• Aucun résultat trouvé

L’inadaptation des effets de l’adoption plénière au contexte local

Paragraphe 2. Une adoption en contradiction avec les réalités maliennes et sénégalaises

A. L’inadaptation des effets de l’adoption plénière au contexte local

70 - L'effacement du lien de sang et la création d'une filiation nouvelle. L’engouement suscité par l’adoption plénière laisse penser deux choses. La première est de dire que cette forme d’adoption est conçue « pour combler un manque affectif et identitaire de parents en

mal d’enfants »117. La seconde est de conclure que l'adoption plénière a été instaurée dans un souci d’adhésion au modèle de la filiation biologique, dont elle copie surtout la dimension exclusive.

Cette visée de l’adoption plénière lui a d’ailleurs valu, à juste titre, le qualificatif « d’adoption jalouse » par le doyen CORNU pour qui, l’adoption plénière « …entend se construire sans partage. Elle ne s’ajoute pas. Elle supplante. Pour être vraiment une famille comme les autres, il faut qu’elle soit seule et que s’efface la famille d’origine »118.

71 - Les ambivalences de la législation malienne. De façon surprenante, le législateur

malien, en disposant à l’article 522 alinéa 1 in fine que l’adoption filiation peut avoir pour but

117LAMBERT-GARREL (L.), « L’adoption, une institution à la recherche d’un équilibre », Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2003 (thèse), p. 37.

de donner à une personne une postérité119, fait de cette forme d’adoption une institution à la solde des parents en manque d’enfant et non une mesure de protection de l’enfance déshéritée. Cette conception passéiste de l’adoption s’éloigne de la conception moderne de l’institution dont la finalité serait de donner une famille à un enfant et non le contraire.

Le législateur malien, prévoit à l'alinéa premier de l’article 522 du Code des personnes et de la famille que "Toute personne de bonne vie et de bonne mœurs établies peut adopter un ou

plusieurs enfants, soit pour assurer à ceux-ci l'entretien, l'éducation, la protection matérielle ou morale dont ils ont besoin, soit pour se procurer une postérité". Cette disposition envisage donc deux finalités juridiques à l'adoption. La première nous paraît louable. Elle fait de l'adoption, une institution conçue pour assurer l'entretien, la protection matérielle ou morale des enfants. En revanche, la seconde nous paraît critiquable. Elle envisage l’adoption plénière essentiellement dans l’intérêt de l’adoptant et par conséquent fait de cette forme d’adoption, un moyen tendant à assurer la survie d’une famille et d’un nom menacés d’extinction. Pourtant, une telle perception de l’adoption se conçoit mal au Mali et au Sénégal pour deux raisons fondamentales : la religion et la culture.

72 - Les raisons fondées sur la religion. Le Mali et le Sénégal sont des Etats à forte tendance

musulmane (plus de 90 % de la population est musulmane). Dès lors, il paraît logique que l’adoption plénière ne suscite pas le même engouement qu’en Occident au sein des populations locales. L’argument religieux, fondé sur l’interdiction coranique, est mobilisé pour faire obstruction à toute idée de rattachement d’un lien exclusif de parenté.

73 - Les raisons fondées sur la culture. Ces raisons ont trait aux particularités culturelles des

deux pays. En effet, dans ces pays, les structures de parenté, telles qu’elles existent, laissent peu de chance au recours à des filiations de substitution aux effets radicaux. Le famille élargie joue un rôle très important dans le recueil des enfants orphelins, démunis et abandonnés. Mais

119 Cf. Article 522 code malien des personnes et de la famille « Toute personne de bonne vie et de bonne mœurs établies peut adopter un ou plusieurs enfants, soit pour assurer à ceux-ci l'entretien, l'éducation, la protection matérielle ou morale dont ils ont besoin, soit pour se procurer une postérité.

Dans le premier cas, a lieu "l'adoption- protection" qui renforce ou crée entre l'adoptant et l'adopté des droits et obligations tels que prévus par le présent code.

Dans le second cas, a lieu "l'adoption- filiation" qui institue des liens analogues à ceux résultant de la filiation légitime ».

face à l’effritement de la solidarité qui, jadis, régnait dans ces pays, la nécessité de l’adoption plénière s’y impose. En revanche, celle-ci doit être suivie de réaménagements nécessaires afin de légitimer l’institution à travers la prise en compte des spécificités locales.

74 – Une diversité des motivations et des fonctions de l’adoption. L’effet de l’adoption est

fonction surtout des motivations des candidats à l’adoption. Ainsi, un examen minutieux des motivations de l’adoption plénière française et de celles de l’adoption en Afrique francophone, notamment au Mali et au Sénégal, dénote le caractère inadapté de l'effet exclusif de l’adoption plénière française au contexte local, du moins, telle que l'adoption plénière se présente dans les droits positifs malien et sénégalais.

75 - L'adoption comme institution caritative. En effet, un certain nombre d’arguments120 sont régulièrement mobilisés en Occident, singulièrement en France, visant à imprimer à l’institution une finalité uniquement caritative tout en occultant subtilement d’autres motivations. Dénonçant cette hypocrisie législative, Mme LAMBERT-GARREL a noté, à juste titre, que l’adoption est une technique juridique qui devrait permettre de satisfaire le besoin de famille d’un enfant sans filiation ou abandonné. Cette phrase est bien souvent un « leitmotiv » législatif qui permet de mettre en avant l’intérêt de l’enfant121. De nos jours, il est mis en exergue dans l’article 3-1 de la Convention internationale de 1989 relative aux droits de l’enfant, l’adoption lui permettant de trouver de meilleures chances de bonheur affectif et de sécurité matérielle.122

76 - L'adoption comme mesure de consolation d'une famille sans enfant. A côté de l'

aspect caritatif sus évoqué, existe une réalité rarement abordée : "l’égocentrisme" des parents.

En effet, la raison qui motive une démarche adoptive n’est peut-être pas l’enfant en soi, mais l’enfant pour soi. En témoigne, d’une part, l’attitude des couples confrontés à la stérilité qui s’orientent, tout d’abord, vers le médecin et les nouvelles techniques biologiques et médicales de procréation. Puis, face à l’échec médical, ils se tournent vers la technique juridique : celle de l’adoption. En témoigne, d’autre part, la lettre d'un Premier ministre français, M. Balladur,

120LAMBERT-GARREL (L.), « L’adoption, une institution à la recherche d’un équilibre », Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2003 (thèse), p. 32. Pour l’auteur, « L’idée qui a longtemps prévalu était que l’adoption permettait de donner un enfant à une famille qui n’en avait pas. Mais, autorisant l’adoption d’enfants

en présence de descendants, le législateur a détaché l’institution de sa fonction première : donner un descendant à une famille sans postérité… ».

121 C.civ. , art. 353.

qui, à l’initiative de travaux de réflexion sur l’adoption, reproche aux procédures adoptives de n’être « ni très adaptées aux désirs des parents, ni forcément respectueuses des droits de

l’enfant »123. En témoigne, enfin, le nombre de candidats à l’adoption qui dépasse de loin celui des enfants adoptables en France.

Or, l’adoption ne peut se réduire à une simple technique juridique, mais doit aussi être appréhendée comme un problème de société124. En effet, l’enfant a pris une telle place dans la société française, qu’il serait hypocrite de prétendre que l’institution n’a pour finalité que celle de répondre aux difficultés d’enfants mineurs privés de famille.

Elle a également pour objectif de répondre aux besoins affectifs des parents adoptifs. Cette ambivalence de la finalité de l’adoption est affirmée par M. Farge lorsque celui-ci note, parlant de la France, que : « ….l’adoption est une institution solidement ancrée dans le droit positif et qui répond à une finalité sociale évidente : offrir une famille à un enfant qui en est

privé, tout en permettant, souvent, de satisfaire le désir d’enfant d’une famille stérile. »125. Ainsi, s’il est possible d’avancer que l’adoption peut être motivée par des mobiles généreux : donner une famille de substitution à un enfant abandonné ou de parents inconnus, l’adoption est très souvent motivée par des « vues strictement personnelles »126 : permettre, par exemple, à une personne sans enfant d’avoir une postérité pour des raisons qui lui sont propres. Cette ambivalence des finalités rejaillit sur la nature même de l’institution127. Ainsi, l’adoption plénière héritée de la législation française opte pour un effacement des parents biologiques au profit d’une prééminence des parents adoptifs. Ce qui contredit les réalités locales dans la mesure où au Mali et au Sénégal, l’établissement de liens de filiation ne constitue pas, en principe, la finalité de l’adoption.

123LAMBERT-GARREL (L.), ibid, p.29.

124 PHILIPPE (C.), Les nouvelles règles de l’adoption : Dr. et patrimoine, nov. 1996, p. 48.

125 FARGE (M.), op-cit., p. 145. V. également, RUBELLIN-DEVICHI (J.), Droit de la famille, Contribution réalisée à l’occasion de l’Année Internationale de la Famille pour le groupe de travail intitulé Droit et Famille, CNAF, p. 48 : « Aujourd’hui, l’adoption est souhaitée non tellement pour donner une famille à un enfant qui en

est privé, mais bien autant, sauf hypocrisie manifeste, pour donner un enfant à une famille stérile, comme on

peut le constater en interrogeant les jeunes couples demandeurs à l’adoption, dont toutes les femmes, ou

presque, ont suivi sans succès le parcours de la procréation médicalement assistée ». Dans le même sens, MURAT (P.), La loi du 6 juillet 1996 relative à l’adoption : une réforme technique dans la continuité de l’institution, Dr. fam. 1996, chron. n° 2 ; MATTEI (J.F.), Adoption : le cœur et la raison, Les petites affiches, 1995, n° 53, p. 51.

126 Cf. SIDIBE (A. S. ), op.cit., p. 136.

77 - L'adoption comme institution de solidarité. L’adoption au Mali et au Sénégal est fondée surtout sur le devoir de solidarité (solidarité à l’égard des enfants en besoin d’adoption et solidarité à l’égard des proches sans enfants sans que cette solidarité entraine une rupture des liens de filiation entre l’adopté et sa famille biologique), le souci d’assurer une meilleure éducation à un enfant, le souci de raffermir les liens d’amitié et d’alliance, etc.

78 - Une conception occidentale de l'adoption opposée à celle africaine. Mme Goody

oppose deux pratiques128: d’un côté, l’adoption occidentale, de caractère définitif, qui fait passer l’enfant dans une nouvelle famille à la condition, dans le droit français en tout cas, que les liens familiaux antérieurs soient rompus ; de l’autre, une grande variété de formes, plus ou moins temporaires, de délégations de rôles à finalités diverses qui, en Afrique en tout cas, ne s’accompagnent pas obligatoirement d’un changement d’identité. C’est le cas notamment de l’adoption-protection malienne qui fera l’objet d’un développement ultérieur129.

79 – Une objection à écarter. Une objection pourrait être formulée. Lorsque l’adoption est

demandée au tribunal, il s’agit d’une adoption plénière. Mais cette circonstance ne condamne pas notre démonstration, car la majeure partie des adoptions faites au Mali et au Sénégal sont des adoptions de fait. On comprend dès lors que, quoique ayant la faveur des postulants, l’adoption plénière reste une institution mal assumée en raison de la faiblesse des demandes d'adoption plénière par des nationaux.