une solution pour habiller juridiquement les relations affectives qui s’établissent entre un enfant et une personne présente à son foyer. Il n’implique pas la création d’un lien juridique de filiation, autrement dit, il ne suppose pas l’ « adjonction d’un lien parental fictif »475. Le lien nourricier correspond à un vécu, vécu résultant effectivement du seul fait matériel de

471 Avant la loi du 4 mars 2002, l’ensemble des règles relatives à l’autorité parentale paraissait en effet « marqué par l’idée que la délégation constitue plus ou moins une forme d’abandon de l’enfant par des parents qui ne peuvent ou ne veulent plus en assumer la responsabilité ». En revanche, dans le rapport rédigé ss. dir. DEKEUWER-DEFOSSEZ, il était proposé de « faire de la délégation un mode d’organisation souple et efficace de prise en charge de l’enfant par un tiers, notamment par les grands-parents ou les beaux-parents, en cas de difficulté ou de défaillance, parfois temporaires des parents ». Cf. Rapport ss. dir. DEKEUWER-DEFOSSEZ (F.), rapport précit. p. 93.

472 Cf., le nouvel art. 377-1, al. 2, du Code civil qui prévoit que le jugement de délégation peut prévoir, pour les besoins de l’éducation de l’enfant, que les père et mère, ou l’un d’eux, partageront tout ou partie de l’exercice de l’autorité parentale avec le tiers délégataire.

473 Avant la loi du 4 mars 2002, on pouvait recenser trois formes de délégations : la délégation volontaire (article 377, alinéas 1 et 2, ancien du Code civil), la délégation sur demande unilatérale du délégataire fondée sur le désintérêt des parents (article 377, alinéa 3, ancien du Code civil), et la délégation sur recueil sans intervention des père et mère (article 377-1 ancien du Code civil). Désormais, la loi distingue expressément deux hypothèses : celle de la délégation volontaire, sur l’initiative des parents ou de l’un d’eux, et celle de la délégation prononcée à la demande d’un tiers.

474 V. par exemple l'article 264 du Code civil suisse, Nouvelle teneur de la LF du 25 juin 1976, en vigueur depuis le 1er janv. 1978.

l’accueil, de l’entretien et de l’éducation de l’enfant. En effet, il offre à l’enfant la stabilité d’un milieu favorable à l’épanouissement de sa personne tout en lui assurant la conservation d’un contact permanent, juridique et factuel, avec sa famille d’origine. Le lien nourricier recherche la coexistence, la conciliation des intérêts présents et non la consécration d’une quelconque suprématie exercée sur des liens de parenté existants. Il représente une réalité sociétale. Celle-ci, avalisée légalement, est d’ordre réel car elle allie à la transparence une double dimension éducative et affective. Ainsi, le tiers nourricier serait investi d’une fonction parentale jusqu’à ce que l’enfant ait atteint l’âge de la majorité.

331 - Originalité du lien nourricier. A propos de ce mécanisme, le Professeur

DEKEUWER-DEFOSSEZ a souligné justement que le lien nourricier correspond à une vision spécifique et particulièrement élargie de la famille. Ni lien de filiation, ni lien de parenté mais lien relationnel, le lien nourricier a donc vocation à s’adapter à de nombreuses situations de fait laissées en suspens par le législateur. En conséquence, il écarte deux dangers que susciterait l'élargissement de la notion de filiation : celui, d’une part, d’obscurcir le sens de la filiation et de renforcer un mouvement de " privatisation ", le lien devenant plus largement tributaire des volontés individuelles, et celui, d’autre part, de démobiliser le parent par le sang, concurrencé dans sa fonction par la présence d’un parent issu d’une « seconde famille » quotidiennement plus proche de l’enfant476. Le lien nourricier est ainsi présenté comme un correctif aux insuffisances du droit positif, car il se veut une alternative pertinente à certaines adoptions non souhaitables.

Par ailleurs, la nécessité de créer des effets juridiques aux rapports créés de fait entre l'enfant et le proche parent qui l'éduque milite également en faveur d'une valorisation de cette institution coutumière.