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63 - Adoption simple, une adoption au rabais. La primauté de la forme plénière de

l’adoption est traduite en droit et dans les faits d'une part, par une large faveur qui l'entoure (A) et, d'autre part, par une certaine relégation, au second rang, de la forme limitée ou simple de l’adoption (B).

A. La faveur incontestable pour la forme plénière de l’adoption

64 – La faveur législative. La préférence manifestée en faveur de l’adoption plénière est

avant tout d’ordre législatif. Evoquant la suprématie de l’adoption plénière (en France), CARBONNIER ne disait-il pas que « la loi du 11 juillet 1966 l’a placée en tête, comme le modèle dont l’adoption simple n’est plus que le diminutif et, pour ainsi dire, le reflet »99 ? En effet, c’est justement cette loi du 11 juillet 1966100 qui a supprimé en France, la légitimation adoptive et a créé l’adoption plénière. Cette dernière a été privilégiée au motif que cette forme d’adoption était la meilleure solution pour les mineurs. Conçue pour singer la filiation biologique, cette forme d’adoption revendique son exclusivité par l’effacement de la famille par le sang. Du coup, tout lien juridique entre l’adopté plénier et sa famille biologique est irrévocablement rompu de telle sorte que les parents adoptifs deviennent les seuls et uniques parents de l’enfant adopté. Autrement dit, la famille adoptive se substitue à la famille d’origine de l’adopté. Ce qui n’est pas le cas avec l'adoption simple où le lien de filiation fictif s’ajoute au lien du sang.

99 CARBONNIER (J.), Droit civil-La famille, l’enfant, le couple, PUF, Thémis, droit privé, t. 2, 21ème éd., 2002, p.362.

100 Le législateur français a entrepris, dans la loi du 11 juillet 1966, de réécrire le titre VIII du livre 1er du Code civil sous une rubrique nouvelle : « de la filiation adoptive ». Le nombre de types d’adoption est ramené à deux. L’adoption emportant rupture d’avec la famille d’origine, ainsi que la légitimation adoption ont été fusionnées pour constituer l’adoption plénière. Quant à l’adoption permettant le maintien des liens entre l’enfant et sa famille par le sang, elle subsiste sous le nom d’adoption simple. En clair, la légitimation adoptive devient l’adoption plénière tandis que l’adoption classique, issue du Code de 1804, devient l’adoption simple.

65 - Critiques. La suprématie du modèle n’est pas satisfaisante. Ainsi, un auteur a souligné, à juste titre, que le « résultat de la politique législative française privilégiant l’adoption

plénière a été justement de causer un déséquilibre non seulement entre le nombre de

candidats à l’adoption et celui des enfants adoptables »101, mais aussi et surtout entre l’adoption simple et l’adoption plénière.

Comme précédemment affirmée, la primauté accordée à l’adoption plénière découle du choix substantiel du législateur français de 1966 qui a voulu non seulement « éviter les conflits entre la famille par le sang et les adoptants », mais aussi « garantir les droits de la famille par le sang », tout en assurant « par des dispositions relatives à l’état civil la rupture de fait entre l’adopté et sa famille d’origine »102. Ainsi, cette forme d’adoption fut promue par le législateur car elle constituait une réponse aux attentes des candidats à l’adoption et un remède aux souffrances de l’enfance déshéritée. C’est ainsi qu’un auteur n’a pas manqué de qualifier l’adoption plénière d’ « instrument de remodelage de la famille »103. Ce choix législatif en faveur de la « forme intégrationniste »104 de l’adoption a retenu l’attention de nombreux auteurs105. En témoignent le nombre d’articles106 élogieux consacrés à cette forme

d’adoption. C’est ainsi que M. TERRASSON DE FOUGERES107, affirme, à juste titre, que

« l’ensemble de ces options législatives érige l’adoption plénière en modèle, lui attribuant

ainsi une fonction rayonnante au sein de l’institution de l’adoption. L’adoption plénière agit

101 LAMBERT-GARREL (L.), « L’adoption, une institution à la recherche d’un équilibre », Presses

universitaires d’Aix-Marseille, 2003 (thèse), p.31

102 Cf Exposé des motifs du projet de loi portant réforme de l’adoption (n° 1630) enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 octobre 1965.

103 CARBONNIER (J), op.cit., p384, « De la loi du 11 juillet 1966, l’adoption a reçu une nouvelle nature. Les conséquences de la transformation dépassent l’institution même de l’adoption et concernent toute la théorie de l’état des personnes. Par la liberté qu’elle ouvre aux individus, fût-ce sous le contrôle du juge, de créer un rapport de parenté, et de parenté légitime, sans mariage ni procréation, l’adoption plénière apparaît comme un instrument de remodelage de la famille ».

104 Souligné par nous. Il s'agit là de la forme plénière de l'adoption.

105 V.CARBONNIER (J.) Droit civil - La famille, l'enfant, le couple, op. cit. p. 384. V. également GALLIARD (C.), Adoption simple, adoption plénière: essai sur la dualité de l'institution, thèse, UMPF - Grenoble II, 2003, p. 230.

106 HAUSER (J.), RTD. civ. 1994. 578. V. également CORNU (G.), Droit civil - La famille, Montchrestien, 7ème éd., 2001, p. 423, n° 277.

107 TERRASSON DE FOUGERES (A.), Le modèle dans le droit de la famille notions et fonctions (Essai de droit comparé interne), thèse, Paris II, 1994, p. 54.

dès lors en tant qu’institution donneuse, faisant rétrograder l’adoption simple au rang d’institution receveuse »108.

Cette sympathie pour l’adoption plénière mérite quelques corrections pour les problèmes qu’elle suscite au niveau local du fait de la « coupure irrémédiable avec la parenté et les liens d’origine de l’enfant »109.

66 – La faveur des adoptants. La préférence législative en faveur de l’adoption plénière a

été relayée par les candidats à l’adoption qui ont jeté leur dévolu sur la forme plénière de l’adoption, en témoigne ces propos d’un auteur qui, évoquant la question des conflits de lois dans la filiation adoptive en France, affirme que : « Les candidats (français) à l’adoption viennent d’une culture juridique où l’adoption est une véritable forme alternative à la filiation

par le sang ; ils sont enfermés dans le modèle interne de l’adoption plénière et espèrent une intégration complète de l’enfant dans leur propre famille ainsi que la rupture corrélative des

liens entre ce dernier et ses parents par le sang »110.Du coup, la forme simple de l’adoption se trouve relayée au rang de « parent pauvre » de l’adoption.

B. La défaveur pour la forme simple de l’adoption

67 – Une adoption simple relayée au second plan. L’adoption simple, dotée d’effets plus

modérés que l’adoption plénière, est souvent considérée comme une adoption au rabais. Pour paraphraser un auteur, on peut dire que l’adoption simple est perçue comme ‘parente pauvre’ de l’adoption111. En effet, elle ne connaît pas un succès véritable en France. Dans la pratique « l’exemple français montre que l’existence, même « en filigrane » de liens avec la famille d’origine, est plutôt ressentie comme une gêne pour l’adoptant »112. Aussi, la promotion de

108GALLIARD (C.), Adoption simple, adoption plénière : essai sur la dualité de l’institution, thèse de doctorat, Grenoble II, 2003, p.231.

109BOULANGER (F.), « Enjeux et Défis de l’Adoption » Etude comparative et internationale, Éd. Economica, 2001, p.137.

110FARGE (M.) "Le statut familial des étrangers en France: de la loi nationale à la loi de la résidence habituelle", L'Harmattan, 2003, P. 185, n°189.

111 Au-delà des restrictions légales au libre choix entre les deux types d’adoption, la pratique révèle l’existence, dans l’esprit des juristes et des justiciables, d’un principe de faveur de l’adoption plénière, reléguant l’adoption simple à la place du « parent pauvre ». Cf. MAHILLON (P.) in « L’adoption simple, parente pauvre de l’adoption plénière ? », Mélanges offerts à Robert PIRSON, Bruyant, Bruxelles, 1989, pp. 203-218. Voir également LAMMERANT (I.), L’Adoption et les Droits de l’Homme en droit comparé thèse L.G.D.J 2001, p. 279.

l’adoption aux effets limités qui aurait pu être un des objectifs de la loi française de 1996, n’est-elle pas réalisée. Elle est plutôt apparue comme une « formule de repli » en cas d’échec de l’adoption plénière113. Pourtant, l’adoption plénière n’est pas nécessairement la panacée. Elle ne représente pas forcément un avantage pour l’enfant. L’effacement de la famille d’origine que postule l’adoption plénière est un effet radical et parfois inapproprié. La critique fondée sur la discrimination repose sur un jugement de valeur qui relègue l’adoption aux effets limités (adoption simple) à une sous-catégorie inachevée de l’adoption. Or, les deux formes d’adoption devraient bénéficier d’une égale légitimité. Pour l'avenir, il faudrait renforcer et améliorer le régime de la forme simple de l’adoption. Les enfants adoptés sous la forme simple ou plénière seront soumis dès lors à un traitement équivalent114.

68 - Solutions prospectives. La répartition entre les deux formes d'adoption doit s’opérer, à notre point de vue, en fonction des spécificités des enfants potentiellement adoptables et non en fonction d’un quelconque désir des candidats en faveur de telle ou telle forme d’adoption. Ceci permettant, du moins, dans le contexte malien et sénégalais, d’éviter des conflits potentiels entre parents d’origine et parents adoptifs de l’adopté et, dans le même temps, de préserver l’enfant contre les conséquences éventuelles de tels conflits.

L’analyse des pratiques115 de l’adoption de fait au Mali et au Sénégal montre à suffisance la préférence des populations de ces pays pour l’adoption avec maintien du lien de filiation d’origine de l’adopté116. Dès lors, une remise en cause de l’option des législateurs malien et

113 Sur l’échec de la « revalorisation » de l’adoption simple en droit français, cf. BOULANGER (F.), Le bilan mitigé d’une réforme, D. 1996-307 et MONEGER (F.), Loi du 4 juillet 2005 portant réforme de l'adoption, Revue de droit sanitaire et social, 1997, p. 24.

114 V. nos propositions sur une éventuelle révocabilité de l’adoption plénière au même titre que la forme « modeste » de l’adoption (V. infra, p. 56, note 100 et s.). Il en est de même pour la possibilité éventuelle pour un adopté-protection ou un adopté sous la forme limitée, de succéder de ses parents adoptifs au même titre que les enfants adoptés sous la forme plénière.

115 A titre d’exemple, BOULANGER (F.), parlant de l’adoption en Afrique noire, dit dans son ouvrage que « si la plupart des Etats d’Afrique Noire connaissent aujourd’hui une codification officielle de l’adoption sur le modèle occidental…, elle n’apparaît trop souvent que comme un placage symbolique : le lignage joue un rôle essentiel pour l’accueil des enfants démunis ; mais leur situation juridique reste mouvante entre famille d’origine et famille d’accueil. Face à la force de la coutume, l’adoption à l’européenne reste statiquement marginale et ne permet pas de penser que l’Afrique noire serait un réservoir pour les candidats étrangers à l’adoption » Cf., BOULANGER (F), opt-cit, p. 22. Dans le même sens, cf., article de CHARLES (M.-N.) in L'enfant et les familles nourricières en droit comparé, étude sous la direction du Pr. POUSSON (J.), Presses Universitaires des Sciences sociales de Toulouse, 1997, p. 73; CHARLES (M.N.) et RIBOT-ASTIER (S.F.), Le placement en vue de l'adoption des enfants de Polynésie française est-il conforme au droit français ? Etude JCPN/1998/n°20- JCP 1997/I/4073.

116 La pratique massive de l’adoption de fait au Mali et au Sénégal atteste de la volonté des adoptants de maintenir les liens d’origine de l’enfant.

sénégalais en faveur de l’adoption exclusive s’impose. Cette forme radicale de l’adoption, dont le choix est, en principe, laissé à la libre volonté des adoptants potentiels, contredit les réalités locales.